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L’environnement normatif de la franchise

Comme nous l’avons dit, la franchise n’est assimilable à au-cun contrat nommé par le Code civil du Québec. Par conséquent, au Québec, elle est soumise au droit commun des obligations45.

Le franchisage constitue une formule assez récente d’exploita-tion commerciale née du pragmatisme caractéristique du milieu des affaires. L’absence de textes trop restrictifs46 a certainement favorisé la mise au point et le développement de cette méthode de distribution commerciale. Mais, paradoxalement, le mécanisme de la franchise y trouve aussi une réelle faiblesse susceptible de l’emporter dans l’échec.

Le succès de cette méthode de commercialisation est dû aux avantages considérables qu’elle présente pour toutes les parties

45 Naturellement, les lois sur l’impôt, sur la concurrence, sur les investissements au Canada et sur les marques de commerce sont également applicables.

46 A. S. KONIGSBERG et A.-M. GAUTHIER, loc. cit., note 6, 635.

impliquées47. Dès lors qu’un commerçant qui a mis au point un savoir-faire original et efficace souhaite accéder à une expansion nationale puis internationale, le système de la franchise est at-trayant. Il lui permet de s’étendre rapidement sur tout un terri-toire; il fait connaître sa marque et lui permet de profiter immédiatement des répercussions positives sur son propre point de vente. Le franchiseur profite aussi directement du succès des franchisés, qui lui versent des redevances périodiques.

Pour les franchisés, il s’agit là d’une des façons de se lancer en affaires les moins risquées qui soient. Le franchiseur fournit l’ensemble des éléments de la réussite : savoir-faire, matériel, produits, etc. Le franchisé a donc immédiatement accès à une image de marque qui, si elle est bonne, lui garantit presque par-faitement la réussite avec un investissement raisonnable.

Le succès de la franchise repose donc sur l’image de marque, c’est-à-dire sur la reconnaissance par le large public d’un savoir-faire qui a su lui plaire. Il repose donc exclusivement sur la logi-que de réseau. Par consélogi-quent, la réussite de tous repose sur l’effort et la discipline de chacun. En faisant prospérer son point de vente, chaque franchisé augmente la qualité de l’image de marque du réseau et l’ensemble des partenaires en bénéficie di-rectement.

Mais au cœur de ce concept de réseau, véritable force motrice de la réussite, réside aussi sa faiblesse : le sort de chacun dépend de la bonne volonté, des capacités et de la loyauté de tous. Si un franchisé ne respecte pas la politique de la franchise, il ne présente plus exactement la même offre au public que les autres.

Il détruit l’identité et la qualité d’offre à la clientèle sur laquelle est basée la logique de réseau. En altérant le principe même sur lequel est fondé la franchise, il met directement en péril l’ensemble du mécanisme. C’est pourquoi, paradoxalement, la franchise peut souffrir de l’absence de règles législatives imposant une discipline.

Cependant, on ne peut certainement pas regretter que le Code civil, voire même qu’une loi spécifique, ne vienne pas organiser

47 Pour un exposé détaillé des avantages et des inconvénients commerciaux et financiers que présente le franchisage pour le franchiseur et le franchisé et des avantages qu’en retirent également les consommateurs, voir P. BESSIS, op. cit., note 10, pp. 53-59.

cette discipline. Selon nous, les consignes nécessaires ont uni-quement pour but d’assurer un succès commercial. Elles ne sont pas utiles au bon déroulement des relations entre les parties, ce à quoi les règles ordinaires du droit des obligations répondent. Par conséquent, la mise en place d’une discipline commerciale dépasse très clairement l’objectif que doit atteindre un Code civil ou tout autre instrument législatif48. Le législateur n’a nullement pour rôle d’assurer le succès commercial d’un groupement quel-conque.

Mais il reste que l’absence de règles imposant une discipline est fâcheuse. Les intéressés ont rapidement comblé la lacune.

D’une part, le franchiseur, grâce au lien contractuel qui le lie à chacun des franchisés, impose des obligations contractuelles ten-dant à faire respecter une discipline de réseau. D’autre part, les franchisés, juridiquement isolés les uns des autres, souscrivent néanmoins à des Codes de déontologie, qui n’ont cependant pas de force obligatoire en tant que tel49.

