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Anticipation et processus de parentalité

2.4. L’Anticipation

2.4.2. Anticipation et processus de parentalité

« Face aux crises, l’histoire comportementale, émotionnelle et fantasmatique de l’anticipation serait mise à l’épreuve ». On a déjà vu que la période prénatale représente une période particulière de crise où se croisent le naître humain et le devenir parent. En cela l’anticipation en est, selon S. Missonnier, une « variable psychologique centrale ».

™ Représentations maternelles et anticipation

o Bébé imaginé

D. Cupa rappelle dans son étude les éléments qui constituent le « bébé imaginé » par les parents (D. Cupa, 2001) :

* Le « bébé imaginaire » comprend les désirs et fantasmes conscients, les rêveries diurnes concernant l’enfant à venir. S’y rattachent d’une part les représentations simples : sexe, corps, caractère, affects, valeurs. Et d’autre part, les représentations d’interactions : concernant la mère et l’enfant, l’enfant et le père, l’enfant et les autres, le désir de grossesse et de maternité.

Ces représentations correspondant au souhait d’un être, d’un avoir et d’un devenir pour l’enfant sont « porteuses d’un espoir narcissique ».

* Le bébé fantasmatique comprend les rêves, les désirs et fantasmes inconscients. S’y rattachent les mêmes catégories de représentations que pour le bébé imaginaire mais à un niveau inconscient. Ces représentations inconscientes sont issues des désirs oedipiens et préoedipiens des parents.

* Enfin, le bébé mythique se situe à un niveau préconscient, voire inconscient et renvoie à la filiation et à l’histoire transgénérationnelle.

En somme, le parent « prend le risque de créer, de pré investir le bébé imaginé ». Celui-ci

« apparaît ainsi comme une représentation anticipatrice, constituée par des énoncés qui témoignent des souhaits parentaux concernant le nourrisson et aboutissent à une série de représentations qui figurent et identifient l'enfant, ainsi que l'univers relationnel et affectif dans lequel le parent l’inscrit ».

Enfin, comme nous l’avons précédemment décrit, l’anticipation est un mouvement qui se déploie et qui varie dans le temps, du point de vue du travail psychique qu’il met en œuvre chez les parents. Ainsi, pendant la période de grossesse, la représentation maternelle de l’enfant imaginé varie également. Elle serait par exemple moins importante en début de grossesse (la mère étant principalement préoccupée par le fait d’être enceinte et par le vécu de ce début de grossesse) ainsi qu’en fin de grossesse où la proximité de l’accouchement prendrait le pas sur le bébé imaginé et où l’émergence de la « réalité anticipée » effacerait l’anticipation. Cette importance des représentations concernant l’accouchement dû à son imminence doit être garder à l’esprit dans la présente recherche, effectuée justement en fin de grossesse.

o Flexibilité des représentations

Nous avons déjà évoqué la recherche, menée par M. Ammaniti et coll. (1999), qui expose les travaux concernant l’entretien semi-directif IRMAG. Cet instrument se propose de recueillir le « déploiement des représentations maternelles pendant la grossesse ». Ce déploiement des représentations correspond à un mouvement qui se déploie dans le temps et crée progressivement un espace maternel prêt à accueillir « un être autre que soi ».

L’interview en question vise donc à « constater si et comment le processus visant à la construction d’une image de l’enfant en tant qu’individu séparé se développe ».

Au sein de ces travaux, les auteurs mettent en évidence une dimension qu’ils jugent

« particulièrement utile [et] extrêmement importante pendant la grossesse ». Ils nomment cette dimension « ouverture au changement et flexibilité ». Celle-ci vise à mesurer « la flexibilité d’adaptation » et donc « la perméabilité ou la rigidité des représentations par rapport à l’expérience que la femme est en train de vivre pendant la grossesse ». Cette flexibilité adaptative concerne « la femme en tant que mère, avec les transformations psychologiques et physiques spécifiques de la grossesse, mais aussi l'enfant qui est en elle et qui donne de plus en plus souvent des signes de vie ».

