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Entretien avec Nicholas Baqué , Responsable Grands Comptes & Chef de produit Comics/Manga Diffusion Delsol-Groupe Delcourt

Du Japon à la France : circulation, pratiques et reconnaissance d'une mangaculture

Annexe 1 : Les entretiens semi-directifs

A. Entretien avec Nicholas Baqué , Responsable Grands Comptes & Chef de produit Comics/Manga Diffusion Delsol-Groupe Delcourt

19/04/2018

Adeline Méheut (AM) : Voilà, alors tout de toute façon pour commencer vous pouvez vous

présenter un peu, dire qui vous êtes, ce que vous faites dans votre vie, en quelques mots. NB : OK. Donc Nicholas Baqué. Je suis, je travaille pour la société Delsol qui appartient au groupe Delcourt. Le groupe Delcourt qui est un groupe de BD qui regroupe Delcourt, Soleil, Tonkam. Donc ils font de la BD, du manga, du comics, et nous Delsol c'est une société qui gère la diffusion auprès des enseignes, des libraires, des hypers, relais et tout ça. On gère le commerce en fait, et la relation commerciale avec ces différents types de profil. Donc au sein de Delsol il y a un directeur de la diffusion, et ensuite il y a du coup moi, qui suis le responsable des grands comptes. Donc c'est à dire la gestion des contrats avec Amazon, Fnac, Cultura … et les groupements comme Canal BD qui représente une centaine de libraires, spécialisés BD. Il y en a un qui est juste là à côté, qui s'appelle BDNET. Ils sont une centaine, ils sont regroupés, pareil, avec une personne qui gère le... une sorte de holding au-dessus qui gère les relations avec les éditeurs, les fournisseurs, qui veulent louer des vitrines, qui proposent des opérations,... mon rôle au sein, c'est un rôle d'accompagnement auprès des éditeurs, des diffuseurs et des commerces, et en même temps Delsol est diffuseur Delcourt/Soleil maison, d'autres éditeurs au sein du groupe, donc ce qu'on appelle des éditeurs diffusés, s'appuie sur nous pour leur commerce. Donc on a, en tout, je crois qu'on a 22 éditeurs. Donc... en dehors du groupe ça fait donc, 19.

AM : Donc toujours très mangas, BD...

NB : Donc toujours, on est... on a énormément de BD, mangas, comics, et on a un petit peu de

jeunesse. On développe en dehors un peu, mais ça reste quand même très limité, parce que nous on reste BD. Du coup, avec ces éditeurs, j'ai un autre rôle, c'est un rôle de chef de produit. Donc spécifiquement sur le manga et le comics. Et mon boss lui, gère plus avec les éditeurs BD. Donc ce qui fait que là je suis là pour développer leur business, vérifier les budgets avec eux, les conseiller sur le marketing, sur les tirages, sur la façon dont on va aborder tel ou tel, mais pour nous on a 9

représentants sur la France et un en Belgique. Les éditeurs leur monter les enjeux, leur dire, dès

qu'ils sortent à l'avance, parce que eux ils vont vendre ça dans les librairies, et donc nous on les suit également. Et on s'est dit voilà, l'éditeur, le produit on va lui présenter ça comme ça, parce que l'angle d'attaque pour le représentant après ça va être comme ça. Pareil les présentations qu'on peut faire aux enseignes comme la Fnac, Amazon, Cultura, sur les gros enjeux en centralisation, vraiment à la direction commerciale, où je les emmène avec moi de temps en temps, on fait des grosses

présentations marketing, on travaille énormément sur ce qu'on va faire à l'avance pour que ce soit

développé dans le réseau des ventes. Voilà, c'est tout un... ça peut même être un peu d'édito. Je les conseille sur les... « ouais on a ce titre-là, on a été obligé de l'acheter avec tout un package. Comment tu penses qu'on doit le sortir ? À quel prix ? Est-ce que tu as une étude de marché sur ça ? » Et à partir de là, moi par rapport au nombre d'années que j'ai eu dans le manga je suis capable de dire : « Ah mais rappelle-toi, telle année il y a eu un avec ces trois-là, c'était un peu la même chose, le même genre je pense. » Et du coup en regardant le marché je dis, voilà :

« Rappelez-vous Glénat, ils avaient un titre comme ça, je pense que c'était pareil, un truc un peu

imposé. Ils l'ont sorti de telle façon, à tel prix, et ils ont en ont vendu tant. » Parce qu'après les chiffre, 3

moi je suis capable d'aller voir et tout. Et moi je pense que ma reco c'est plutôt de le sortir comme ça, à tel prix. Qu'est-ce que ça va coûter en terme d'économie de production par rapport à la rentabilité, et voilà. L'idée c'est... on est au centre. C'est à dire que les éditeurs diffusés, ce sont nos clients, puisqu'ils nous rémunèrent pour faire ça. Les libraires sont aussi nos clients, et ainsi que les enseignes.

AM : Donc vous faites vraiment l'intermédiaire en fait.

