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6.1. Validation des hypothèses

Au vu de l’analyse des résultats, nous avons donc pu mettre en évidence des différences interindividuelles importantes concernant la capacité d’anticipation (H1), celle-ci variant du pôle angoisse signal d’alarme au pôle angoisse automatique (ou traumatique). En effet, nous avons pour chacune des trois participantes pu déceler, à travers l’analyse de l’entretien, une plus ou moins grande souplesse de l’anticipation ; les mécanismes de défense plus ou moins rigides permettant une anticipation plus ou moins large et ouverte au champ des possibles. Le travail d’anticipation est donc présent et actif de manière variable, la capacité générale de flexibilité adaptative ou d’ouverture aux changements (selon les termes de M. Ammaniti) plus ou moins importante. Nous avons également observé que l’anticipation, mécanisme de défense adaptatif, se décline en terme comportemental, affectif et fantasmatique.

Ainsi, Mme G présente une bonne anticipation adaptative qui se situe sur le versant de l’angoisse signal, ses représentations anticipatrices sont flexibles et elle est sensible aux nouvelles informations et perceptions qui viennent modifier ses représentations.

L’anticipation est opérante pour le meilleur comme pour le pire sans que ce dernier soit trop envahissant. Autrement dit, l’anticipation se déploie dans ces aspects positifs mais aussi négatifs, alliant Eros et Thanatos de manière équilibrée. C’est bien cette alliance équilibrée qui signe la souplesse et l’efficience de l’anticipation. Cet équilibre caractérise également l’anticipation de Mme G dont le protocole est notamment marqué par des angoisses concernant la santé de l’enfant (cf. histoire de la grossesse), sans qu’elle soit par ailleurs débordée par l’angoisse. Les mécanismes de défense sont donc opérant sans pour autant bloquer l’anticipation dont le travail est très actif.

Mme P semble, pour sa part plus en difficulté. L’anticipation parait moins large, rendant l’adaptation à l’imprévu plus délicate (la surprenante rapidité avec laquelle elle est tombée enceinte freinant l’anticipation prénatale). Parallèlement à cela, l’anticipation de Mme P a tendance à se rapprocher d’un type d’anticipation-catastrophe (qui serait alors une conséquence pathologique d’un éventuel défaut d’adaptation). Thanatos apparaît alors plus prégnant et plus difficilement contenu. Cependant, si nous faisons l’hypothèse d’une tendance

présente de manière générale chez Mme P, cela n’apparaît pas pathologique, les mécanismes de défense restant présents et efficaces pour traiter l’angoisse. Au-delà de cela, la grossesse semble avoir réactivée une certaine fragilité narcissique et enclenchée un important réaménagement de ses relations avec sa propre mère, face auxquelles le travail d’anticipation reste actif et les mécanismes de défense opérants.

Pour finir, Mme F se situe dans un autre registre. La rigidité des mécanismes de défense parait dans son cas freiner l’anticipation dont la flexibilité est moindre. La relation d’objet virtuelle est alors placée sous le sceau de l’idéalisation et de l’investissement narcissique de l’enfant à venir et de sa future maternité. Le travail d’anticipation parait moindre, elle est moins réceptive aux informations et perceptions pouvant venir alimenter l’anticipation. Ces aspects peuvent faire craindre une éventuelle difficulté d’adaptation. Cependant, encore une fois, si cela semble être une tendance générale de Mme F, l’évitement bien que notable, ne bloque pas pour autant l’anticipation qui est tout de même possible et efficace.

Ces tendances anticipatoires se traduisent en termes d’anticipation prénatale et de relation d’objet virtuelle. Ainsi, celle de Mme G apparaît déjà bien avancée et équilibrée, l’altérité de l’enfant virtuel est appréhendée, la séparation de l’enfant du dedans et la confrontation à l’enfant du dehors préparées. La relation d’objet virtuelle est également palpable à travers la construction d’un espace psychique maternel consacré à l’enfant à naître (comme autre que soi). Cette construction est particulièrement visible chez Mme G, à travers le travail d’identification de l’être humain conçu (identité conceptionelle) et le dialogue psycho – corporel qui caractérise les interactions foeto – maternelles. La relation d’objet virtuelle de Mme P parait moins développée et l’altérité de l’enfant virtuel, pourtant en voie d’actualisation, plus difficile à envisager. Cependant, la construction d’espace psychique consacré à l’enfant est visible à travers le dialogue psycho – corporel entre la mère et son foetus. Enfin, Mme F est investie dans une relation d’objet virtuelle où l’enfant imaginé, idéalisé, semble freiner l’actualisation de l’enfant virtuel dont l’altérité est cependant progressivement appréhendée.

D’autre part, l’analyse du second entretien (effectué suite aux séances de préparation à la naissance, soit trois semaines après) a bien pu montrer une évolution de l’anticipation prénatale, dans le sens d’une maturation, d’un élargissement de celle – ci (H2). L’importance de cette évolution est cependant variable selon les sujets. Elle est relativement peu visible

dans le protocole de Mme G dont l’anticipation était déjà importante en T1. Mais l’anticipation semble tout de même s’être intensifiée surtout en ce qui concerne les suites directes de l’accouchement et la séparation que celui – ci représente. La maturation de l’anticipation est flagrante pour Mme P. L’anticipation s’est déployée, l’altérité de l’enfant virtuel est davantage anticipée et le cadre des séances de préparation s’avère avoir eu fonction d’étayage, lui permettant de faire face à la déstabilisation provoquée par le travail anticipatoire. Enfin, si la tendance à l’idéalisation est toujours présente chez Mme F, l’anticipation semble s’être assouplie. L’ambivalence est moins tenue à l’écart et l’altérité de l’enfant virtuel davantage envisagée. Une progression du processus de parentalité a donc bien été mise en évidence entre les deux passations (entre T1 et T2). Si cette progression a pu être une conséquence simple du temps écoulé entre les deux entretiens, ou un effet du rapprochement de la date de l’accouchement ; il nous semble avoir tout de même pu constater un impact des séances de préparation à la naissance. Celles – ci sont effectivement apparues comme un soutien narcissique important à un moment où celui – ci parait particulièrement nécessaire (fragilité narcissique ravivée par l’anticipation de la séparation d’avec l’enfant du dedans). Elles semblent également venir alimenter le travail anticipatoire, rendant plus actuel l’arrivée de l’enfant du dehors, ainsi que l’accouchement en lui-même.

