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Espace psychique maternel prénatal

2.3. Processus psychique du « devenir mère »

2.3.3. Espace psychique maternel prénatal

Une autre description des processus qui marquent la relation de la devenant – mère à son enfant à venir pendant la période de grossesse est faite par le concept d’espace psychique maternel développé par Benoît Bayle. Les notions avancées par cet auteur rejoignent en bien des points celles développées par S. Missonnier, leur but étant aussi de mettre en avant l’importance de la prise en compte de la période anténatale comme « premier chapitre » du développement de l’individu. Cependant, elles mettent également l’accent sur certains autres aspects.

™ Espace Maternel de Différenciation et d’Identification Psychique de l’Etre Humain Conçu

A l’instar de S. Missonnier, B. Bayle (2005) souligne le caractère bio psychique de la grossesse, qu’il décrit comme un processus psycho – physiologique. Ces termes mettent l’accent sur le développement conjoint de ces deux aspects : les phénomènes corporels (physiologiques) sont indissociables des phénomènes psychologiques. Ainsi, c’est la présence de l’embryon qui déclenche les phénomènes psychiques de la grossesse chez la femme, et c’est encore la croissance du fœtus qui stimule le développement psychique maternelle qui marque la période prénatale. Inversement, on peut penser que la manière dont se développent les phénomènes psychiques propre à la grossesse va influencer la perception des évènements corporels de celle-ci. Notons au passage que cette conception donne à l’embryon un rôle actif : celui-ci « est agent de ces transformations ».

Comme S. Missonnier, l’auteur appui sur l’importance du « nid » psychique qui se met en place pendant la grossesse pour l’enfant virtuel, ou enfant à naître, qui n’est autre que le précurseur du « nid » externe d’après la naissance au sein duquel pourra se développer de manière harmonieuse le lien mère – enfant. L’exemple du déni de grossesse et des difficultés qui s’en suivent, illustre bien l’importance de ce nid. Au-delà de la césure de la naissance, l’auteur invite, donc, lui aussi à penser la continuité psychique entre les périodes pré et post natale. Cependant, là où S. Missonnier avait penser cette continuité ainsi que l’objectalisation de la relation entre la devenant – mère et l’être en gestation, en terme de développement progressif de la Relation d’objet virtuelle, B. Bayle décrit, pour sa part, la constitution d’un espace psychique maternel concernant l’enfant à venir. Cet espace se construit tout au long de

la grossesse allant progressivement vers une identification et une différenciation de l’être humain conçu et permet les liens mère – enfant après la naissance : « L'enfant à naître est perçu peu à peu comme autre de la femme ; il se trouve identifié et différencié à l'intérieur d'elle-même, non seulement dans sa réalité organique, corporelle, mais aussi dans son identité

« psychique », ou plutôt, pour ne pas prêter à confusion, psychosocioculturelle. Ce processus contribue à l'établissement des liens entre la mère et l'enfant, avant et après la naissance. » (B.

Bayle, 2005). Par cette conceptualisation de « l’Espace Maternel de Différenciation et d’Identification Psychique de l’Etre Humain Conçu » (EMDIPEHC), l’auteur insiste sur le travail psychique de la femme (travail de différenciation et d’identification de l’être humain conçu), mais aussi sur l’importance de ce processus pour le développement prénatal de l’être humain.

Enfin, il esquisse à son tour une réflexion psychopathologique concernant ces phénomènes. Ce qu’il nomme « psychopathologie conceptionnelle » décrit les perturbations possibles de cet espace psychique maternel. Par exemple en cas de deuil non fait d’un précédent enfant (« enfant de remplacement ») dans lequel l’espace est envahi par la présence de l’enfant décédé rendant difficile la construction d’une place suffisamment différenciée pour l’enfant à naître ; ou encore le cas de mère psychotique où la relation narcissique fusionnelle et l’indifférenciation soi-autrui des débuts de la grossesse perdure de manière pathologique tout au long de celle-ci.

™ Identité conceptionelle

Cet espace psychique maternel se forme donc sous l’impulsion de l’être en gestation mais sa production et son développement sont bel et bien sous contrôle de la mère, dépendent de sa propre histoire réactivée lors de la grossesse et de son fonctionnement psychologique.

