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2. Une problématique de recherche déclinée en 3 questions principales

5.3 La chaire industrielle de recherche « ECOSED »

5.3.5 Evaluation du potentiel de relargage à long terme

La prévision d’émissions de substances dangereuses sur le long terme est importante pour l’évaluation du comportement au relargage d’un produit de construction durant sa vie en service dans une construction. Afin d’être en mesure de prévoir le relargage par extrapolation sur le long terme, il est nécessaire de connaitre le mécanisme de relargage. Toutefois, les difficultés rencontrées pour l’identification des mécanismes de relargage des éléments traces métalliques et métalloïdes à partir des résultats des essais de lixiviation dynamique sur monolithes limite les possibilités d’extrapolation à long terme. De plus, l’absence de seuils réglementaires nationaux pour le test de lixiviation dynamique sur monolithes ne permet pas à l’heure actuelle de s’assurer de l’innocuité environnementale des matériaux fabriqués. Dans d’autres pays européens comme l’Allemagne et les Pays Bas, l’utilisation de matières premières secondaires est réglementée et des seuils environnementaux existent pour l’essai de lixiviation dynamique sur monolithes. Ces seuils permettent de vérifier à un niveau national la conformité des produits de construction avant leur mise sur le marché et garantissent leur innnocuité environnementale à long terme. Le référentiel bénéficiant du retour d’expérience le plus significatif est sans doute celui mis en place par les Pays- Bas dans le cadre du Building Materials Decree (1995) puis du Soil Quality Decree (2008). Ce référentiel est développé ci-après afin de pouvoir discuter de l’innocuité environnementale des matériaux formulés dans le cadre de nos travaux.

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Le référentiel néerlandais

Depuis 1995, les Pays-Bas ont un décret sur la construction fondé sur l'impact potentiel de matériaux sur l'environnement. Le décret donne des critères de qualité pour l'application et la réutilisation des matériaux minéraux dans le domaine de la construction. Aucune différence n'est faite entre matières nobles, matières recyclées et déchets. Le décret est applicable lorsque ces matériaux sont utilisés dans les ouvrages de construction où ils sont en contact avec l’eau de pluie, les eaux de surface, et les eaux souterraines (par exemple dans les remblais, les infrastructures routières, les murs extérieurs des bâtiments, les fondations et les toitures). Le retour d’expérience de ce dispositif au bout de 10 ans d’application a mis en évidence certaines limites, ce qui a conduit à la mise en place du « Soil Quality Decree », entré en vigueur depuis 1er juillet 2008. Les valeurs limites d'émission ont été calculées afin de respecter les sols, les eaux souterraines et les critères de qualité des eaux de surface. Les seuils disponibles s’appliquent à des matériaux granulaires ou monolithiques, et les substances inorganiques concernées sont l'antimoine (Sb), l'arsenic (As), baryum (Ba), cadmium (Cd), chrome (Cr), cobalt (Co), cuivre (Cu), mercure (Hg), plomb (Pb), molybdène (Mo), nickel (Ni), sélénium (Se), étain (Sn), vanadium (V), zinc (Zn), bromure (Br-), chlorure (Cl-), fluorure (F-) et sulfates (SO42-). Les valeurs limites d'émission sont calculées en six étapes, qui sont reportées dans la figure 71 :

1. Un terme source est calculé pour décrire le scénario de relargage des substances à partir des matériaux de construction. Le modèle de relargage est le résultat des propriétés de la substance concerné mais aussi des caractérisques du matériau et de l’ouvrage. Dans cette approche un modèle de diffusion pour chaque substance est utilisé, sur la base des données mesurées sur de nombreux matériaux de construction.

2. Deux modèles dynamiques sont appliqués pour calculer les variations de concentrations de substances dans le temps et sur la profondeur du profil de sol. Un modèle de transport utilisant des coefficients de partage solide/liquide (PEARL 2.2.2) et un modèle incluant la spéciation et la complexation de surface des éléments traces sont utilisés (ORCHESTRA).

