Chapitre III : Propriétés électriques des transistors à nanonets de silicium percolants
III. 3.2.5.4. Effet de la longueur du système
III.4. Etude expérimentale des transistors à nanonets de silicium percolants
III.4.1. Etude de l’effet de la passivation des nanonets sur les propriétés électriques
Nous avons vu dans le chapitre I que la passivation des NFs joue un rôle essentiel dans le fonctionnement
des transistors ainsi que des biocapteurs. D’une part, lorsque le dépôt de cette couche est optimisé, elle
peut réduire considérablement la densité de pièges à l’interface entre le NF et la couche ce qui permet de
diminuer notamment le comportement hystérétique et la pente sous le seuil des transistors. D’autre part,
selon le matériau choisi, cette passivation peut augmenter la stabilité chimique et la sensibilité des
biocapteurs. Ainsi, nous avons étudié l’effet de la passivation des nanonets sur les propriétés électriques
des transistors, notamment sur l’hystérésis, la pente sous le seuil et le courant à l’état On.
III.4.1.1. Comportement hystérétique des dispositifs
Un moyen pour visualiser le comportement hystérétique d’un transistor est de mesurer le courant de drain
lors d’un balayage aller-retour de la tension de grille. Nous observons sur un transistor à nanonet illustré
en Figure III-19(a) que, lorsque la polarisation de la grille varie d’une valeur positive à négative puis
positive, la caractéristique de transfert aller ne se superpose pas à celle obtenue lors du balayage retour.
Cette hystérésis est considérable puisqu’elle s’étend sur plusieurs dizaines de volt. Ce phénomène, discuté
précédemment dans la partie I.1.2.2 du chapitre I, est caractéristique d’un mécanisme de
piégeage-dépiégeage des porteurs qui se déroule au niveau de l’interface entre l’oxyde natif et la surface du NF. En
tenant compte de la vitesse de balayage qui est de l’ordre de quelques centaines de millivolt par seconde,
nous pouvons en déduire que ces pièges interagissent lentement avec l’interface.
Figure III-19 : Etude du comportement hystérétique d’un transistor à nanonet de Si avec une longueur de canal de
20 𝜇𝑚 (volume de suspension de NFs filtrée de 10 𝑚𝐿 soit une densité d’environ 23 × 106 𝑁𝐹𝑠. 𝑐𝑚−2). (a)
Illustration du sens du balayage en tension de grille. (b) Variation de la gamme de balayage en tension de grille
notée ∆𝑉𝑔.
-20 -10 0 10 20
10
-1310
-1210
-1110
-1010
-910
-810
-710
-6L
c=20 m
V
d= -4V
I d
(A
)
Vg (V) -20 -10 0 10 20
10
-1310
-1210
-1110
-1010
-910
-810
-710
-6Vg (V)
I d
(A
)
V
g=50V
V
g=40V
V
g=30V
V
g=20V
L
c=20 m
V
d= -4V
(a) (b)
128
Par ailleurs, on remarque également sur la Figure III-19(b) que la largeur de l’hystérésis et le courant à
l’état On diminuent au fur et à mesure que la gamme de balayage en tension de grille (∆𝑉𝑔) se resserre.
Cela peut provenir d’un mécanisme de remplissage ou vidage des pièges à l’interface entre le NF et l’oxyde
qui s’amoindrit lorsque la tension de grille diminue en valeur absolue. Un tel effet de « mémoire » lié aux
pièges est préjudiciable puisque cette dépendance en tension de grille pourrait compromettre le
fonctionnement du capteur.
D’après des travaux de thèse antérieurs réalisés au LTM (Rosaz, 2012), le même phénomène a été observé
sur des transistors à NF unique de silicium en raison de l’oxyde natif présent naturellement autour du NF.
Par conséquent, nous nous sommes donc focalisés sur le remplacement de cet oxyde natif par une autre
couche de passivation.
III.4.1.2. Choix de la couche passivante et protocole expérimental
Les oxydes de silicium (SiO2), d’aluminium (Al2O3) et d’hafnium (HfO2) sont généralement utilisés dans la
littérature pour passiver les NFs (Noor and Krull, 2014). Pour notre étude, nous avons opté pour l’alumine
pour deux raisons principales :
D’après la littérature, ce matériau offre une meilleure stabilité chimique que le dioxyde de
silicium8 tout en conservant une excellente sensibilité (Reddy et al., 2011; Zhou et al., 2014).
