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3.3 Réagencement de certaines catégories

3.3.4 Des catégories à ré-agencer : les doubles transferts

Figure 17 : TP dr UL et TP dr gestualité de la vache qui dit : « Attends ! » (corpus LS-COLIN, Cuxac et al 2002) Toujours chez cette même signeuse, plus loin dans son récit, lorsqu’elle veut incarner le personnage de la vache qui s’adresse au cheval, la façon la plus économique pour elle de le faire est de maintenir avec sa main dominée la configuration ‘J’. C’est d’ailleurs la signeuse du corpus LS-COLIN qui a le plus recours aux TP maintien66. La figure 17 montre deux exemples de ce maintien qui se suivent alors que les énoncés sont cette fois en discours rapporté : l’image de gauche montre ainsi un TP dr UL tandis que l’image de droite montre un TP dr gestualité. Les deux paramètres qui distinguent ces structures sont le pattern labial et la configuration de la main dominante : la labialisation [ atɑ̃] est coarticulée avec l’UL ATTENDRE produite par la main dominante, tandis que le mouvement labial, une moue rassurante, accompagne le geste conventionnel d’attendre marqué par la configuration ‘main plate’. Le reste des paramètres est identique dans les deux structures : regard orienté en bas à gauche (vers le locus du cheval), main dominée, posture corporelle.

3.3.4 Des catégories à ré-agencer : les doubles transferts

Les doubles transferts sont les structures de grande iconicité les plus complexes articulatoirement et sémantiquement car les différents paramètres remplissent des fonctions variées, comme pour les autres transferts, avec encore plus de densité sémantique67. Par exemple, alors que dans les transferts

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Ce qui explique que cette capture d’image soit floue. 66



Les TP maintien représentent 14% du total des unités pour cette signeuse, dans le récit du Cheval, alors que la moyenne des treize signeurs du corpus pour cette catégorie est de 5,7%.

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de taille et de forme et les transferts situationnels, le buste n’est pas utilisé, il l’est dans les doubles transferts et a pour fonction de représenter l’entité incarnée en TP. Ou encore, alors que dans les TP, les deux mains peuvent être symétriques, donc avoir une seule valeur sémantique (par exemple

pattes d’animal), dans le DT, chacune des mains a une valeur différente. En effet, dans sa définition

classique (Cuxac 2000), un double transfert (DT) est l’association simultanée d’un locatif de TS et d’un TP. Partant de cette définition et de l’observation en corpus, j’avais proposé lors de ma thèse d’accroître le nombre de catégories de DT, ce qui permettait de mieux comprendre la

compositionnalité à l’œuvre dans les structures de transferts, ce qui donnait cinq DT distincts : DT classique, DT proforme, DT semi, DT complet, DT dr.

Aujourd’hui, je propose quelques réagencements mineurs, dans la logique d’ensemble de cette

section, c’est-à-dire de ce qui est proposé pour le TS sans locatif dans la section 3.3.1, d’une part, et de la volonté de renommer certaines structures d’autre part.

La figure 18 présente deux exemples de DT classiques produits par une signeuse adulte dans le corpus Creagest-Acquisition (Sallandre et L’Huillier 2011). Dans cette séquence du récit Tom et Jerry, le chat se verse du lait dans un bol dans le but de le boire. La signeuse a précédemment introduit le bol par un transfert de taille et de forme, puis, dans l’unité suivante, elle effectue son premier DT (image de gauche) : tandis que la main dominée maintient la forme du bol introduit dans le transfert précédent, ce qui a pour fonction d’être locatif de TS, la main dominante figure l’action de verser le lait effectué par le chat. Aussi, tous les autres paramètres incarnent l’agent chat en TP (regard, expression faciale, buste). Le deuxième DT est produit neuf secondes plus tard (image de droite). La main dominée maintient à nouveau la forme du bol, en locatif de TS, et le reste du corps incarne toujours le chat en TP. La seule différence se situe au niveau du procès de l’énoncé, l’action de laper dans le bol, figurée par la main dominante en configuration ‘U+pouce’ qui suggère le mouvement de la langue en train de laper.

