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Evolution démographique 1965 1995 des localités de la commune de L5k

Pouvoirs et territoire dans une commune bulgare : l’exemple de L5k

Document 6 Evolution démographique 1965 1995 des localités de la commune de L5k

Quelles modalités du retour du pouvoir local dans le contexte de transition bulgare ?

La transition post-socialiste ouvre de nouvelles voies pour redonner aux populations locales la gestion de leur avenir. Le retour au local promu après 40 ans de socialisme pour permettre cette reterritorialisation attendue pose toutefois la question de la capacité d’initiative des acteurs locaux après une longue période de gestion centralisée et bureaucratique. Il est prématuré de dresser un bilan de cette transition mais la trajectoire de L0ki illustre les problèmes rencontrés.

L’INTRODUCTION DE L’AUTONOMIE LOCALE

La démocratisation du régime politique introduit un nouveau cadre législatif pour organiser l’autonomie locale sur le modèle de la charte européenne de l’autonomie locale de 1995 (révisé en 1999). Seule la commune bulgare est reconnue comme collectivité locale, la région (oblast) reste un organe du pouvoir central de l’État. Le 1er janvier 1999 est mis en place un nouveau maillage administratif qui reprend dans ses grandes lignes le découpage en 28 unités de 1959. Le retour à un maillage régional plus fin permet de rapprocher le niveau central des 262 collectivités locales créées, d’assurer une meilleure coordination de la gestion territoriale au niveau vertical mais aussi horizontal.

L’échelon communal devient une personne juridique qui gère son budget et qui possède le droit de propriété. Elle possède des compétences en matière de gestion des biens de la commune, de ses industries mais aussi dans des secteurs comme la santé et l’aide sociale, l’éducation, la culture, les transports municipaux. La préservation de l’environnement et du patrimoine relève de ses attributs. Le développement de l’autonomie locale passe par l’élection des organes représentatifs de la population dans le cadre d’un pluralisme démocratique. Dans chaque commune se déroule un double scrutin pour l’élection du maire et du conseil municipal (loi de 1995 révisée en 1999). Dans les villages de plus de 500 habitants dotés de mairies (kmestvo) les électeurs choisissent en plus un maire pour leur localité. Les maires et leurs adjoints ne peuvent être membres des organes directeurs d’un parti politique ni d’un conseil de surveillance, de gestion ou de contrôle d’une société commerciale ni même exercer une activité commerciale ; cette mesure ayant pour but d’éviter l’affairisme et l’abus de position politique. Le maire – de la commune ou du village – possède le pouvoir exécutif de la législation nationale et des décisions du conseil municipal. Le conseil municipal pour sa part est élu au pro rata de la population, il constitue l’organe de l’autonomie locale détenteur du pouvoir législatif local.

De la transition vers une économie de marché et de l’autorisation du secteur privé, on attendait une revitalisation économique de l’échelon local par le biais des entrepreneurs, des acteurs économiques locaux. En fait, la transition bulgare a donné lieu à une désagrégation des structures économiques rarement accompagnée d’une restructuration. Ainsi la société d’État GORUBSO a éclaté entre ses sièges ; celui de L0ki gère dorénavant sous forme de société anonyme les mines et l’usine de flottation

anciens ouvriers agricoles sont désormais payés à la tâche, ils ont perdu leur statut de salariés de l’État. La filière bois à L0ki a donné lieu à de rares initiatives privées : un entrepreneur possède 3 ateliers et emploie 18 personnes, une branche de la société Sredna Gora exploite 100 nouveaux décares de forêts pour développer la sylviculture et les produits issus du bois. Dans le textile, les petits ateliers sont très instables, ils se montent et se démontent rapidement. La société Prespa spécialisée dans le tricot est le principal employeur du secteur sur la commune et exporte ses productions vers les pays occidentaux : États-Unis, Allemagne, Italie, France.

Toutes ses initiatives témoignent d’un essor encore timide du secteur privé : seuls 184 actifs de la commune travaillent dans les firmes privées en 1996 contre 1602 dans le secteur public. La région des Rhodopes souffre de nouveau de sa situation périphérique en Bulgarie : la fin des faveurs économiques de l’État socialiste et l’absence de route vers la Grèce pourtant si proche contribue à sa marginalisation. Les effets macro- économiques de la transition se répercutent au niveau local. Or c’est de ce niveau que dépend la revitalisation économique et c’est à cet échelon que se dessinent les changements. La législation est bien présente mais la construction d’un projet de vie pour la commune passe par la prise en main du développement local : qui peut l’assurer parmi cette population privée d’initiatives pendant quatre décennies ?