L’alumine (lorsqu’elle n’est pas cristallisée sous forme de saphir) peut être retirée aisément par
une gravure à l’acide fluorhydrique de type BOE (Williams et al., 2003) contrairement au dioxyde
d’hafnium qui est très stable chimiquement et donc difficile à graver. Cette remarque est très
importante puisque cela permet de déposer l’alumine sur l’ensemble des nanonets puis de la
retirer, au BOE, uniquement dans les ouvertures de la résine avant l’évaporation des contacts
source/drain. Ce procédé est ainsi identique à celui développé pour retirer l’oxyde natif avant le
dépôt des contacts.
Nous avons opté pour un procédé de dépôt par couche atomique noté ALD (acronyme de « atomique layer
deposition ») car cette méthode, décrite en Annexe A.1.3.2, offre la possibilité de déposer des couches
homogènes et conformes de quelques nanomètres d’épaisseur. D’un point de vue expérimental, le dépôt
a été réalisé après le frittage des nanonets. Pour cela, l’oxyde natif a été au préalable retiré à l’aide d’une
gravure par BOE puis les échantillons ont été nettoyés à l’EDI et enfin séchés sous un flux d’azote.
Immédiatement après cette dernière étape, ils ont été placés dans le bâti d’ALD à 250°𝐶 pour procéder
au dépôt (modèle Fiji F200 de la marque Cambridge NanoTech Inc.).
Plusieurs épaisseurs d’alumine de 2, 4, 6, et 8 𝑛𝑚 ont été déposées afin d’étudier l’effet de l’épaisseur de
la couche sur les propriétés électriques. Il est important de préciser que l’épaisseur maximale a été choisie
de telle sorte à éviter une encapsulation complète des NFs dans une couche mince car, le cas échéant, la
8
R. Bange, E. Bano, L. Rapenne, S. Labau, B. Pelissier, M. Legallais, B. Salem, and V. Stambouli, “Chemical Stability of
Si-SiC Nanostructures under Physiological Conditions,” Mater. Sci. Forum, vol. 897, pp. 638–641, May 2017. <doi:
10.4028/www.scientific.net/MSF.897.638>
129
surface spécifique provenant des NFs serait considérablement réduite. Un dépôt d’une couche de 8 𝑛𝑚
d’alumine reste relativement faible par rapport au diamètre moyen des NFs (39 𝑛𝑚).
III.4.1.3. Comparaison des propriétés électriques de transistors à nanonet
passivé et non-passivé
Afin de mener une étude comparative rigoureuse, un transistor composé d’un nanonet passivé avec 8 𝑛𝑚
d’alumine a été mesuré dans les mêmes conditions que le précédent dispositif de la Figure III-19 (𝑉𝑓𝑖𝑙𝑡𝑟é𝑒=
10 mL, 𝐿𝑐 = 20 μm, 𝑉𝑑= −4𝑉). Dans un premier temps, les caractéristiques de transfert de ce dispositif
ont été mesurées pour une gamme variable de balayage en tension de grille (∆𝑉𝑔) comme l’illustre la Figure
III-20(a). Pour ce transistor, nous constatons que la largeur de l’hystérésis se réduit considérablement
lorsque l’amplitude de balayage en tension de grille diminue. De plus, le courant à l’état On du transistor
varie faiblement même si ∆𝑉𝑔 diminue, contrairement au transistor composé d’un nanonet non-passivé.
Figure III-20 : (a) Caractéristiques de transfert pour différentes gammes de balayage en tension de grille d’un
transistor à nanonet de Si passivé avec 8 𝑛𝑚 d’alumine. (b) Comparaison des caractéristiques de transfert d’un
transistor à nanonet de Si non-passivé et passivé avec 8 𝑛𝑚 d’alumine. Pour (a) et (b), le volume de suspension
de NFs filtrée est de 10 𝑚𝐿 soit une densité d’environ 23 × 106 𝑁𝐹𝑠. 𝑐𝑚−2.
