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Chapitre II - La powellite, une solution solide au sein du verre de confinement

II. Effets de l’incorporation d’éléments mineurs et traces dans la structure

1. Etude de l’hétérogénéité de la powellite kazakhe

a. Identification des éléments incorporés

Observée au microscope en lumière naturelle ainsi qu’au MEB en électrons secondaires (Figure 54), la face obtenue par abrasion puis polissage du grain de powellite kazakhe semble homogène. Cependant, la même face analysée en électrons rétrodiffusés (BSE) montre une zonation très marquée (Figure 54). L’échantillon semble être en fait constitué de plusieurs grains qui ont cristallisé à partir de « cœurs » plus légers (apparaissant plus sombres sur l’image MEB BSE). Ensuite, au cours de la croissance, la teneur en éléments lourds variant, le cristal final obtenu est ainsi zoné.

Figure 54 : Image MEB en électrons secondaires (a) et rétrodiffusés (b) de l'échantillon de powellite kazakhe.

Cette hétérogénéité s’observe également en cathodoluminescence (CL) optique et cathodoluminescence MEB (Figure 55) mais en négatif des images BSE. En effet, les zones les plus claires sont celles dont la luminescence est la plus intense et elles correspondent aux zones sombres en BSE (Figure 54).

Afin corréler les images CL avec les éléments potentiellement responsables de la luminescence, des cartographies élémentaires ont été réalisées à la microsonde électronique (Figure 56). Elles permettent de mettre en évidence une hétérogénéité de concentration de divers éléments dans l’échantillon. La majorité des terres rares est présente dans tout l’échantillon mais une zone fine plus concentrée entoure les zones à fortes concentrations en Pb. L’yttrium se distingue également par son absence dans les « cœurs légers » des échantillons.

La comparaison des cartographies de l’uranium et du plomb montre que même s’il existe une zone commune très riche en ces deux éléments au contact avec les « cœurs légers », il existe ensuite deux zones distinctes riches en un des deux éléments. Le Pb se concentre sur un large anneau autour des « cœurs légers » tandis que l’uranium est très présent en bordure de l’échantillon.

Figure 56 : Cartographies élémentaires réalisées à la microsonde électronique de la powellite kazakhe pour Ce, Nd, Pr, Y, U et Pb.

b. Types de substitutions dans une structure de type powellite

Plusieurs types de substitutions peuvent avoir lieu dans une structure de type powellite :

- substitution du Mo par des éléments hexavalents comme le W [15, 110, 111]

(CaMoO4 étant le pôle molybdique de la scheelite),

- substitution du Ca par des éléments divalents comme le Sr [112], le Mg ou le Pb, - substitution de deux Ca2+ par un couple X3+-Y+ [48],

- substitution de type Ca2+ + Mo6+↔ X3+ + Z5+ [41, 42], - substitution de type 3Ca2+↔ 2X3+ + [11].

La cartographie du Mo par microsonde électronique est assez homogène (Figure 57) ce qui indique que s’il y a des substitutions sur le site Mo, elles sont de même quantité sur tout l’échantillon (en tous cas, les variations sont en dessous de la résolution de la microsonde). A l’inverse, la cartographie de Ca est hétérogène. Il y a donc des variations dans le taux de substitution sur le site calcium.

Figure 57 : Images de la surface polie de l'échantillon kazakh en MEB BSE (a) et cartographie élémentaire microsonde associée de Ca (b) et Mo (c).

Les cartographies élémentaires ont permis d’avoir une information sur les éléments les plus concentrés mais sont limitées pour les éléments en traces. Il a donc été décidé de réaliser un profil (Figure 58) en ablation laser couplée avec un spectroscope de masse (LA-ICP-MS).

Cette analyse permet de déterminer avec une grande précision la composition de l’échantillon pour chaque point analysé (cf. annexe VII).

c. Incorporation d’éléments sur le site molybdène

De tous les éléments analysés, un seul a un état d’oxydation et un rayon ionique compatible avec le site molybdène, le tungstène, et ce dans des concentrations très faibles. Le tungstène étant lui aussi hexavalent et de rayon ionique presque identique au Mo (0,420 Ǻ pour W et 0,410 Ǻ pour Mo [113]), la substitution se fait sans compensation de charge, CaMoO4-CaWO4 forme une solution solide déjà très étudiée [110]. Bien que cette substitution soit habituellement courante dans les échantillons naturels [110, 114, 115], l’échantillon kazakh présente un taux de substitution du tungstène sur le site du molybdène toujours inférieur à 0,1 %. Ceci semble indiquer une absence de tungstène dans l’environnement de cet échantillon lors de sa cristallisation.

Ces très faibles quantités de tungstène analysées lors du profil confirment les résultats obtenus sur la cartographie élémentaire (Figure 56), la grande majorité des traces de cet échantillon s’incorpore sur le site Ca.

d. Incorporation d’éléments sur le site calcium

La première catégorie d’éléments pouvant se substituer au calcium dans la structure powellite, sont ceux qui, comme le calcium, sont divalents. Deux éléments (Sr et Pb) se substituent de cette manière en quantités notables au calcium. La concentration en strontium est constante le long du profil (Figure 59) tandis que le profil du plomb n’est, lui, pas constant mais présente deux pics de concentration (Figure 61).