LA DIFFICILE REVITALISATION DES INITIATIVES LOCALES

Les acteurs en présence pour la construction des territoires locaux sont issus de la société locale et d’initiatives citoyennes ou bien appartiennent à des structures institutionnelles. Il est frappant en Bulgarie de voir la rareté des initiatives personnelles, ce sont surtout des actions menées par des associations qui tentent de redynamiser les territoires locaux. Le terme d’association recouvre beaucoup de réalités différentes : on dénombre officiellement 8230 associations bulgares soit une association pour 1000 habitants.

Certaines associations s’investissent dans le développement local tel le mouvement pour le développement de la commune de L0ki (DRO L0ki) fondé en août 1996. Il a pour but de mettre en contact les citoyens avec les milieux économiques et institutionnels, de favoriser l’insertion des jeunes et des femmes dans la vie sociale et économique par l’intermédiaire de clubs et de faciliter l’accès à l’information. Le mouvement s’implique dans la vie politique de la commune : lors des élections municipales d’octobre 1999, 3 candidats sur les 6 qui postulaient pour la mairie étaient issus du bureau de l’association. Cette dernière est consultée par le conseil municipal en matière de développement local et notamment sur le projet concernant l’essor du tourisme sur la commune. L’initiative endogène est présente, mais elle s’investit davantage dans des aides à la population faute de moyens pour pouvoir financer des projets de développement. Le réseau associatif commence à fonctionner et le DRO a fait appel aux conseils de l’association du BACET (association bulgare pour le développement du tourisme écologique et rural fondée en 1995) pour promouvoir le tourisme local. Le BCET assure l’étude du projet et son suivi ainsi que la coordination des travaux mais le financement reste la partie la plus difficile à réaliser.

La participation de la société locale aux initiatives reste encore à développer y compris parmi les membres des institutions locales. Quelques rares initiatives personnelles d’élus ont porté leurs fruits. Le village de Mom1ilovci situé sur la commune voisine de Smoljan au sud de L0ki a misé son développement sur l’accueil touristique. Le rôle du

maire devenu depuis député a permis de développer 250 lits répartis chez l’habitant ou dans de petits hôtels sur ce village de moins de 2000 habitants. Ce succès mérite d’être souligné, mais il relève encore de l’exception en Bulgarie. Des institutions étrangères tentent de développer l’initiative et la prise de conscience des atouts locaux. Le fonds européen pour la liberté et l’expression a ainsi mis en place un projet pour le développement de la citoyenneté locale dans les collectivités territoriales dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le village de Ba1kovo sur la commune d’Asenovgrad a été un des lieux de mise en œuvre : le projet local sur l’année 1998 avait pour but de motiver la population pour une meilleure utilisation des ressources naturelles et architecturales en vue d’y développer le tourisme. La participation de la population au développement touristique était le principal résultat escompté dans ce village réputé pour la beauté de son monastère. Quelques maisons ont aménagé des chambres d’accueil, mais le projet s’est heurté à la nécessité d’investissements pour rendre conforme la localité aux exigences de l’hébergement touristique, pour financer la publicité et la formation aux langues étrangères des habitants. La mobilisation des populations locales en Bulgarie à des projets de développement local en est à ces balbutiements : les difficultés du quotidien l’emportent sur la projection dans l’avenir. Le tourisme reste toutefois l’activité essentielle des investissements locaux dans les communes des Rhodopes. L0ki ne manque pas d’atouts : un climat sain dans une montagne ensoleillée du sud, des curiosités naturelles (rivières et cascades), une réserve de chasse et un lieu de pèlerinage fréquenté par les Sofiotes (la clairière de kr0steva gora, ancien site d’un monastère). La valorisation de ce potentiel pâtit d’un manque d’investissement local. Dans le village de Borovo, 4 à 5 maisons accueillent épisodiquement des touristes, à Belica pour l’heure une maison possède des chambres et un couple projette de construire une maison dotée de chambres chez l’habitant. La mairie soutient verbalement le projet sans s’y investir directement. Les exemples des communes proches devraient plaider en faveur d’une concertation des communes pour promouvoir une région touristique, à l’image du projet de Ba1kovo de constituer une zone touristique appelée « La porte des Rhodopes ». Mais le développement de ce type d’initiative horizontale entre les villages et les communes nécessite un changement des mentalités après plusieurs décennies d’une organisation verticale de subordination de l’échelon communal au niveau supérieur.

