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Evolution de la catégorisation des unités du modèle sémiologique

Le modèle de l’iconicité de Christian Cuxac 56, tel qu’il se présentait dans Cuxac (1996) et dans sa première typologie des trois transferts principaux (Cuxac 1985) proposait une typologie des

structures de la langue des signes avec onze 57 catégories, comme le rappelle le tableau 6. Ce tableau est ma première tentative de représentation visuelle du modèle de Cuxac, élaboré pour mes

premières années de cours. Il rend compte des catégories en fonction de l’intention sémiotique du locuteur et de sa visée, et il précise déjà la dichotomie importante dans le modèle entre spécifique (pour les structures relevant de la visée illustrative) et générique (pour le lexique stabilisé).

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C’est sous cette appellation qu’était désigné le modèle sémiologique jusqu’à l’article de Cuxac et Antinoro Pizzuto (2010) et la thèse d’HDR de Garcia (2010). A noter que beaucoup de Sourds, actuellement, signent MODÈLE ICONICITÉ pour signifier modèle sémiologique.

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Tableau 6 : Représentation schématique des catégories du modèle sémiologique tel que dans Cuxac (2000) d’après Sallandre (2003 : 128)

Même si les fondements de ces catégories et leur répartition en fonction des deux grands modes de production du sens (ou visées) n’ont pas considérablement changé, une extension et un

approfondissement ont eu lieu grâce à l’analyse systématique en corpus de données variées à l’occasion de ma recherche de doctorat (Sallandre 2003) 58. Ma démarche a été guidée par l’observation des formes, en corpus : à chaque fois que j’étais confrontée à une occurrence dont la structure n’était pas décrite dans le modèle de Cuxac (1985-2000), je la consignais, à part, en lui assignant une étiquette provisoire. Puis j’observais si cette forme était récurrente ou pas. S’il y avait une régularité dans la forme et la fonction des paramètres assignés à cette occurrence, alors je lui assignais une nouvelle étiquette. Ainsi, j’ai adopté une démarche empirico-inductive, classique en linguistique de corpus. C’est ainsi que je suis passée de treize à vingt-trois catégories. Les nouvelles catégories sont toutes un approfondissement des structures de transferts existantes, comme l’illustre le tableau 7. Les nouvelles catégories de Sallandre (2003), sur fond jaune dans le tableau 7, par rapport à celles de Cuxac (2000), sur fond bleu, étaient : TP loupe ; TP proforme (plusieurs structures) ; TP en discours rapporté (plusieurs structures) ; et différents Doubles Transferts (plusieurs structures).

Je ne détaille pas ici la définition de chaque catégorie puisque j’y reviens dans la section suivante en proposant de légers réajustements, et puisque, tout au long de ce volume, de nombreux exemples illustrent les principales catégories.

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Tableau 7 : Représentation des catégories du modèle sémiologique dans Sallandre (2003 : 129). En bleu, les catégories historiques, en jaune, les catégories nouvelles, soulignées, les catégories mêlant les deux visées

Tableau 8 : Proportions de chaque catégorie dans le corpus LS-COLIN pour treize signeurs et dans trois discours (Sallandre 2003 : 265)

ICONICISATION PREMIERE

Unités avec visée

illustrative (SGI) Unités hors visée

illustrative TTF TS TdP Unités lexicales Pointages Dactylologie TP TP semi TP dr DT TP clas TP profo TP loupe Stéréotypes de TP TP dr std TP dr std profo TP dr gest TP dr gest profo TP dr SGI DT clas DT profo DT loupe DT semi DT comp DT dr TP semi TP semi profo Pseudo-TP

Il faut replacer les catégories du tableau 7 dans le contexte du début de la décennie 2000. Cette recherche représentait la première tentative non seulement de raffiner des catégories non conventionnelles de la LSF, les structures de transferts, et démontrait ainsi la compositionnalité à l’œuvre dans ces structures, et était associé à une mise à plat quantitative, présenté dans le tableau 8. Celui-ci59 fait ressortir des éléments clés quant aux proportions respectives de chaque catégorie, dans trois discours différents, et pour une moyenne des productions de treize signeurs adultes : les catégories les plus importantes quantitativement sont les unités lexicales (appelées signes standard dans le tableau, suivant la terminologie de Cuxac 2000), suivies des TP clas (transferts personnels classiques) et, seulement pour le genre narratif, des TP dr std (TP en discours rapporté, standard). Le tableau 8 montre également que la variété des TP autres que classiques (TP proforme, TP loupe, etc.) est représentée uniquement dans le genre narratif, et pas dans le genre explicatif, et en faible

proportion pour chacune des catégories (moins de 1% en moyenne, le plus souvent). Pour les

transferts autres que les prises de rôle, le tableau 8 fait ressortir une utilisation de TTF (transferts de taille et de forme) assez proche quel que soit le type de discours (moyenne de 8,8% pour les trois discours), et en revanche assez variable pour les TS (transferts situationnels), avec 4,8%, 13,2% et 1,9% respectivement pour le Cheval, les Oiseaux et la Recette de cuisine . Les TTF servant à la description des entités, il n’est pas surprenant d’en trouver dans des proportions assez similaires malgré des genres discursifs différents, pour décrire le fond et les figures dans les narrations, et pour décrire les ingrédients et les récipients dans les recettes de cuisine. Les TS étant utilisés, eux, pour le déplacement d’un agent (animé, le plus souvent) par rapport à un locatif stable, il est logique d’en trouver davantage dans les narrations que dans les explications. La différence de pourcentages de TS entre les deux récits s’explique par le support : alors que les dessins du récit du Cheval invitent à une grande liberté d’expression de l’énonciateur, qui peut exprimer les trois personnages soit du point de vue interne (variété des transferts personnels) soit du point de vue externe (transferts situationnels), le récit des Oiseaux, du fait de l’omniprésence de l’arbre, ayant à la fois la fonction de fond et de figure dans ce support de dessins, contraint l’énonciateur à se placer en point de vue externe une grande partie du récit, et donc à maintenir l’entité arbre avec sa main dominée et son avant-bras, ce qui produit un fort taux de transferts situationnels (pour une analyse détaillée des contraintes spatiales, voir Sallandre 2003 : 271-275 et Sallandre 2006 : 215-217). Pour les catégories hors visée illustrative, le pourcentage des pointages est assez proche dans les trois discours, avec une moyenne de 4%. Enfin, les unités dactylologiées sont extrêmement rares, même pour le genre explicatif (1% en moyenne), ce qui confirme que la dactylologie, en LSF, est loin d’être massive et reste du domaine de l’emprunt (au français écrit).

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Ce sont les données détaillées du tableau 8 qui ont servi à établir les tableaux et graphiques synthétiques de la section 3.1.2 qui eux, permettent une vue très globale de la répartition des types d’unités en LSF.

Ainsi, la double analyse, qualitative et quantitative, de ces données, a représenté pour moi un pas décisif — même s’il n’est pas le seul possible — dans l’objectivation du modèle sémiologique. Après ces premiers résultats quantitatifs, en effet, on ne pouvait plus me dire, en conférence ou ailleurs des arguments du type : « Les unités non conventionnelles ( i.e. les transferts ) représentent de toute façon

une part minime des unités de la langue des signes, elles n’apparaissent que dans les récits, elles sont non linguistiques, c’est de la pantomime, etc . ». Des recherches nombreuses ont suivi dans le champ,

épousant ou non ce modèle, et proposent à leur tour une double analyse qualitative et quantitative (notamment Fusellier-Souza 2004, Jacob 2007, Estève 2011, Limousin 2011, etc.)60.