SoitEunk-espace vectoriel, etf : E →kun ´el´ement deE∗− {0}. SoitF l’hyperplan de E ´egal `a kerf, etA =f−1({1});A est alors un hyperplan affine de direction F de E muni de sa structure affine canonique.
Soit ρ : E − {0} → P(E) la surjection canonique, Y = P(F) ⊂ X = P(E) l’hyperplan projectif associ´e `a F, et C=X−Y le compl´ementaire de Y dans X.
Lemme.- On aρ(A) =C, et la restriction de ρ `a A est une bijection de A sur C.
D´emonstration. En effet, ρ−1(Y) = F − {0}; comme F − {0} ∩A = ∅, ρ(A) ⊂ X−Y =C. Soit `a pr´esent P ∈C, et v ∈ E tel que ρ(v) =P. Comme v 6∈F, on a f(v)6= 0; si w=v/f(v), on aw∈Aet ρ(w) =P. Doncρ(A) =B. Il reste `a montrer que ρ/A : A → C est injective. Si ρ/A(v) = ρ/A(w), il existe λ∈ k∗ tel que w = λv, doncf(w) =λf(v). Mais f(v) =f(w) = 1, donc λ= 1,v=w, etρ/A est injective.
Par suite, par transport de structure `a l’aide la la bijection ρ/A, l’ensemble C est muni de fa¸con naturelle d’une structure d’espace affine de directionF.
D´efinition 7.4.1 SoientE un espace vectoriel etf ∈E∗ une forme lin´eaire non nulle.
L’hyperplan projectifH∞ image de kerf− {0} dans X=P(E) s’appelle l’hyperplan `a l’infini deP(E)associ´e `af. Le compl´ementaireCdeH∞dans X, muni de sa structure naturelle d’espace affine de direction kerf, s’appelle l’espace affine de X associ´e `a f. Proposition 7.4.1 On conserve les hypoth`eses et les notations pr´ec´edentes. Soit k un entier≥0, soit Ak l’ensemble des sous-espaces affines de dimensionk deC, et Pk l’ensemble des sous-espaces projectifs deP(E) de dimensionknon contenus dansH∞. L’application φ: Pk→Ak d´efinie par φ(Y) =Y ∩C est une bijection. De plus, si G est le sous-espace de E tel que Y =P(G), la direction deφ(Y) est ´egale `a F∩G.
D´emonstration. Montrons tout d’abord que φ(Y) est bien un sous-espace affine de C. Soit ρ : E − {0} → P(E) la surjection canonique, et G = {0} ∪ρ−1(Y) le sous-espace deE de dimension k+ 1 tel queY =P(G). Comme G n’est pas contenu dans F, il existea∈Gtel quef(a)6= 0; en rempla¸cantapara/f(a), on peut donc supposer quea∈A. On a alors A∩G=a+G′, o`u G′ =G∩F; donc, la structure affine deC
´etant celle obtenue par transport de structure `a partir de la bijection ρ/A : A → C, ρ(A∩G) =C∩Y est un sous-espace affine de dimension k, et de directionG∩F.
R´eciproquement, soit ψ : A → P l’application ainsi d´efinie: si M est un sous-espace affine non vide de C, de direction V ⊂F, et sic =ρ(a) est un ´el´ement de M, o`ua∈A,ψ(F) =P((a)⊕V − {0}).
Il est alors clair que ψ◦φ= Id etφ◦ψ= Id, d’o`u le r´esultat.
Corollaire.-Avec les hypoth`eses et notations ci-dessus, deux sous-espaces affines M et M′ de C ont mˆeme direction si et seulement si φ−1(M)∩H∞=φ−1(M′)∩H∞. Remarque.-On a coutume d’identifier, via la bijectionφ, les sous-espaces affines deC et les sous-espaces projectifs deP(E) non contenus dans H∞. Le corollaire pr´ec´edent peut alors s’´enoncer en disant que deux sous-espaces affines deC ont mˆeme direction si et seulement si leurs points `a l’infini sont les mˆemes.