Tous les autres éléments ne peuvent s’incorporer que sur le site calcium même si leur état d’oxydation est différent. Ces éléments sont en majorité trivalents. L’arsenic (Figure 59) a un profil de concentration constant, tandis que le fer possède, lui, un pic de concentration.

Le fer peut se trouver sous deux états d’oxydation (divalent et trivalent) mais la détection, en photoluminescence, d’une bande pouvant être attribuée au Fe3+ (Figure 68), semble indiquer une incorporation du fer sous sa forme trivalente.

La majorité des terres rares, trivalentes, possèdent le même profil, les zones de fortes concentrations étant situées vers 30, 150 et 230 µm (Figure 60). Seules deux terres rares possèdent des profils différents, Ce (qui reste très proche des autres terres rares) et La. Il est

intéressant de noter que la concentration en Y (trivalent, lui aussi) est à peu près égale à celle de la totalité des terres rares (Figure 62).

0 50 100 150 200 250 kazakhe (à gauche). Les trois terres rares les plus concentrées (La, Ce et Nd) ont été séparées des autres (à

pour cet échantillon. L’uranium doit donc être incorporé dans la powellite sous sa forme tétravalente.

L’uranium et le plomb sont deux éléments dont le comportement est particulièrement intéressant dans le cadre de cette étude. En effet, le suivi des effets causés par la désintégration de l’uranium peut être un bon indicateur de la résistance de la powellite à l’auto irradiation.

L’uranium et le plomb ont des profils voisins mais pas identiques (Figure 61).

L’uranium présente trois pics où sa concentration est très élevée aux positions 50, 130 et 265 µm qui ne correspondent pas toujours aux zones les plus enrichies en plomb. La majorité du plomb ne provient donc pas de la désintégration de l’uranium mais bien d’une incorporation de plomb stable - non radiogénique - lors de la cristallisation.

0 50 100 150 200 250

0.000 0.005

0.010 U

Pb

Concentration molaire

Distance (µm)

Figure 61 : Profils de concentration de l’uranium et du plomb mesurés par LA-ICP-MS le long de la powellite kazakhe.

D’après la partie A.II.1.b, trois types de substitutions peuvent permettre l’incorporation d’éléments trivalents dans la structure de la powellite :

- substitution de deux Ca par un couple X3+-Y+ [48], - substitution de type Ca2+ + Mo6+↔ X3+ + Z5+ [41, 42], - substitution de type 3Ca2+↔ 2X3+ + [11].

Aucun élément pouvant présenter un état d’oxydation 5+ n’a été mesuré dans des concentrations suffisantes.

Le seul élément mesuré pouvant présenter un état d’oxydation 1+ est le Na et son profil (Figure 62) suit très bien ceux de l’yttrium et des terres rares. Cependant, si la concentration en Na est supérieure à celle des terres rares, elle est généralement inférieure à celle de l’yttrium et donc à la somme terres rares + Y. Tous les éléments 3+ ne sont donc pas compensés et cet échantillon kazakh doit donc avoir des lacunes dans sa structure afin de préserver sa neutralité électronique.

0 50 100 150 200 250

0,00 0,01 0,02 0,03

REEs Na

Concentration molaire

Distance (µm)

Y

Figure 62 : Profils de concentration de l'Y, du Na et de la somme des terres rares mesurés par LA-ICP-MS le long de la powellite kazakhe.

Aucune donnée bibliographique n’a été trouvée au sujet de la compensation de charge lors de l’intégration d’éléments tétravalents dans la structure powellite. Etant donné que la concentration en Na+ n’est pas suffisante pour compenser les éléments trivalents et que ceux-ci sont déjà compensés par des lacunes, la charge de l’uranium doit être sûrement elle aussi compensée par des lacunes.

e. Histoire de la cristallisation

Le schéma de la Figure 63 synthétise les principaux évènements de l’histoire de la cristallisation de l’échantillon kazakhe.

Formation des « cœurs légers », contenant Ce, Nd, Pr et Fe

Apport d’uranium et de plomb

Pic d’incorporation des différentes terres rares (sauf Nd) et de l’yttrium

Fluctuations de la composition Apport de plomb

C h ro n o lo g ie d e la c ri s ta lli s a tio n

Formation des « cœurs légers », contenant Ce, Nd, Pr et Fe

Apport d’uranium et de plomb

Pic d’incorporation des différentes terres rares (sauf Nd) et de l’yttrium

Fluctuations de la composition Apport de plomb

Formation des « cœurs légers », contenant Ce, Nd, Pr et Fe

Apport d’uranium et de plomb

Pic d’incorporation des différentes terres rares (sauf Nd) et de l’yttrium

Fluctuations de la composition pourrait ainsi s’écrire sous la forme Ca0,92X0,08MoO4).