Cependant, la construction de cet espace dépend également de « ce qu’est » l’être en gestation, autrement dit de son identité. L’auteur met en avant le fait que, outre une identité génétique issue de la rencontre d’un ovule avec un spermatozoïde, l’embryon a également d’emblé une identité psychosocioculturelle qu’il nomme identité conceptionnelle.

En effet, l’embryon est un être conçu dans telles circonstances singulières, en ce lieu, dans telle société et telle culture, à cette époque, issu de l’union de telle femme avec tel homme, ayant chacun leur psychologie et leur histoire particulière etc. L’être humain conçu (terme qui

appui justement sur l’importance de la prise en compte des circonstances qui ont présidées à cette conception) est donc dès sa conception plein de ces nombreuses déterminations psychiques, sociales et culturelles qui fonde ce qu’il est, il en est d’emblé l’incarnation. Ainsi l’espace psychique maternel consacré à l’enfant à naître, les représentations de la mère ainsi que de l’entourage social ne seront pas les même si l’enfant est issu d’un viol, d’une relation adultérine ou de la relation d’amour des parents. Ces représentations seront encore différentes selon que l’enfant soit issu d’une procréation médicalement assistée, ou de l’union de parents psychotiques ou encore de parents issu de deux cultures différentes. Toutes ces données appartiennent à l’histoire de l’enfant à venir et cette histoire est constitutive d’une part de son identité. Ces repères identificatoires en sont le fondement même si l’embryon n’y a, bien sûr, pas encore accès, ni conscience. En effet, si l’être humain à l’état d’embryon possède un génome porteur de ses caractéristiques biologiques, il ne possède cependant pas immédiatement un corps entier organisé. Il en va de même pour l’identité psychique de l’être humain conçu qui existe en partie avant qu’il en ai conscience et qu’il ne possède une organisation psychique.

L’identité conceptionnelle va jouer un rôle très important car il participe à l’élaboration de représentations maternelles et à la construction de l’espace maternel de différenciation et d’identification de l’enfant à naître. Ils sont également très important pour le développement de l’individu, en témoigne le besoin éprouvé par les enfants ayant été adoptés de connaître leur identité conceptionnelle. En cas de secret sur cette identité, sa révélation provoque, d’ailleurs, une crise de remaniement identitaire. Ces repères identificatoires sont autant de caractéristiques qui définissent l’être humain au moment de sa conception mais auquel son développement psychique ne saurai être réduit, ces « déterminités » s’exprimeront ou non au cour de son devenir, elles participeront à son développement en interaction avec le milieu. Le devenir de ces déterminités doit être envisagé en lien avec le développement de l’individu, au gré des événements de vie, chacune dans leur contexte d’apparition et dans leur complexité.

™ Interactions foeto – maternelles

Revenons cependant à la période anténatale. En ce qui concerne les déterminations psychosocioculturelles de l’embryon humain au sein de la relation embryo/foeto – maternelle, l’auteur en souligne les implications en termes d’ « intersubjectivité prénatale ». Bien que les subjectivités respectives de l’embryon et de la devenant-mère soit dissymétriques (l’une étant

à l’état de fondement, l’autre étant déjà une conscience de soi constituée), ces deux subjectivités se rencontrent en terre prénatale. En effet, la femme réagit à l’être en gestation en fonction de son identité conceptionnelle, c’est à dire en fonction de ce qu’il est et représente pour elle de manière subjective. L’histoire conceptionnelle fonde la subjectivité de l’enfant à naître. Par le développement de l’espace psychique maternelle la femme participe à la subjectivation de l’être humain conçu en travaillant pour son identification et sa différenciation. De son coté, l’être en gestation, incarnation de son histoire conceptionnelle, renvoi à la devenant – mère une réalité subjective. Celle-ci se trouve transformée en retour dans son identité de femme devenant-mère, de par ce qu’est l’être humain conçu. L’enfant qu’elle porte la rend « mère d’une certaine sorte », et subjective donc la femme en tant que mère d’une façon particulière. Il existerait donc, selon l’auteur, dès la période de grossesse, un processus de subjectivation réciproque entre la femme et l’être humain conçu qui rendrait pertinent le concept d’ « intersubjectivité prénatale ».

