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Disputes disciplinaires

Dans le document Le travail scientifique Interdisciplinaire (Page 106-109)

Chapitre 3 : Figures de l’interdisciplinarité

C. Disputes disciplinaires

La recherche des formes critiques portant sur les disciplines scientifiques fait apparaître deux principales formes.

D’une part la question de la responsabilité des médecins, de spécialistes en sciences du sport, dans le dopage,… qu’ils proposent de gérer. Comme le reconnait une partie d’entre eux, les spécialistes de la médicine du sport, de façon distribuée, participent à l’augmentation des performances à l’instar du Professeur Dumas qui, dès 1965, problématise une tension qui structurera les définitions du dopage :

Il y a quelques années, une nation était en passe de se faire éliminer de la Coupe Davis. Les injections furent pratiquées par un médecin. Un joueur, épuisé la veille, reçut des injections massives de testostérone, se reprit magnifiquement le lendemain et permit à son pays d’être qualifié. Les injections furent pratiquées par un médecin. Doit-on considérer cette aide extra-sportive comme un traitement légitime de la fatigue ou comme un doping ? Aux dires de certains, il n'y a plus doping dès lors qu'il y a prescription et exécution sous la responsabilité d’un médecin. Il s'agit d’un traitement ou d’une préparation biologique. Dans l'état actuel des choses, ce serait, croyons-nous, officialiser le doping, en le débaptisant et en l'abandonnant au corps médical, ce qui nous paraît une hypocrisie et une illusion. Une hypocrisie, car il pourrait s'agir d’une fuite devant les problèmes que pose le sport moderne et d’un simple transfert des responsabilités. Une illusion, car le " fait d’être médecin n'atténue pas le danger que peut faire courir l'emploi de certains médicaments " (Pr. Plas). De nombreux auteurs se sont penchés sur le problème de la préparation et de la récupération du sportif de compétition. (Dumas, 1965)

On retrouve des critiques portées à tous les spécialités qui seules, ou collectivement, apportent directement ou non, une aide à la préparation physiologique du dopage. La question de la légitimité pour lutter contre ces pratiques problématiques, laquelle engage du même coup les modalités de l’interdisciplinarité, se pose. Parmi les arguments défendus, on retrouve d’un côté l’idée de la nécessité d’une connaissance des produits, des capacités à évaluer leurs effets, à les identifier dans des corps. De l’autre, on soulignera que l’on ne peut pas faire confiance à des gens qui peuvent jouer « le double rôle du gendarme et du délinquant » :

Le Pr Claus Clausnitzer, biologiste de talent, directeur du laboratoire accrédité par les autorités olympiques de Kreischa, en RDA, avait fait longtemps partie de la Commission médicale du CIO, et plus précisément de la sous-commission "dopage et biochimie", autrement appelée "antidopage". Le livre de Brigitte Berendonk ("Doping Dokumente von der Forschung zum Betrug", éd. Springer-Verlag, 1991) révéla la part de responsabilité qui lui revenait dans la vaste entreprise de dopage est-allemande. (Boix, Espada et Pointu, 1994)

D’autre part, on pointe le réductionnisme de certaines disciplines en appelant à prendre en compte la complexité du dopage et sa régulation. Notre travail sur l’énumération disciplinaire permet de repérer des appels à d’autres formes d’interdisciplinarité. Souvent précédée d’un déontique, pour rappeler « ce qui devrait être », la liste des disciplines scientifiques ou spécialités de chercheurs marque une volonté, un désir, une nécessité.

Beaucoup de zones d’ombre pourraient être levées avec une meilleure connaissance du phénomène : dans le domaine de la médecine par exemple, une vraie séméiologie du dopage doit être décrite. Elle devrait être enseignée à l'image de la médecine du sport, globale, transversale, (c'est-à-dire comporter de la psychologie, sociologie, pharmacologie, neurologie, hépatologie, biologie...). (Depiesse, Brissonneau, 2000)

La force du déontique pointe sur une première forme critique qui souligne l’oubli de certaines disciplines. C’est en fait la mainmise des médecins, dans toutes leurs spécialités qui est dénoncée. Les énumérations de spécialités de médecine (neurologie, épidémiologie, cancérologie…) font

apparaître en creux l’absence des sciences sociales. Lorsqu’elles interviennent dans le champ du dopage et de sa régulation, elles pointent souvent une analyse de la demande sociale – qui consiste à mettre à distance les qualifications institutionnelles – et l’organisation de ces activités. Parce qu’elles sont souvent exclus des dispositifs de lutte antidopage et parce l’analyse de ces organisations figurent parmi leur objet d’étude, les sciences sociales se montrent particulièrement critiques. Leurs cibles peuvent être leurs propres approches lorsqu’elles se focalisent sur un type d’acteur. C’est notamment le cas des études « systémiques » :

Nombreuses sont les disciplines, les sciences de la vie (physiologie, biologie, biomécanique, médecine...), les sciences humaines et sociales (psychologie, sociologie...) qui ont déjà été convoquées pour connaître le phénomène du dopage. Chacune de ces disciplines y a porté un regard singulier, un regard par définition limité au domaine scientifique concerné. Jusqu'alors, peu de tentatives ont été initiées permettant d’analyser le dopage selon plusieurs approches scientifiques simultanées et complémentaires. Or, un premier constat, empirique, met en évidence le caractère systémique du phénomène. L'observateur le moins éprouvé constatera sans difficulté que le dopage du sportif est d’abord un système, complexe, une toile où se fait prendre ce sportif qui en devient la victime. Le phénomène du dopage est bien un système, c'est-à- dire un contexte, un réseau d’acteurs divers orientés vers un même but, un ensemble complexe de jeux d’influence et de pouvoir. Seule une approche systémique pourrait permettre de rendre compte de ce phénomène. Le dopage est donc ontologiquement "organisé" non pas au sens où il serait le fruit d’une organisation occulte ou mafieuse (ce qui peut par ailleurs être le cas) mais plutôt celui d’une organisation réelle, logique, voire rationnelle qu'il convient d’aborder à distance, scientifiquement, notamment avec les outils théoriques et méthodologiques des sciences de l'organisation (Daniel Vailleau dans Libération, 14 juillet 2004).

En s’intéressant à l’organisation du dopage et de la lutte antidopage, les relations entre les biologistes, biomécaniciens, autres médecins du sport et les acteurs de l’entraînement figurent parmi leur objet d’étude. Il se créé du coup une asymétrie forte entre les différents champs scientifiques. D’un côté, des disciplines qui lorsqu’elles travaillent sur la performance ont des choses à dire et à comprendre sur le dopage, sur ces effets, sur la façon de le repérer, et éventuellement, sur des alternatives à ces pratiques problématiques. Assumant la complexité de l’objet, elles peuvent convoquer les sciences sociales mais en les contraignant par leur propre dénomination (épidémiologie sociale, biosociologie, neurosociologie,…) ou par des formules « molles » : des « variables sociales », « des facteurs sociaux »…. De l’autre, des champs disciplinaires qui peuvent éventuellement critiquer les premières pour leur responsabilité dans le problème à résoudre mais qui les prennent pour objet de leur étude.

Ces disputes disciplinaires pèsent lourdement dans les injonctions interdisciplinaires, sur les façons de mettre en scène leur réponse et sur les évaluations.

Chapitre 4 : Chemins plus ou moins frayés de la disciplinarité et

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