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Evaluation critique

Dans le document Le travail scientifique Interdisciplinaire (Page 133-135)

Chapitre 4 : Chemins plus ou moins frayés de la disciplinarité et l’interdisciplinarité

A. Evaluation critique

La question de l’évaluation de la recherche se fait selon des conditions très différentes selon que l’on se place ou non dans une arène purement académique. Dans les dossiers ouverts, c’est souvent la contribution à la cause et la qualité de la réponse à la demande sociale qui figurent comme les principaux leviers permettant une qualification des recherches produites. Comme on peut le lire dans le propos militant d’un acteur de la lutte antidopage :

C'était la première fois où il y avait autant de gens issus des sciences humaines qui expertisaient, que c'était donné à expertiser par les médecins ou des biologistes ou des pharmaciens, c'était donné à des gens qui sont plutôt compétents en la matière, des sociologues, des psychologues, enfin il y a beaucoup de personnes issues des sciences

humaines qui expertisaient ces... Mais bien sûr on arrivait des évidences bien sûr mais quasiment aucun outil qui se basait sur à qui c'était adressé, ce qui fait que quel que soit l'âge c'était le même discours, quel que soit le niveau d'étude. Par exemple, il y avait un outil spectaculairement, techniquement fabuleux, c'était des vidéos sur comment agir dans les études, dans les sites de classes, très très savant, très beau, ils étaient tous, quand ils présentaient en plus ces outils, ils étaient satisfaits, c'était vraiment narcissique, ils avaient un rapport de miroir à leur produit mais le problème c'est que derrière, c'était fait pour qui ? Il fallait être vraiment en licence de biologie pour comprendre (Entretien enquête MILDT 2002)

En ce qui concerne la recherche académique, elle est évaluée de façon informelle et formelle. D’une part, la tradition ethnographique de la sociologie des sciences, qui s’appuie sur des discussions « autour de la machine à café », permet de saisir comment deux collègues peuvent dénigrer, s’opposer ou s’interroger sur les enjeux d’un papier. N’ayant eu recours à ce type d’enquête sa qualification vis-à-vis de la disciplinarité et de l’interdisciplinarité, nous reste inaccessible. En revanche, nos observations participantes à des instances de recrutement nous ont permis d’enregistrer quelques commentaires. Prenons une première série d’échanges entre psychologues sur un poste fléché en « psychologie différentielle ». C’est donc la qualification disciplinaire qui se joue dans les remarques suivantes, lors de l’examen des différentes candidatures :

- « Profil pas tout à fait, directement, dans une perspective différentielle » - « Utilise les variables différentielles mais présente une perspective sociale » - « je prends le jury de thèse… [des noms spécialistes de la différentielle]»… - « mais le directeur de thèse est X ».

- D’accord. Il est entre les deux »

« Des méthodologies qui permettent d’être publiées… mais le fond n’est pas différentiel » « Elle a travaillé avec X… donc elle est proche de la différentielle »

« Peut-on dire que c’est de la métrique plus que de la psycho différentielle ? » « Les outils qu’il utilise sont vraiment des outils de différentielle »

« Elle est psychophysiologique plus près de la psychologie différentielle » « elle n’est pas ‘diff’ »

- quand tu as X dans ton jury

- ça ne suffit pas pour que tu sois diff - OK »

Ces échanges montrent l’importance de la référence disciplinaire et soulignent que la qualification de « psychologue différentialiste » se pose par rapport à une distance. On est proche, éloigné, pas tout à fait « diff » ; les ressorts du jugement sont à trouver dans des proximités avec des personnes

marquantes dans le champ, avec des outils ou des méthodologies… mais aussi dans les rapprochements avec d’autres disciplines (par exemple la métrique ou la psychosociologie).

Nous n’avons pas eu l’occasion d’observer des discussions concernant des candidats à un poste « interdisciplinaire ». Mais on a toutefois noté des allusions aux valences interdisciplinaires des candidats. Parfois on rappelle les articulations disciplinaires légitimes : « Le contrôle moteur, c’est soit une perspective ‘motricité mouvement’ soit ‘perception’… ».

- il est vraiment à l’interface psycho-physio

- elle a la psycho, et les sciences de la vie – elle a un pied dans chaque - Il faut voir… moi, je prends « comportement » au sens large

- Il est sur nouveau champ qui émerge : des neurosciences sociales - on a ici des conduites… mais sur des objets plus sociaux

Dans cette séquence, un dossier provenant de la praxéologie a été écarté : « dossier difficile à définir quant à la discipline de référence » assène un rapporteur. Ces échanges montrent combien le « bon » candidat doit mieux franchir les épreuves sur les conditions pour être interdisciplinaires : rester identifiable par rapport à une discipline. Soigner les modalités de convocation d’un autre champ qui ne doit apparaître pas comme une simple mobilisation d’outils. Mettre à distance les velléités transdisciplinaires. On retrouve les injonctions paradoxales que nous mentionnions en début de chapitre. Mais ce verbatim donne également à lire les ressorts de la qualification. L’inscription dans un rapprochement de deux disciplines qui commencent à être reconnues le fait de « tenir » deux champs disciplinaires conduisent assurément à une valorisation. Mais la nature de la « prise » est sujette à discussion. C’est sur quoi porte finalement la qualification : l’ancrage disciplinaire se fait-il exclusivement par des objets d’étude ou des concepts ? Par quel type de relations avec des acteurs importants de la discipline (une présence dans un jury ou une collaboration de longue durée) ? Par la mobilisation d’outils ou de variables ? En fait, il apparaît que c’est la façon dont sont agencées les marques d’inscription disciplinaires qui est sujette à discussion. Le consensus suppose de longs débats. Le verdict final est soumis à un vote qui permettra ou non aux candidats de défendre leur façons de tenir disciplinarité et interdisciplinarité même si cette épreuve n’est pas forcément cruciale par rapport aux autres qualités attendus.

Dans le document Le travail scientifique Interdisciplinaire (Page 133-135)