Dans un second temps, nous avons comparé les caractéristiques de transfert du transistor à nanonet de Si
passivé (avec 8 𝑛𝑚 d’alumine) et non-passivé pour ∆𝑉𝑔= 50 𝑉 (Figure III-20(b)). Outre une diminution
drastique de l’hystérésis, nous observons une augmentation du courant à l’état On de 3 ordres de
grandeur et une importante réduction de la pente sous le seuil (𝑆𝑆) qui évolue de 5,8 𝑉. 𝑑𝑒𝑐−1pour le
nanonet non-passivé à 1,1 𝑉. 𝑑𝑒𝑐−1pour celui passivé.
Une telle diminution de la pente sous le seuil est une preuve formelle d’une réduction de la densité de
pièges d’interface grâce à la passivation des NFs avec l’alumine. La densité de pièges d’interface dans la
bande interdite, notée 𝐷𝑖𝑡, peut-être estimée à l’aide de l’équation ci-dessous et la pente sous le seuil (𝑆𝑆)
extraite précédemment (Joo et al., 2013a) :
𝐷𝑖𝑡 ≈ ( 𝑆𝑆. 𝑒
ln (10)𝑘𝐵𝑇− 1)
𝐶𝑜𝑥
𝑒 Equation III-25
𝑘𝐵 est la constante de Boltzmann (1,38 × 10−23 𝐽. 𝐾−1), 𝐶𝑜𝑥 capacité du diélectrique de grille, 𝑇 la
température et 𝑒 la charge élémentaire (1,6 × 10−19 𝐶). 𝐷𝑖𝑡 s’exprime en 𝑐𝑚−2. 𝑒𝑉−1. Pour l’évaluer, il
est nécessaire de connaître la capacité du diélectrique de grille. Or, d’après l’analyse bibliographique vue
(a) (b)
-20 -10 0 10 20
10
-1310
-1210
-1110
-1010
-910
-810
-710
-6
I d
(A
)
Vg (V)
V
g=50V
V
g=40V
V
g=30V
V
g=20V
V
d= -4V
L
c=20m
-20 -10 0 10 20
10
-1310
-1210
-1110
-1010
-910
-810
-710
-6SS=5,8 V.dec
-1
I d
(A
)
Vg (V)
V
d= -4V
L
c=20m
Passivé
Non-passivé
SS=1,1 V.dec
-1>10
3130
précédemment, cette capacité dépend de la densité de NFs et de l’épaisseur de diélectrique comme cela
est illustré sur la Figure III-2 (page 95). A partir des données de cette figure et de nos données
expérimentales (taux de recouvrement de 6 % pour un volume de suspension de NFs filtrée de 10 𝑚𝐿 et
diélectrique de grille de 200 𝑛𝑚), nous pouvons faire l’hypothèse qu’un modèle de capacité plane donne
une bonne approximation de la capacité de grille pour nos échantillons. Par conséquent, elle peut être
calculée à partir de l’équation standard utilisée pour les couches minces (Equation III-6 de la page 96).
D’après les caractéristiques du nitrure de silicium (Si3N4) qui constitue le diélectrique de grille des
transistors (𝜀𝑟 = 7,5 et 𝑡𝑜𝑥 = 200 𝑛𝑚), la capacité surfacique obtenue est de 𝐶𝑜𝑥 = 33 𝑛𝐹. 𝑐𝑚−2. A
température ambiante, nous pouvons alors en déduire la densité surfacique de pièges d’interface, notée
𝑁𝑖𝑡, pour chacun des dispositifs en intégrant 𝐷𝑖𝑡 sur la bande interdite de Si et en supposant une
répartition uniforme des niveaux de pièges dans la bande interdite :
Nanonet non-passivé : 𝑁𝑖𝑡 = 2 × 1013 𝑐𝑚−2.
Nanonet passivé : 𝑁𝑖𝑡 = 4 × 1012 𝑐𝑚−2.
Cette réduction d’un ordre de grandeur de la densité de pièges grâce à l’alumine montre que l’oxyde natif
est effectivement de très mauvaise qualité diélectrique. Nous avons vu dans le chapitre I que les pièges
d’interface peuvent être localisés à des positions plus ou moins éloignées par rapport à l’interface entre le
Si et le SiO2. Des mesures de bruit sont couramment utilisées pour déterminer la localisation de ces pièges
et seront réalisées ultérieurement sur ces dispositifs durant les travaux de thèse de Thibauld Cazimajou
qui ont débuté en Septembre 2016.