3. Les concentrations résultantes dans les milieux récepteurs sont comparées aux valeurs de conformité (critères de qualité).

4. Le terme source est ajusté de telle manière à calculer les concentrations permettant de respecter les valeurs de conformité dans le sol et les eaux souterraines. Deux termes sources sont dérivés : un premier terme dérivé à partir de la conformité des valeurs dans les eaux souterraines et un second terme dérivé à partir des valeurs de conformité du sol.

5. Les termes source sont ensuite ajustés et transformés en valeurs limites d'émission dans les matériaux.

6. La valeur limite d'émission la plus stricte protège l'ensemble de l'environnement sur le temps de simulation qui a été fixé à 100 ans. Le profil du sol est constitué de 1 m de sol insaturé et 1 m de sol saturé. Le niveau moyen des eaux souterraines est de 1 m sous la surface du sol, ce qui correspond à une moyenne pour la situation néerlandaise.

Les valeurs limites d’émission obtenues via cette méthodologie permettent ensuite de fixer des seuils de conformité pour les essais normalisés de percolation (dans le cas des matériaux granulaires) et de lixiviation dynamique sur monolithes (dans le cas des matériaux monolithiques). Les valeurs limites à respecter dans ces essais normalisés sont reportés dans le tableau 39.

MEMOIRE D’HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES 153 Figure 70. Procédure de détermination des limites d’émission des matériaux de construction dans la réglementation néerlandaise (Soil Quality Decree, 2008).

MEMOIRE D’HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES 154 Tableau 39. Valeurs des seuils de conformité des matériaux granulaires et monolithiques dans l’essai de percolation et

l’essai dynamique de lixiviation sur monolithique.

Paramètres Seuils de conformité des matériaux granulaires dans

l’essai de percolation normalisé (mg/kg)

Seuils de conformité des matériaux monolithiques dans l’essai normalisé de lixiviation dynamique sur

monolithes (mg/kg) As 0,90 260 Ba 22 1500 Cd 0,04 3,8 Co 0,54 60 Cr 0,63 120 Cu 0,90 98 Hg 0,02 1,4 Mo 1,00 144 Ni 0,44 81 Pb 2,30 400 Sb 0,32 8,7 Se 0,15 4,8 Sn 0,40 50 V 1,80 320 Zn 4,50 800 Bromures 20 670 Chlorures 616 110 000 Florures 55 2500 Sulfates 2430 165 000

La relation semi-empirique appliquée pour la mise en place des seuils de conformité en lixiviation sur les matériaux monolithiques est la suivante :

E = I

f( , %, ). f

E64 j, le seuil de conformité à respecter au terme de l’essai normalisé (64 jours) en mg/m² ; I, la valeur limite d’émission de la substance extrapolée pour 100 ans, en mg/m² ;

f(h, x%, De), le facteur de correction appliqué à l’essai normalisé pour prendre en compte l’épaisseur du matériau, sa teneur en eau, et le coefficient de diffusion ;

ftemp, le facteur de correction appliqué à l’essai normalisé pour prendre en compte le différentiel entre la température moyenne en laboratoire et la température moyenne en extérieur.

Le facteur ftemp est calculé pour une température moyenne de l’essai en laboratoire de 20°C contre 10°C en extérieur, ce facteur est 0,7 [138]. Le facteur f(h, x%, De), est calculé selon 2 catégories, soit le matériau est en contact avec l’eau du sol (catégorie A), soit il n’est qu’avec l’eau de pluie (catégorie B). En fonction de cette catégorie le facteur varie pour la première de 1 à 15 pour les contaminants avec une extrapolation à 100 ans et vaut 2,4 pour les contaminants avec une extrapolation à 1 an ; et pour la seconde de 1 à 5 pour les contaminants avec une extrapolation à 100 ans et vaut 0,8 pour les contaminants avec une extrapolation à 1 an [139].