Figure 18 : Deux exemples de DT classiques (corpus Creagest-Acquisition, Sallandre et L’Huillier 2011) Un petit changement terminologique affecte le DT proforme qui devient le DT maintien config pour la même raison que le TP maintien abordé précédemment. Il s’agit donc, pour cette structure, d’un DT dans lequel l’une des mains est utilisée pour référer à l’entité précédemment incarnée. Dans

l’exemple de la figure 19, la signeuse est en TP de la vache qui est en train de regarder un autre agent qui s’approche, le cheval. Le TP est figuré par son buste, son regard et son expression faciale, le

maintien de la configuration ‘J’ pour corne de la vache est figurée par sa main dominée, tandis que sa main dominante, en configuration ‘X’ exprime l’agent cheval. Cette structure est particulièrement complexe dans la mesure où elle présente simultanément deux agents (et un maintien de

configuration), l’un exprimé en point de vue interne et incarné (en TP), l’autre en point de vue externe (en TS).

Figure 19 : DT maintien (corpus LS-COLIN, Cuxac et al 2002)

Même s’il n’y a pas de changements dans le semi-DT, sa complexité sémantique rendue possible par la compositionnalité paramétrique mérite qu’on s’y attarde quelques instants. Un semi-DT est un double transfert dans lequel la main dominante exprime le procès de l’énoncé par une unité

lexématique, tandis que la main dominée figure soit un locatif stable, soit un autre actant. J’avais mis en évidence cette structure grâce à des occurrences du corpus LS-COLIN relevées dans ma thèse. J’ai trouvé ce même genre de structures complexes dans le récit Tom et Jerry du corpus

Creagest-Acquisition, y compris chez les enfants les plus âgés. C’est le cas dans les exemples de la figure 20 produits par un enfant de 11;8 ans de parents entendants. L’image de gauche peut être traduite par l’énoncé “Le chat est surpris en découvrant la souris en face de lui” et elle se décompose comme suit : le buste, le regard et l’expression faciale68 sont ceux du chat en TP, la main dominante exprime l’action d’être surpris par l’UL SURPRISE tandis que la main dominée représente la souris (agent du TS) qui fait face au chat. Ainsi, cette structure est, comme les autres DT, particulièrement complexe car elle permet simultanément l’expression de deux agents, de plus accompagnés d’une UL. Deux secondes plus tard dans cette même séquence, l’image de droite présente un second semi-DT qui a la même structure que le précédent : il y a maintien de l’agent souris par la main dominée (agent du TS) mais l’action effectuée par l’UL COLÈRE ainsi que l’expression faciale (TP) expriment cette fois la colère du chat qui pensait être seul mais qui est en fait dérangé par la souris. Ainsi, l’image de droite de la figure 20 peut être traduite par l’énoncé : “La colère du chat monte en voyant la souris”.

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L’expression faciale de ce personnage étant celle de la surprise, l’UL ne fait que préciser l’état d’esprit du personnage transféré (ou certains observateurs préféreront l’interprétation inverse, à savoir que

Figure 20 : Deux semi-DT par un enfant de 11;8 ans (corpus Creagest-Acquisition, Sallandre et L’Huillier 2011) Pour conclure sur les DT, je dirais que la densité sémantique de ces structures est prouvée

empiriquement par le fait que pour les traduire dans une autre langue, un mot ne suffit pas, il faut un énoncé complet.

Par ailleurs, pour produites ces structures, il est nécessaire que les signeurs aient une excellente compétence en langue des signes 69. En revanche, au niveau de la compréhension, les DT sont bien compris même par des apprenants relativement débutants 70. Ainsi, ces structures, comme de nombreux transferts, ont une apparence holistique, qui permet une compréhension globale rapide, alors qu’en production, elles sont hautement compositionnelles.