Supposons `a pr´esent que E soit de dimension n+ 1, soit B = {e1, . . . , en+1} une base deE, et soitf =e∗n+1. L’hyperplanF = kerf est alors engendr´e par (e1, . . . , en), il admet comme ´equation cart´esienne xn+1= 0, et l’espace affineA a comme ´equation cart´esiennexn+1 = 1. L’espace projectif est union disjointe de son hyperplan `a l’infini H∞ (dont les ´el´ements ont comme coordonn´ees projectives (x1 :. . . :xn : 0), l’un au moins desxi´etant non nul), que l’on peut identifier au moyen de la bijection (x1 :. . .: xn: 0)7→(x1:. . .:xn) `a l’espace projectif Pn−1(k) et de l’espace affineCde direction F dont les ´el´ements ont comme coordonn´ees projectives (x1 :. . . :xn : 1), et que l’on peut identifier `a l’espace affinekn par la bijection (x1, . . . , xn: 1)7→(x1, . . . , xn).
Siv= (y1, . . . , yn,0) est un ´el´ement de F, la translationtv : C→C est d´efinie par tv(x1, . . . , xn,1) = (x1+y1, . . . , xn+yn,1).
Soit `a pr´esentf : E →E un isomorphisme, et ˜f : X→X l’homographie associ´ee.
Soientli les formes lin´eaires telles quef(x) = (l1(x), . . . , ln+1(x)).
Pour toutx= (x1, . . . ,1)∈A tel queln+1(x)6= 0, on a
f˜(x1 :. . .:xn: 1) = (l1(x)/ln+1(x) :. . .:ln(x)/ln+1(x) : 1).
7.4.1 Le cas de la droite projective
Supposons queE =k2. L’espace P(E) est alors la droite projective canonique P1(k);
elle est form´ee de l’union disjointe du point `a l’infini not´e∞(de coordonn´ees projectives (1 : 0)) et de l’espace affine form´e des points de coordonn´ees projectives (x : 1), lui-mˆeme en bijection aveck, muni de sa structure naturelle de droite affine. On peut donc identifier la droite projectiveP1(k) aveck∪ ∞; tout ´el´ement deP1(k), de coordonn´ees projectives (x:y), s’identifie ainsi `a l’´el´ement x/y dek∪ ∞ (avec la r`eglex/0 =∞)1.
Soit `a pr´esentf : E→E un isomorphisme, de matrice associ´ee a b c d
!
.Comme on l’a vu plus haut, six= (x1 : 1) est tel quecx1+d6= 0, on a ˜f(x) = ((ax1+b)/(cx1+ d) : 1, c’est-`a-dire, en identifiant C `a k, ˜f(x) = (ax+b)/(cx+d).
En particulier, si k est infini, l’homographie ˜f s’identifie `a la fraction rationnelle (dite homographique) (aX +b)/(cX+d).
Une fonction homographiquex7→(ax+b)/cx+d) peut ainsi ˆetre interpr´et´ee comme une application (x :y) 7→ (ax+by :cx+dy) de P1(k) dans P1(k). L’image de −d/c est le point `a l’infini, et l’image du pointt `a l’infini est a/c.
Ceci explique aussi le fait bien connu que la compos´ee de deux fonctions homo-graphiques associ´ees `a des matrices m etm′ est la fonction homographique associ´ee `a mm′.
D´efinition 7.4.2 Soit X une droite projective, et A, B, C, D quatre points de D tels que (A, B, C) soient distincts. Soit f : X → P1(k) l’unique homographie telle que f(A) = ∞ = (1 : 0), f(B) = 0 = (0 : 1) et f(C) = 1 = (1 : 1). Le birapport [A, B, C, D] de A, B, C, D est l’´el´ement de P1(k) ´egal `a f(D).
Proposition 7.4.2 Soient A, B, C trois points distincts d’une droite projective X.
Pour toutx∈P1(k), il existe un unique point D tel que [A, B, C, D] =x.