L’énergie de la collectivité locale est en fait absorbée par l’entretien du territoire communal et la préservation d’une identité villageoise. La reterritorialisation de l’espace communal par le pouvoir local passe par la volonté de conserver une population soumise à un fort dépeuplement qui affecte aussi bien les villages que le centre communal (cf. tableau). Son corollaire, le vieillissement de la population, est la conséquence du départ des jeunes. Les villages de Borovo et de L0kavica sont actuellement peuplés à plus de 90 % de retraités. L’école devient alors le symbole de la vitalité démographique. Celle de Borovo a fermé ses portes à la fin des années 1960, seuls les villages de Manastir et Belica possèdent encore une école en plus de celle de L0ki. En outre le budget est de plus en plus sollicité pour assurer le maintien de services à la population. La commune est désormais tenue de payer les médecins de l’hôpital

communale est criblée de nids-de-poule. La viabilité de la communauté locale est l’objectif prioritaire du pouvoir local : la reterritorialisation se manifeste plus par une tentative de préservation des activités et services locaux que par une reconstruction du territoire local médiatisée par un projet de développement.

L’initiative locale est aussi entravée par de nombreux blocages. La dépendance de l’État est encore réelle malgré la création des collectivités locales. Le nerf de la guerre, l’argent du budget communal dépend encore dans une large mesure du pouvoir central : en 1996, 64 % du budget de L0ki provient des subsides nationaux. En l’absence de relance économique les taxes et impôts locaux représentent les 36 % restant. Les relations entre villages au sein de la commune sont laborieuses. Il faut 50 minutes en voiture pour joindre L0ki à Manastir, les transports municipaux sont à la charge de la commune et la desserte est rare car coûteuse : un bus par jour relie le centre de la commune à chaque village sauf pour Belica et Drjanovo qui bénéficient de deux allers- retours quotidiens pour acheminer les collégiens à L0ki. Les infrastructures manquent cruellement : le tout-à-l’égout est absent de certains villages mais c’est surtout les lignes téléphoniques qui font défaut. Dans 5 villages, on dénombre un seul poste situé dans la mairie (Borovo, Zdravec, Jugovo, L0kavica, Manastir), à Belica seulement deux combinés. Le maire local se charge de prendre les contacts téléphoniques.

L’autonomie locale apparaît aux yeux des Bulgares soit comme un désengagement de l’État – les maires déplorent que beaucoup de tâches reposent sur leurs épaules pour alléger les charges d’un État pauvre – soit elle reste méconnue comme le montre une enquête du programme des Nations-Unies pour le développement publiée en 1999. La commune est encore perçue comme une institution subordonnée au pouvoir central dont les fonctions ne sont pas différenciées pour plus de 60 % des personnes enquêtées. 40 % des Bulgares sont persuadés que la vie est identique sur tout le territoire national. Influencées par des indicateurs macro-économiques peu encourageants, les personnes interrogées témoignent d’un manque de connaissance des différenciations régionales et de leurs spécificités et a fortiori de celles de leur commune. On comprend mieux alors la frilosité des acteurs locaux privés comme institutionnels à se saisir de nouvelles opportunités de développement local.

Ma conclusion tentera d’apporter des éléments de réponse aux questions qui étaient soumises à notre réflexion pour cette journée d’études. On a vu que la construction des territoires locaux en Bulgarie s’est faite à travers de nombreuses ruptures qui ont déstabilisé l’organisation territoriale. Les tentatives actuelles de réinvestir le territoire par un projet social montre une prise de conscience progressive de l’existence du local. Le terme de local se réfère à une échelle de fonctionnement, d’identification territoriale qui forme une unité. Cette cohérence territoriale est exprimée par la territorialité comme vécue au quotidien. En ce sens, le local s’apparente à un « ici » construit par ses habitants. En tant qu’échelle, le territoire local s’articule à d’autres échelles de l’organisation et de l’identification territoriale : relation horizontale avec d’autres territoires locaux dans un rapport d’équivalence et donc de comparaison, relation verticale avec le territoire global dans un rapport d’emboîtement.

En revanche, pour reprendre le cas bulgare, la période socialiste s’est illustrée par l’existence de territoires localisés, autrement dit des lieux. L’unicité du lieu le circonscrit dans un espace particulier et le juxtapose à d’autres lieux eux aussi

spécifiques. Ces lieux sont noyés dans l’anonymat et la relation horizontale entre ceux- ci se limite à un rapport de proximité. Le terme de localisé est synonyme de « là » car il implique que la localisation se définisse par rapport à un autre lieu d’où l’on regarde. Cet autre lieu est celui à partir duquel on nomme, on décide, c’est-à-dire le lieu du pouvoir. Dans ce cas, la relation s’effectue dans un rapport vertical de hiérarchie entre le lieu du pouvoir – le haut-lieu – et les autres lieux, multitude des territoires localisés.

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La construction des « territoires ruraux » à la croisée des