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Des territoires à géométrie variable et des pays

François Taulelle

Résumé

« Territoires de projet contre territoires administratifs », « logiques de projets contre logique de guichets1». Ces formules deviennent de plus en plus présentes dans les écrits qui concernent

les politiques d’aménagement et de développement local. A un système administratif reposant sur des politiques publiques sectorielles, descendantes, conduites par l’Etat ou l’Europe s’opposerait une pratique ascendante (bottom up) accordant une place centrale aux acteurs locaux en charge de construire leurs projets de développement. Dans ce cadre, les logiques « classiques » de l’action publique nécessitent des réformes de fond pour que le système politico-administratif se calque sur ces nouvelles configurations de projets.

Ce discours fait référence aux recompositions territoriales à l’œuvre sur le terrain. A partir de l’exemple du Pays d’Olmes en Ariège, nous voulons analyser la multiplicité des territoires de projets qui incluent des acteurs multiples à partir de sujets différents créant des territoires à géométrie variable. Touché depuis 1988 par une crise industrielle majeure liée au déclin de l’activité textile, le Pays d’Olmes est concerné aujourd’hui par plusieurs projets qui constituent autant de partenariats en émergence ou déjà finalisés :

Un système productif localisé répondant à l’appel d’offre de la DATAR repose sur le textile et tente de développer un partenariat avec le bassin de Castres-Mazamet pour créer, à terme, un système productif régional ;

Un projet touristique axé sur l’intégration des ressources locales intégré dans le Pays Cathare audois déjà existant ;

Une logique axée sur le massif pyrénéen qui concerne plutôt le monde agricole ; Une logique plus politique à travers la constitution d’un pays répondant aux critères de la loi Voynet.

tracer le périmètre de cette maille territoriale qui n’est « ni un nouvel échelon administratif ni une nouvelle collectivité territoriale2 » tout en permettant l’éclosion de projets dépassant

parfois, forcément, ces limites ? Ces communautés d’intérêts économiques et sociaux ne risquent-elles pas de limiter les initiatives en imposant des périmètres rigides ? De même, comment les dynamiques de projets s’articulent-elles avec les différentes mailles administratives de gestion, celles des services du Conseil général par exemple ?

Mots-clés : territoires de projets, développement local, pays, Ariège, Pays d’Olmes.

Questions à débattre : comment la territorialisation des politiques publiques d’aménagement de l’Etat et de l’U.E peut-elle prendre en compte les multiples périmètres de projets ? La création des pays est-elle une bonne réponse à cette question ?

« Le projet contre le guichet » : l’expression fait florès dans le domaine de l’aménagement du territoire. La loi Voynet3 reprenant les conclusions du rapport

A u r o u x4 remet en cause la politique de zonages pour privilégier « le projet

territorial » porté par les initiatives locales. Au moment où le dispositif des pays se met en route, il convient de s’interroger sur la nature de cette philosophie de l’aménagement et plus particulièrement sur la production des projets. À partir d’un exemple territorialisé, dans le Pays d’Olmes en Ariège, notre étude a pour objet de démontrer que le foisonnement d’initiatives intercommunales produit un territoire de projets à géométrie variable. La mise en place des pays apporte des changements notables dans le milieu local. En quoi le tracé de ces nouveaux périmètres risque-t-il de modifier les pratiques des acteurs locaux ? Comment la création des pays prendra-t-elle en compte la constitution de partenariats à géométrie variable observés sur le terrain ? Comment les institutions s’adapteront-elles au nouveau pavage territorial ?

Le projet contre le guichet : une nouvelle manière de concevoir les politiques d’aménagement

LES ZONAGES ET L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

La politique d’aménagement du territoire depuis l’après-guerre a pour objectif principal la correction des disparités territoriales en opposant Paris au reste du pays. Les premières aides qui font l’objet d’un zonage reposent sur cette dichotomie : les cartes font apparaître, d’une part, une zone « blanche », non aidée, correspondant au bassin parisien et, d’autre part, le reste du territoire, plus ou moins fortement concerné par le dispositif d’aide. La crise économique de la deuxième moitié des années 1970 remet en cause cette approche duale : à partir de cette date, le micro territorial en crise s’encastre dans des zones considérées auparavant comme prospères. Les moyens de l’État reposent alors sur deux outils cartographiques :

- une carte incitative à petite échelle reprenant approximativement l’opposition Paris/province. Cette carte qui sert à distribuer des aides à la localisation ou à l’extension des entreprises s’affine et correspond, aujourd’hui, à la Prime à l’aménagement du territoire (P.A.T.), carte contrainte par les zonages européens ; - une deuxième carte faisant apparaître des « pastilles » aidées plus fortement par

l’intermédiaire d’actions de grande ampleur liées à ce qu’Olivier Guichard5nommait

la « politique canadair » de l’État. Les pôles de conversion de 1984 correspondent à ces interventions.

Dans les deux cas, et plus encore dans le second, l’État assiste les territoires et distribue ses financements selon une méthode qualifiée par certains de « logique de guichet ».