D´emonstration. C’est ´evident, l’homographie f d´efinissant le birapport ´etant bijec-tive.
Proposition 7.4.3 SoientDetD′ deux droites projectives,(Ai), (resp. (A′i)),1≤i≤ 4quatre points distincts deD(resp. deD′). Il existe une homographieg: D→D′ telle queg(Ai) =A′i, pour 1≤i≤4, si et seulement si [A1, A2, A3, A4] = [A′1, A′2, A′3, A′4].
D´emonstration. Soit f : D → P1(k) (resp. f′ : D′ → P1(k)) l’homographie telle que f(A1) = f′(A′1) = ∞, f(A2) = f′(A′2) = 0 et f(A3) = f′(A′3) = 1. Soit g=f′−1◦f : D→D′;gest l’unique homographie dont les images deA1, A2 etA3 sont A′1,A′2 etA′3. L’´egalit´e [A1, A2, A3, A4] = [A′1, A′2, A′3, A′4] ´equivaut `a f(A4) = f′(A′4), soit g(A4) =A′4), d’o`u la proposition.
Proposition 7.4.4 Soient a, b, c, d quatre ´el´ements distincts de k ⊂ P1(k). On a [a, b, c, d] = ((d−b)/(d−a) : (c−b)/(c−a)).
1D’o`u la notation (x : y), puisque l’identification de (x : y) = (x/y : 1) avec x/y peut s’´ecrire x:y=x/y.
D´emonstration. En effet, l’homographie f : P1(k) sur P1(k) d’efinie par f((x : y)) = ((x−by)(c−a) : (x−ay)(c−b)) est bien telle quef((a: 1)) =∞,f((b: 1)) = 0 et f((c : 1)) = 1. Donc [a, b, c, d] = f((d : 1)) = ((d−b)(c−a) : (d−a)(c−b)) = ((d−b)/(d−a) : (c−b)/(c−a)).
Remarque 1.- Par suite, via l’identication P1(k) =k∪ {∞}, [a, b, c, d] = (d−b)(c− a)/(d−a)(c−b).
Remarque 2.- La proposition 7.4.3 implique donc que, si f : P1(k) → P1(k) est une homographie donn´ee par f(x) = (ux+v)/(wx +t), on a, pour tout quadruplet (a, b, c, d), [f(a), f(b), f(c), f(d)] = [a, b, c, d] (ce qui peut se d´emontrer directement `a partir de la formule ci-dessus).
7.4.2 Le cas du plan projectif
D´efinition 7.4.3 SoitX un plan projectif, etD1, . . . , D4 quatre droites distinctes con-courantes en un point O. Le birapport [D1, D2, D3, D4] de ces quatre droites est le birapport des points ε(Di) de la droite projective ε(O) contenue dans le plan projectif dualX∗.
Proposition 7.4.5 Soit X un plan projectif, D une droite de X et P un point de X n’appartenant pas `aD. SiD1, . . . , D4 sont quatre droites du faisceauP∗, et siP1, . . . , P4 sont les points d’intersection de Di avec la droite D, le birapport [D1, . . . , D4]est ´egal au birapport [P1, . . . , P4].
D´emonstration. En effet, les Pi sont les images des droites Di par l’homographie f : P∗ → D qui `a toute ´el´ement de P∗ associe son intersection avec D (o`u P∗ est ici identifi´e avec la droite projectiveε(P) deX∗).
Consid´erons `a pr´esent le cas o`u X =P2(k) =P(k3);X est r´eunion disjointe de la droite projective dont les ´el´ements ont comme coordonn´ees projectives (x:y : 0) (xou ynon nul) et de l’espace affineCdont les ´el´ements ont comme coordonn´ees projectives (x:y: 1). Le plan projectif est ainsi identifi´e `ak2∪P1(k). SoitP = (x:y:z) un point de P2(k). Si z = 0, P est un point de H∞. Siz 6= 0, on a P = (x/z :y/z : 1)∈ C, identifi´e par la bijection de la section pr´ec´edente `a l’´el´ement (x/z, y/z) dek2.