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Confrontation des données obtenues au référentiel néerlandais

Pour cette approche, les résultats des relargages cumulés sont comparés au bout de 64 jours aux seuils de conformité de l’essai de lixiviation dynamique sur monolithes du Soil Quality Decree (SQD) des Pays-Bas (tableau 40). Les concentrations inférieures à la limite de quantification n’ont pas été prises en compte dans le calcul du relargage cumulé sur 64 jours. Ainsi, les éléments mesurés sont tous relargués à des concentrations très inférieures aux seuils du SQD, ce qui signifie que les matériaux fabriqués à partir du sédiment marin correspondent aux attentes des produits de construction classiques aux Pays-Bas sur ce critère et d’un point de vue environnemental.

Le calcul des relargages cumulés à 64 jours apporte également des informations utiles pour la comparaison des matériaux fabriqués entre eux et l’effet de la présence des sédiments (tableau 40) :  Pour les 3 formulations d’assise routière (LA, LB, LC), on observe des différences de relargage cumulé à 64 jours pour Ba, Cu et les sulfates. Le relargage cumulé en Ba et en sulfates est un peu plus important (environs 40% de plus pour Ba et 60% pour les sulfates) pour la formulation avec le liant A qu’avec celles avec les liants B et C. Pour le Cu, le relargage cumulé à 64 jours est 75% plus important pour la formulation avec le liant A que pour la formulation intégrant le liant C. On note donc un effet du liant utilisé sur les valeurs de relargage.

 Par rapport aux 3 formulations d’assises routières testées dans cette étude, on observe que le relargage cumulé à 64 jours du matériau routier de l’ouvrage Freycinet est plus faible pour le Ba (2 à 3 fois moins de quantités relarguées) et les chlorures (2 à 3 fois mois également). A contrario, le relargage à 64 jours est plus élevé pour quelques éléments (Cu, Mo et Ni) et 2 à 3 fois plus élevé pour les sulfates. Il est possible que cette différence de relargage soit le résultat d’un changement de mécanisme principal de contrôle du relargage opéré durant le vieillissement du matériau (phénomène de carbonatation).

 Hormis pour le relargage du Cu, il n’y a pas de différences significatives de relargage cumulé à 64 jours entre les BCR contenant des sédiments. Pour le Ba, le relargage cumulé à 64 jours des BCR contenant des sédiments est plus élevé de 30 à 50% que celui du BCR témoin. Pour le V et les sulfates, le relargage cumulé à 64 jours est 2 à 3 fois plus important pour les BCR contenant des sédiments que pour le témoin. Pour les chlorures, le relargage cumulé à 64 jours est environs 10 fois plus important pour les BCR contenant des sédiments que pour le témoin. Par conséquent, la présence de sédiment modifie significativement le comportement à la lixiviation des BCR.

A défaut de pouvoir mettre en évidence les cinétiques de relargage des éléments traces métalliques et métalloïdes dans les produits de construction, le test de lixiviation dynamique sur les monolithes a permis de discriminer le potentiel de relargage des matériaux après 64 jours de lixiviation. Les résultats mettent clairement en évidence l’influence de la matrice sédimentaire, de la typologie des liants, et d’éventuels mécanismes d’évolution physico-chimiques (carbonatation de l’assise routière du Freycinet 12 après 3 ans) sur le potentiel de relargage des matériaux routiers.