L’APPARITION DES DÉROGATIONS ET DES DISCRIMINATIONS POSITIVES

Les années 1980 et 1990 se caractérisent par une montée en puissance des initiatives locales et par une restriction du budget national consacré aux politiques d’aménagement du territoire. La politique de l’État privilégie les dérogations et les exonérations, introduisant le principe de la discrimination positive, principe discuté fortement par le Conseil constitutionnel6. Pour l’État, la distribution de financements

laisse place à un manque à gagner lié aux exonérations de taxes. La stratégie rappelle celle des zones en crise puisque le territoire fait apparaître des pastilles fortement assistées par les pouvoirs publics : ce sont les zones d’entreprises puis les zones franches et, à l’échelle des quartiers de villes, les Zones urbaines sensibles (Z.U.S.) et les Zones de redynamisation urbaine (Z.R.U). Aujourd’hui, le résultat de ces divers zonages (qui cherchaient à cerner au plus près la spécificité des difficultés territoriales), produit un empilement de tracés et la prolifération de sigles pour une politique d’aménagement peu lisible.

LA REMISE EN CAUSE DES ZONAGES:LE RAPPORTAUROUX ET LA LOIVOYNET

Le rapport Auroux commandé par le Premier Ministre en 1996 en vue de la préparation des réformes annoncées de l’aménagement, accorde une grande place à la critique des zonages. L’ancien Ministre écrit : « jusqu’à présent, il m’apparaît que l’on a largement

agi à contresens. En effet, malgré la prise de conscience de cet état de fait (NDR : un

découpage qui comporte plus d’entraves et d’obstacles que d’encouragements et de facilités pour entreprendre et créer des emplois) fortement nuisible au développement

économique et social et au rééquilibrage dynamique du territoire, on a ajouté, par « le haut », au fil des années, des découpages supplémentaires et des procédures plus complexes. En réalité la confusion et l’inefficacité ont grandi en même temps que les coûts7». Le constat est clair : « trop de zonages tuent le zonage » comme l’affirmait le

Délégué actuel de la DATAR. Au contraire, le mythe du projet comme élément clé du développement, est au cœur des réformes souhaitées. J. Auroux écrit à ce sujet : « je

préconise ainsi que soit engagé sur l’ensemble du pays (métropole et outremer) la mise en œuvre de « territoires de projets » dont le périmètre et le contenu seront définis par les partenaires eux-mêmes, avant d’être cofinancés par l’État, les Régions et les i n t é ressés eux-mêmes8 ». Cette démarche devrait trancher avec les logiques

précédentes : « à l’opposé de la passivité exigeante face à tel ou tel zonage espéré ou

primes diverses attendues, on s’engagerait ainsi dans une attitude active et mobilisatrice des énergies, des compétences et des idées aujourd’hui souvent

souvent « d’autogestionnaire » incarné dans les Plans d’Aménagement Ruraux (P.A.R) en 1970, les contrats de pays en 1975, les chartes intercommunales en 1983 et, plus récemment, dans les parcs naturels régionaux ou les programmes LEADER10 de la

première génération.

Ce terme de « projet » est largement utilisé dans les rapports et les textes de loi. Il est aussi décliné dans de nombreuses expressions qui soulignent le passage d’une forme de politique publique à une autre : de la « résolution de crises locales » on passe ainsi à « l’appui à la compétitivité des territoires » ; de la « répartition » à la « satisfaction des demandes ». Quelle réalité cachent ces expressions ? Nous avons souhaité analyser, dans l’Ariège, en Pays d’Olmes, comment s’élaborent les projets de développement et quels sont les acteurs au centre des initiatives.

Les projets de développement du Pays d’Olmes : un territoire à géométrie variable LEPAYS D’OLMES,L’INDUSTRIE AUX CHAMPS

Le bassin de vie de Lavelanet appelé Pays d’Olmes est composé de 18 communes représentant 18 500 habitants. Si le canton est rural, une importante industrie textile (filature et tissage) est essentiellement localisée à Lavelanet et regroupe 2 227 emplois, ce qui représente 57 % des effectifs salariés du bassin répartis dans 70 entreprises. Depuis le XIIIe siècle, le textile lainier est l’activité principale du bassin d’emploi en

raison de la qualité des eaux de la Touyre pour le lavage et la teinture des tissus. Le bassin industriel a connu une évolution vers le regroupement et la fusion des entreprises. En effet, si au début du XXe, la production est artisanale (1 500 tisserands

possèdent leurs métiers et travaillent à domicile), les années 1965-1970 sont celles de la concentration des entreprises autour de quelques unités importantes : Roudière et Thierry (entreprise née en 1956) s’impose et commence la bipolarisation de la mono industrie.

De 1975 à 1983, la crise frappe durement le Pays d’Olmes, mais les grandes entreprises absorbent les salariés licenciés des petites unités, ce qui sous-estime l’ampleur du choc social. En novembre 1987, le groupe Chargeurs rachète la société Roudière qui emploie, à l’époque, 2 500 salariés. En deux ans, deux plans sociaux provoquent 1 200 licenciements avec de fortes répercussions sur la sous-traitance : la crise, dont les marques en termes de suppressions nettes d’emplois avaient été atténuées depuis 1975, frappe durement le bassin. La reconversion industrielle du bassin d’emploi est lancée en avril 1989, deux mois avant le début des plans de suppression d’emplois de juin 1989 et juillet 1990. Le groupe Chargeurs change alors la configuration de l’usine Roudière et crée son propre réseau de sous-traitants ce qui a pour effet d’élaguer les PME environnantes : une nouvelle fois, la simplification du tissu industriel se poursuit, au détriment des petites unités artisanales. Aujourd’hui les diverses unités du groupe Chargeurs (tissus d’habillement) représentent 700 emplois et Michel Thierry SA (tissus automobile et d’habillement) 850 salariés. Si le Pays d’Olmes est rythmé par l’activité industrielle, c’est aussi un espace touristique puisque le château de Montségur et la station familiale de ski des Monts d’Olmes constituent deux pôles d’intérêt.