Le corollaire de la proposition 7.1.1, appliqu´e aux droites affines de C, s’exprime alors en disant quedeux droites affines sont parall`eles si et seulement si elles se coupent
`
a l’infini.
Par suite, toujours en identifiant une droite affine D avec φ−1(D), deux droites affines se coupent toujours en un point dans le plan projectif. Elles sont concourantes si elles se coupent `a distance finie; elles sont parall`eles si elles se coupent `a l’infini.
Par suite, l’ensemble des droites affines de C de mˆeme direction s’identifie `a un faisceauS∗ de droites projectives, o`u S∈H∞. La droite `a l’infini peut donc ˆetre vue comme l’ensemble des directions des droites du plan affine.
Soit (O, A1, A2) le rep`ere affine deCform´e des pointsO = (0 : 0 : 1),A1= (0 : 1 : 1) et A2 = (1 : 0 : 1). On v´erifie imm´ediatement qu’une droite affine D d’´equation ax+by+ccoupe (via l’identificationφ)H∞en le point (a:−b: 0), identifi´e lui-mˆeme au point (−a:b) deP1(k), c’est-`a-dire `a −a/b, donc `a la pente deD. On retrouve le fait que deux droites ont mˆeme pente si et seulement si elles sont parall`eles.
Proposition 7.4.6 Soit (O, A1, A2) le rep`ere projectif de C d´efini ci-dessus, et soit A3 le point de C de coordonn´ees (1,1). Si D est une droite de pente apassant par O, le birapport des droites[OA2, OA1, OA3, D]est ´egal `a a.
D´emonstration. Ce birapport est ´egal `a celui des points d’intersection des droites correspondantes avec la droite `a l’infiniH∞. C’est donc le birapport de leurs pentes, soit [∞,0,1, a]. Mais ce birapport est ´egal, par d´efinition, `a l’image deapar l’homographie de P1(k) sur lui-mˆeme qui laisse invariants ∞,0 et 1. Cette homographie est donc l’identit´e, et [OA2, OA1, OA3, D] = [∞,0,1, a] =a.
7.4.3 G´eom´etrie projective et g´eom´etrie affine
SoitX=P(E) un espace projectif, etY =P(F) un hyperplan projectif de X, associ´e
`
a un hyperplan F de E. Comme il existe une forme lin´eaire φ de noyau F, on peut choisirY comme hyperplan `a l’infini deX. Cela permet parfois de simplifier certaines d´emonstrations de g´eom´etrie projective, en les ramenant `a des ´enonc´es affines. Par exemple, consid´erons l’´enonc´e du th´eor`eme de Pappus ci-dessus, et choisissons comme droite `a l’infini la droite passant parAB′∩A′B etAC′∩A′C. Le th´eor`eme de Pappus s’´enonce alors ainsi: soient deux droites D et D′ du plan affine, trois points A, B, C de D et A′, B′ et C′ de D′ tels que AB′ est parall`ele `a A′B et AC′ `a A′C. La conclusion en est que BC′ est parall`ele `a B′C, ce qui est une cons´equence facile du th´eor`eme de Thal`es: supposons d’abord que O = D∩D′ ne soit pas `a l’infini; on a OA′/OC′ = OA/OC etOA′/OB′ =OA/OB, donc OB′/OC′ =OB/OC, et B′C est parall`ele `a BC′. Dans le cas o`u O est ´a l’infini, on a −−→
AB′ = −−→
BA′ et −−→
AC′ = −−→
CA′, donc BC−−→′ = −−→
CB′, et BC′ est parall`ele `a B′C.
R´eciproquement, la possibilit´e de choisir arbitrairement la droite `a l’infini permet,
`
a partir d’un ´enonc´e de g´eom´etrie projective, d’obtenir plusieurs ´enonc´es diff´erents de g´eom´etrie affine.