Ces divers concepts permettent de définir la relation psycho – affective qui lie le fœtus et la mère. Cependant, outre l’élaboration de représentations mentales, l’auteur va mettre en évidence le dialogue à la fois psychique et corporel qui caractérise les interactions foeto – maternelle et participe également à l’élaboration de l’Espace Maternel de Différenciation et d’Identification Psychique de l’Etre Humain Conçu. En effet, l’identification de l’être humain conçu par le biais des représentations semble conduire à un certain style de dialogue corporel entre la femme et le fœtus (B. Bayle, 2004). Les manifestations corporelles de la mère tel que : le type de portage utérin (souplesse ou résistance de la paroi utérine), la gestuelle maternelle (inhibition ou stimulations) et l’activité motrice de fond (rythme d’activité de la mère) sont en lien étroit avec ses affects et préoccupations conscientes et inconscientes. Or, le fœtus les éprouve dans le corps à corps avec la mère. Réciproquement, le fœtus possède sans aucun doute un style moteur propre (tonus et façon de se mouvoir). Ces mouvements fœtaux sont ressentis corporellement par la mère et sollicitent aussi ses émotions, impliquant sa vie affective consciente et inconsciente. Ainsi, l’histoire qui préside à la conception de l’enfant influence ce dialogue psycho – corporel entre la devenant – mère et l’enfant à naître, celui-ci

« est déjà riche de bouleversements et parait former le creuset de l’intersubjectivité prénatale ».

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Le processus psychique du devenir parent, ou parentalité, est donc un processus psychique complexe et évolutif. Si l’on se centre sur le segment prénatal de ce processus (et sur le processus spécifique de maternalité), nous pouvons mettre en avant les phénomènes psychiques et l’activité représentationnelle qui caractérise la femme enceinte. Cependant, selon les théorisations récentes que nous avons décrit, il est intéressant de compléter ces études en tentant de décrire davantage ce processus sous l’angle de la progressive relation qui se met en place entre la devenant – mère et son embryon/fœtus devenant – enfant. Ainsi, S.

Missonnier a qualifié cette relation d’objet particulière de Relation d’objet virtuelle, soulignant par ce terme la réalité de la dynamique interactive inconsciente qui anime le processus de parentalité et l’importance du premier chapitre utérin de la vie de l’individu qui contient « en puissance » les relations d’objet futures. La nidification psychique s’effectue en constante interaction entre l’embryon/fœtus et son environnement constitué notamment de la vie psychique parentale. Avec ce concept, le fœtus n’est plus considéré comme une simple extension narcissique de la mère mais la R.O.V. permet de mettre l’accent sur la progressive élaboration objectale prénatale, véritable anticipation de l’altérité de l’enfant virtuel. Dans le même esprit, les concepts déployés par B. Bayle appuient tout autant sur la nécessité de prendre en compte les processus interactifs de la période prénatal et sur la maturation objectale progressive qui la caractérise. Il met, ainsi, en exergue, à travers la notion d’Espace Maternel de Différenciation et d’Identification Psychique de l’Etre Humain Conçu, l’intersubjectivité prénatale entre la femme et l’enfant à venir. Ce processus de subjectivation réciproque se met en place par un travail représentationnel liée entre autre à l’identité conceptionnelle de l’enfant à naître, mais également par un véritable dialogue psycho – corporel qui s’effectue dans le corps à corps foeto – maternel. Précisons, enfin, que ces phénomènes relationnels sont loin de concerner de manière exclusive la dyade mère/fœtus, mais concernent aussi les relations entre le fœtus enfant et le devenant-père, ainsi que d’une manière générale, tout l’environnement social et familiale du couple.

Cependant, cette recherche se centrant sur la devenant-mère, nous n’avons pas détaillé cet aspect, ce qui aurait été bien sûr extrêmement intéressant mais aurait nécessité de nombreux autres développements.