Il est intéressant d’ajouter que lorsque le nanonet est passivé (Figure III-20(b)), le courant à l’état On
augmente d’un facteur 103tandis que le courant à l’état Off reste globalement constant. Par conséquent,
le rapport 𝐼𝑂𝑛/𝐼𝑂𝑓𝑓évolue alors de 70 pour le nanonet non-passivé à 6 × 104 lorsqu’il est passivé. Une
telle augmentation est en accord avec les remarques précédentes et montre que la grande quantité de
pièges lorsque les NFs sont recouverts de leur oxyde natif dégrade aussi considérablement la mobilité des
porteurs.
Nous pouvons en conclure que la passivation des NFs avec l’alumine, en remplacement à l’oxyde natif,
permet d’améliorer drastiquement les performances électriques des transistors (hystérésis, 𝑆𝑆, 𝐼𝑂𝑛 et
𝐼𝑂𝑛/𝐼𝑂𝑓𝑓) grâce à une réduction notable de la densité de pièges. Outre cette amélioration, l’alumine
permettra aussi d’améliorer la stabilité chimique et la sensibilité des futurs biocapteurs. Au regard de
l’avantage incontesté apporté par la passivation, nous avons aussi étudié l’influence de l’épaisseur de
l’alumine sur les propriétés électriques des transistors.
III.4.1.4. Effet de l’épaisseur de l’alumine sur les propriétés électriques des
transistors
L’effet de l’épaisseur de l’alumine sur les propriétés électriques des transistors a été étudié dans les
mêmes conditions que précédemment (𝑉𝑓𝑖𝑙𝑡𝑟é𝑒 = 10 mL, 𝐿𝑐= 20 μm, 𝑉𝑑= −4𝑉). En raison des
précédentes observations, nous avons étudié l’évolution du courant à l’état On (𝐼𝑂𝑛) et la pente sous le
seuil (𝑆𝑆) en fonction de l’épaisseur d’alumine. Pour cela, nous avons mesurée entre 7 et 20 transistors
par épaisseur d’alumine puis reporté, sur la Figure III-21, les valeurs extrémales pour les grandeurs
étudiées.
131
Figure III-21 : Valeurs extrémales (a) du courant à l’état On (à 𝑉𝑔= −25 𝑉) et (b) de la pente sous le seuil en
fonction de l’épaisseur d’alumine pour une longueur de canal de 20 𝜇𝑚 (volume de suspension de NFs filtrée de
10 𝑚𝐿 soit une densité d’environ 23 × 106 𝑁𝐹𝑠. 𝑐𝑚−2). La tension de drain appliquée est de 𝑉𝑑= −4 𝑉. Cette
étude statistique a été réalisée avec un échantillonnage de 7 à 20 transistors par épaisseur d’alumine.
D’après la Figure III-21(a) et (b), nous constatons, d’une part, que le courant à l’état On augmente
considérablement avec l’épaisseur d’alumine puisqu’il évolue d’environ 10−10 𝐴 pour un nanonet
non-passivé à 10−6 𝐴 pour un nanonet passivé avec 8 𝑛𝑚 d’Al2O3. D’autre part, la pente sous le seuil diminue
d’un facteur environ 2,5 lorsque l’épaisseur d’alumine passe de 0 à 8 𝑛𝑚. Nous remarquons également
une stabilisation de ces deux paramètres pour une épaisseur d’alumine supérieure à 6 𝑛𝑚 ainsi qu’une
diminution remarquable de leur dispersion. Ces améliorations conséquentes confirment que l’alumine
réduit considérablement la densité de pièges située à l’interface Si/oxyde et qu’une épaisseur de 6 à 8 𝑛𝑚
est nécessaire pour obtenir un dépôt d’alumine de bonne qualité diélectrique qui contient une faible
densité de pièges.
Grâce à cette nette amélioration des propriétés électriques, nous avons dans un premier temps étudié le
fonctionnement des transistors constitués de nanonets passivés avec 8 𝑛𝑚 d’alumine.
Dans le document
Conception, étude et modélisation d’une nouvelle génération de transistors à nanofils de silicium pour applications biocapteurs
(Page 142-146)