MEMOIRE D’HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES 156 Tableau 40. Concentrations cumulées à 64 j pour les contaminants relargué dans les essais de lixiviation (norme NF EN

15863 [113]) sur les assises routières et les BCR comparés aux seuils du Soil Quality Decree (SQD) en mg/m²

Éléments Concentrations cumulées sur 64 jours en mg/m²

Seuils SQD

Assises routières Bétons Compactés Routiers (BCR) Liant A Liant B Liant

C Route Freycinet à 3 ans BCR 0/20 - 20% sédiment BCR 0/12,5 - 20% sédiment BCR - 0/12,5 Témoin As < 0,7 < 0,7 < 0,7 < 6 < 0,4 < 0,4 < 0,4 260 Ba 25,1 ± 1,1 18,2 ± 3,5 17,8 ± 3 8,7 ± 3,5 48,8 ± 1,6 54,9 ± 5,8 36,8 ± 2,2 1500 Cd < 0,04 < 0,04 < 0,04 < 0,2 < 0,04 < 0,04 < 0,04 3,8 Co - - - < 2 < 0,5 < 0,5 < 0,5 60 Cr < 0,07 < 0,07 < 0,07 < 1 < 0,06 < 0,06 < 0,06 120 Cu 7,1 ± 0,4 4,6 ± 3,1 4,0 ± 1,5 8,0 ± 1,5 2,3 ± 0,5 4,4 ± 0,4 0,3 98 Hg < 0,005 < 0,005 < 0,005 - < 0,4 < 0,4 < 0,4 1,4 Mo < 0,5 < 0,5 < 0,5 3,3 ± 0,5 < 0,3 < 0,3 < 0,3 144 Ni < 0,3 < 0,3 < 0,3 1,2 ± 0,4 < 0,2 < 0,2 < 0,2 81 Pb < 0,7 < 0,7 < 0,7 < 4 < 0,5 < 0,5 < 0,5 400 Sb < 1,6 < 1,6 < 1,6 < 7,3 < 0,5 < 0,5 < 0,5 8,7 Se < 0,7 < 0,7 < 0,7 < 4,6 < 0,7 < 0,7 < 0,7 4,8 Sn - - - - < 0,6 < 0,6 < 0,6 50 V - - - 6,7 ± 0,6 2,6 ± 0,1 2,8 ± 0,6 1,0 ± 0,1 320 Zn < 0,3 < 0,3 < 0,3 0,8 ± 0,6 < 0,2 < 0,2 < 0,2 800 Fluorures < 320 < 320 < 320 372 ± 191 < 320 < 320 < 320 2500 Chlorures 51432 ± 703 51280 ± 767 49510 ± 168 21310 ± 3181 12566 ± 518 13925 ± 927 1459 ± 102 110000 Sulfates 12030 ± 709 7749 ± 748 7489 ± 389 23677 ± 4912 3284 ± 118 3449 ± 668 1511 ± 65 165000

La conformité des matériaux fabriqués au regard du référentiel néerlandais est un résultat encourageant, cependant, en l’absence de seuils de conformité harmonisés à l’échelle européenne, l’usage ou la transposition directe de référentiels européens n’est pas envisageable car dans le domaine de la valorisation des matières premières secondaires chaque pays européen possède ses propres critères en matière de définition des seuils de protection environnementaux [140] (figure 71).

Figure 71. Localisation des points de conformité pour les critères d’acceptabilité environnementaux (GW : groundwater ; DW : Drinking Water ; SW : Surface Water) dans différents pays européens (Fr : France ; Dk, Denmark, Be : Belgium-

Flanders ; De : Germany, Se : Sweden ; Nl : Netherlands). WAC : Waste acceptance criteria for inert waste landfill. (d’après [140])

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Dans ce contexte, il convient donc de travailler à la définition d’une méthodologie nationale pour la détermination de seuils de conformité adaptés pour l’essai de lixiviation dynamique sur monolithes, ceci dans l’objectif de permettre la valorisation des matières premières secondaires dans le cadre de l’application du règlement sur les produits de construction. Dans cette optique, l’approche mécanistique permettant notamment d’intégrer d’éventuelles évolutions physico-chimiques des matériaux à long terme semble la plus pertinente pour la définition de tels seuils compte tenu de la grande variabilité des matrices (mortiers, bétons, coulis, etc.) et des matières susceptibles d’y être incorporées.

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6. Que cherche-t’on à savoir maintenant?