La capacité générale de la femme à s’adapter aux changements va donc être déterminante dans son adaptation aux changements que provoque l’attente d’un enfant. Les auteurs décrivent cinq degrés de flexibilité (M. Ammaniti et coll., 1999, pp 152-153 et 160-161) : pauvre (rigidité, résistance aux changements de la grossesse et absence de modification de la représentation de soi et du fœtus au cours de la gestation), limitée (plutôt stéréotypée et rigide, peu de modifications au cours de la grossesse), modéré (niveau considérable de flexibilité mais non homogène), considérable (processus actif de découverte du future enfant et de la future maternité) et enfin, très accentuée (degré important de flexibilité, modifications importantes de la représentation de soi et de l’enfant). Un parallèle nous semble pouvoir être fait entre cette notion de flexibilité adaptative et celle d’anticipation plus ou moins tempérée, se déployant au cours du temps et favorisant plus ou moins l’adaptation parentale.

™ Anticipation parentale et enfant virtuel

Lors de la période périnatale, la problématique de la séparation est omniprésente (séparation du corps et de la psyché parentale avec ceux de l’enfant). C’est également une période où sont réactivés les conflits de séparation qui ont émaillé les étapes du développement parental. « Sur cette toile de fond, le processus de parentalité anténatale s'organise autour de l'anticipation comportementale, émotionnelle et fantasmatique de cette séparation de la naissance, du paradoxe de l'altérité radicale du nouveau-né et de sa dépendance primaire à l'égard des parents. » (S. Missonnier, 2001)

La relation d’objet virtuelle, que nous avons décrite précédemment, est un modèle théorique qui permet de décrire la relation particulière unissant la devenant-mère au fœtus devenant-enfant, qui s’objectalise progressivement dès la période anténatale. Cette relation, ainsi que son évolution sont, bien sûr particulières pour chacun. La qualité ou l’efficience de l’anticipation parentale va venir témoigner de la maturation du processus de parentalité, perçu ici en terme d’actualisation progressive du virtuel parental (cf. Fig 2).

Virtuel Actuel

Actualisation Mouvement d’anticipation

Virtualisation

Ensemble des possibles du virtuel parental = anticipation parentale

Fig 2 : processus de parentalité, anticipation et travail du virtuel

Cette variable va donc être un indice primordial pour juger de la mise en place d’une relation d’objet virtuelle organisée. L’anticipation ouverte au champ des possibles est un facteur déterminant d’une appréhension progressive de l’altérité de l'enfant virtuel (pour le meilleur et pour le pire). Elle va permettre une bonne adaptation aux différentes possibilités qui peuvent advenir lors de la grossesse, de l’accouchement et de la naissance. A contrario, une anticipation fermée, « déprimée », moindre, ne va pas favoriser la maturation de la R.O.V. et donc du processus de parentalité.

On peut donc distinguer deux pôles de l’anticipation entre lesquels nombres de variations sont évidemment possibles. Il s’agit donc d’envisager la variabilité individuelle de cette variable et non d’adopter un point de vue strictement binaire. L’anticipation devient alors l’ensemble des possibles du virtuel parental. Et peut donc être décrite à l’aide de « deux polarités extrêmes qu’une infinité de pastels séparent » (S. Missonnier, 2004 b) :

* Le pôle de l’angoisse automatique correspond à une anticipation peu élaborée, qui paralyse le processus de parentalité et est donc nuisible à l’adaptation parentale.

* Le pôle de l’angoisse signal correspond à une anticipation ouverte et ample, favorable à la maturation du processus de parentalité qui peut alors s’actualiser progressivement. Elle est organisatrice d’une identification projective empathique et favorise la cohésion entre le virtuel parental et l’enfant actuel.

Cet éventail de l’anticipation plus ou moins ouverte à l’imprévisible est, notamment, mis en exergue par le cadre échographique qui peut être : soit paralysant pour la parentalité, soit un support bénéfique à l’anticipation parentale. L’attention des acteurs du terrain prénatal pour cette variable représenterait alors un travail de prévention important. Tout cadre dans lequel peut être favorisée l’anticipation parentale des possibles comportementaux, affectifs et fantasmatiques mérite d’être étudié car favoriser cette anticipation c’est favoriser le processus de parentalité (S. Missonnier, 2001).