6.2. Critiques

L’analyse des résultats obtenus a donc permis de mettre en évidence la variabilité de l’anticipation ainsi que l’évolution de l’anticipation prénatale entre les temps T1 et T2.

Cependant, il est important d’indiquer les limites de la présente étude, notamment en vue d’améliorer la fiabilité de travaux ultérieurs sur ce même sujet.

Tout d’abord, rappelons que la population est trop restreinte pour permettre une quelconque généralisation des résultats. Les outils employés, bien qu’ayant permis le recueil d’un matériel intéressant, nécessiteraient également d’être modifiés. L’entretien en lui-même pourrait être amélioré par un travail préalable plus important (précision des questions et de leur formulation) et un entretien anamnestique plus poussé aurait été bénéfique. Le matériel projectif aurait gagné à être constitué d’un plus grand nombre de planches afin d’augmenter la pertinence de l’analyse obtenue. La mise en place d’un tel protocole aurait dû faire l’objet

d’un travail très important en amont (qui n’a malheureusement, faute de temps, pas été possible ici), destiné à rendre plus pertinent le choix des photos et leur analyse par de nombreuses passations préalables. En outre, le protocole expérimental aurait gagné à être complété par des tests déjà standardisés qui auraient permis d’avoir des bases plus solides pour l’examen de nos hypothèses : passation de TAT, échelles d’adjectifs inclus dans l’IRMAG et d’évaluation des mécanismes de défense qui auraient permis d’obtenir parallèlement aux données qualitatives, des données quantitatives.

D’autre part, l’interprétation de l’évolution constatée entre les deux passations est ambiguë. Celle – ci pourrait être un simple effet du temps écoulé, le processus de parentalité étant par définition un processus évolutif, ou encore une conséquence du rapprochement de la date de l’accouchement. Bien que nous plaidons en faveur de l’hypothèse d’un impact positif des séances de préparation à la naissance sur l’anticipation prénatale et donc sur le processus de parentalité, nous ne pouvons en décrire l’importance. Un groupe contrôle qui n’aurait pas suivit les séances de préparation à la naissance permettrait peut – être de préciser la part de l’impact des séances dans cette évolution. De plus, cette dernière peut avoir été influencée par la population en elle-même : on peut effectivement penser que les personnes ayant acceptées de participer à une étude de psychologie sur les représentations maternelles prénatales sont naturellement plus enclines à un travail d’auto – analyse pouvant affecter l’évolution du travail d’anticipation. Enfin, l’entretien en lui – même après que nous leur avons proposé peut également avoir influencé ce travail.

En outre, si notre étude se propose de mettre en valeur l’influence de la préparation sur la variable « anticipation prénatale », il aurait été intéressant de préciser davantage au sein même de la préparation les éléments permettant de peser sur cette variable. Ainsi, il aurait peut – être été intéressant d’étudier les effets de ces divers éléments sur le travail d’anticipation des participantes, peut être par une grille d’observation pendant les séances même. Une telle analyse permettrait alors de préciser le contenu des séances de préparation. La diversité de ce contenu étant l’un des principaux problèmes d’une recherche sur ce thème, une comparaison entre plusieurs préparations différentes serait également intéressante. Une comparaison pourrait, en effet, permettre une mise en valeur des éléments qui influencent de manière bénéfique le processus d’anticipation, aidant ainsi à en préciser le contenu, aujourd’hui encore flou. Dans le cadre de notre étude, dont la population est retreinte, le caractère identique de la

préparation était important dans un souci de comparabilité des cas cliniques présentés, bien que la constitution du groupe en lui-même participant aux séances peut aussi avoir un impact.

Il est également à regretter la mise à l’écart de certains aspects qu’il serait intéressant d’approfondir à l’occasion d’une étude plus étendue. Il en va ainsi de l’impact des séances sur l’anticipation de l’accouchement en lui – même, qui a ici été tenu à distance en faveur de l’étude du processus de parentalité. Or cet aspect a évidement une importance primordiale pour le vécu de l’accouchement et de ses suites et donc pour l’accueil de l’enfant, les interactions précoces pouvant entre autres être perturbées par un vécu traumatique de l’accouchement par la mère. L’impact des séances sur les futurs pères, en termes d’anticipation, serait aussi très intéressant à étudier. Ceux-ci sont de plus en plus présents auprès de leurs partenaires tout au long de la grossesse et également aux séances de préparations à la naissance, malgré qu’ils en soient encore tenus à distance.

Enfin, un élargissement de l’étude à la période post natale serait bénéfique afin de pouvoir préciser l’impact positif de ce soutien à la parentalité que constituent les séances de préparation. Un ou plusieurs entretiens en post natal (portant sur les représentations et le vécu parental mais également sur le vécu de l’accouchement en – même) ainsi qu’une étude des interactions précoces mère – enfant pourraient compléter une telle recherche.