Notons que le Règlement du Conseil des assurances de mages sur les intermédiaires de marché en assurance de dom-mage50 et le Règlement de l’association des courtiers d’assurances de la province de Québec51 constituent une sorte d’ébauche de statut de franchisé dans le domaine précis des assurances. Ils créent un registre des franchises où les nouveaux franchisés doi-vent s’inscrire. Ils imposent aussi l’obligation à tous les franchisés de ce secteur de s’identifier comme tel dans toutes leurs relations

48 Certains aspects particuliers de la franchise peuvent cependant pousser le législateur à intervenir. Ainsi, parce que le contrat de franchise est souvent un contrat d’adhésion, le législateur québécois le soumet à des exigences particulières, qui ne sont cependant pas spécifiques au contrat de franchise.

Le législateur français est intervenu de façon plus ciblée en 1989 pour assurer la protection du franchisé lors de la passation du contrat. Voir la Loi

« Doublin », n° 89-1008 du 31 décembre 1989.

49 Voir, par exemple, le préambule du Code de déontologie européen de la fédération européenne de la franchise : « Le Code de déontologie se veut être un code des bons usages et de bonne conduite des utilisateurs de la franchise en Europe; il n’entend pas se substituer aux droits existants nationaux ou européens. » Voir aussi D. LEGEAIS, loc. cit., note 7, n° 8, 4; P. BESSIS, op.

cit., note 10, p. 10.

50 Règlement du Conseil des assurances de dommages sur les intermédiaires de marché en assurance de dommages, (1991) 32 G.O. II, 4434.

51 Règlement de l’association des courtiers d’assurances de la province de Québec, (1991) 32 G.O. II, 4470.

avec les tiers, notamment en utilisant du papier à en-tête et des enseignes dénonçant leur statut52.

En dehors de ces initiatives de regroupement de franchisés et de franchiseurs et de ces exemples de réglementation sectorielle, l’Alberta est bien connue comme étant la seule province cana-dienne ayant adopté une législation spécifiquement consacrée à la relation de franchisage53 : le Franchises Act54. En s’inspirant grandement de la législation américaine (issue notamment de la Federal Trade Commission Act)55 et de la jurisprudence améri-caine et canadienne56, la loi d’Alberta impose aux franchiseurs l’enregistrement57 de leur franchise et la divulgation d’informa-tions propres à éclairer les futurs franchisés sur la situation, no-tamment financière, du franchiseur auquel ils envisagent de lier leur sort commercial.

A défaut d’une telle loi, la franchise est, au Québec, principa-lement soumise au droit commun. Cependant, les dispositions du Code civil sont loin de constituer l’ensemble des règles applicables à la franchise. Les lois fédérales et québécoises relatives à la concurrence déloyale58, aux marques de commerce59, au droit

52 Voir A.-M. GAUTHIER, loc. cit., note 8, 64.

53 La nécessité d’adopter une loi sur le franchisage a cependant été envisagée dans plusieurs autres provinces canadiennes de common law. Une proposition de loi semblable à celle de l’Alberta a été déposée en 1992 par un parlementaire membre d’un parti minoritaire. Sa proposition n’a cependant pas dépassé le stade de la seconde lecture. En Colombie-Britannique, la commission de réforme législative a également étudié la question et conclu que l’objet essentiel d’une telle loi devrait être de créer un système d’enregistrement. En Ontario, en raison des rares plaintes enregistrées, le ministre de la consommation et des relations commerciales de l’Ontario considère qu’une intervention législative n’est pas nécessaire. Voir F. ZAID, loc. cit., note 8, 23.

54 Franchises Act, R.S.A. (1980), c. F-17, tel que modifié.

55 Le Full Disclosure Act du 21 octobre 1979 impose au franchiseur l’obligation de rendre publiques diverses informations de façon à ce que les candidats franchisés s’informent adéquatement avant d’intégrer le réseau. Le 31 décembre 1989, la France adopta le même type de disposition.

56 Frank ZAID, loc. cit., note 8, 6, note 2.

57 L’enregistrement doit être renouvelé tous les ans.

58 Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), c. C-34, modifiée par L.R.C. (1985), c. 19 (2e supp.).

59 Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), c. T-13.

d’auteur60, aux brevets61, aux dessins industriels62 et aux impôts sont évidemment applicables. Elles doivent être sérieusement prises en considération par quiconque souhaite entrer dans une relation de franchisage soumise au droit québécois.