NB : On est vraiment au centre de ça. Donc ce qui fait qu'effectivement on peut... enfin moi quand je vais travailler avec l'éditeur, je vais pas lui dire de bêtises. Donc il faut que je sois sûr de mon coup, et à l'extérieur eux ils ont leur économie à tenir sur la rentabilité de ce qu'ils vont sortir. Donc moi, voilà, au sein de la diffusion je fais plein de trucs, mais c'est énormément sur ça que je me concentre. Avant ça, j'ai été 15 ans à la Fnac, à la direction commerciale du livre, et j'étais le chef de produit BD/man... enfin BD ça englobait le manga et le comics, ainsi que d'autres familles à côté. Et pendant ce temps, j'ai géré... à l'inverse ce que j'ai aujourd'hui comme contrat avec les enseignes, c'était moi qui les gérais pour la Fnac avec les fournisseurs. J'ai énormément abordé de choses. Avant d'être à la direction commerciale, j'ai fait chef de marché, sur fnac.com, toujours les mangas. C'était au début des sites internet, quand ils commençaient à monter. C'était au début des années 2000/2008, où le marché a explosé. Ce qui fait que j'ai vraiment connu le départ du gros commerce internet, qui a été, qui augmentait de deux chiffres par an, enfin c'était des trucs assez énormes. Evidemment avant mes 15 ans de Fnac c'était avant les années 2000, parce que moi je suis d'avant les années 90. J'ai

été 6 ans chez un éditeur de manga, donc un des tous premiers éditeurs de manga en France, qui

s'appelle Tonkam, qui a été racheté par Delcourt depuis et qui est devenu un label chez eux. Avec Delcourt-Toukam. Nous on a été les premiers à sortir des titres, un peu aussi des titres hors des sentiers... un petit peu hors des sentiers battus, comme on dit. Moins connu en France, même pour ceux dans le milieu, voilà.

AM : Moins classiques.

NB : Moins classiques, voilà. Des choses qui n'existaient pas en dessin-animés en France en fait. AM : Vous avez quelques exemples ?

NB : Comme Video Girl , comme... après on a développé énormément tout ce qui était CLAMP. Les

premiers CLAMP c'est nous qui les avons sortis. Tout ce qui était Tezuka, on avait été les premiers à sortir du Tezuka. Il y avait eu quelques tentatives dans des magazines, dans les années 80, mais rien de très officiel, on va dire. Donc moi j'ai été de 94 à 2000 chez eux.

AM : Ah oui quand même.

NB : Donc voilà. Donc on avait la librairie qui était rue Keller, juste là. Et les bureaux, il y avait la BPC, la distribution, et il y avait l'édition. Donc on faisait tous... moi quand je suis arrivé dans la société, on vendait surtout des mangas japonais. Des bouquins, des laserdiscs, des CD, … Les laserdiscs ce sont les ancêtres de la BD. C'est comme des 33 tours, mais pour regarder à la télé. Au Japon, c'était très en vogue, en France un peu moins. Et il y avait les VHS qui se vendaient, parce que c'était plutôt ça qui... Et on avait, c'était la Mecque du manga si on veut. C'était le magasin le plus connu, le plus reconnu de Paris, voire de France. À côté de ça on faisait de la distribution pour les autres magasins de mangas, qui étaient dans la France entière, mais pareil pour tout ce qui était japonais, on était le distributeur officiel des mangas japonais en France. Voilà on a monté pas mal de conventions, et on s'est même... je fais partie des trois personnes qui ont lancé les cosplays en France. Les concours de cosplays en France.

AM : D'accord, génial.

NB : Voilà, le premier concours de cosplay, rue Keller, en juin 97, de mémoire. Le 17 juin je crois, le 21 ou le 20 juin, quelque chose comme ça. Donc ça a été le premier. On avait vu qu'en France le cospaly commençait vraiment à monter, dans les conventions. Mais c'était un peu qui faisaient, le prémice quoi. Il y avait de plus en plus de Français qui faisaient ça. Et comme nous on allait souvent au Japon, et on avait vu que là-bas, c'était un truc de malade quoi. Et on s'est dit, on était rue Keller, donc à la boutique, et c'était l'association Planète Keller, donc des commerçants de la rue. Il y avait, la journée avant l'été, on faisait une fête pour attirer les gens dans la rue. C'était une rue qui avait une autre boutique de manga, qui avait des boutiques et des coins qui étaient le centre lesbien, il y avait des boîtes de nuit de travestis, il y avait des créateurs, dont un d'eux qui est là-bas et qui maintenant à des boutiques à New York. Il y avait plein de petits créateurs de fringues. Il y avait un sex shop gay. Enfin voilà, c'était un melting pot, comme on dit. Il y avait une librairie qui était juste en face de nous, qui existe encore, c'était la librairie Lady Long Solo, qui est une librairie spécialisée sur les livres sur le cannabis. Donc en fait, dans l'association dont on faisait partie, on s'est dit que ce qui serait bien, c'est que chaque boutique puisse créer quelque chose pour faire l'animation. Alors des expos, des trucs, machin. Et nous on a eu cette idée de se dire : « Tiens putain, on devrait faire un concours de cosplay ». Et l'erreur qu'on a fait c'est qu'on n'a pas déposé le brevet.

AM : Ah, c'est sûr que là, ça aurait été bien.

NB : Ben c'est sûr. Du coup, on a fait ça en juin, en octobre on organisait... à l'époque c'était Bercy expo, un salon, avant c'était à gare d'Austerlitz, après ça a été à Bercy. On organisait ça, et on organisait donc le premier concours dans un salon. Là le concours, il y avait eu genre 30 personnes qui s'étaient inscrites, donc c'était pas mal. Et il y avait eu une télé, quand même. C'était super sympa. On avait appelé tous les éditeurs, tous les fournisseurs, qui nous filaient des lots. Et à Bercy, il y a eu 100 personnes qui se sont inscrites. Et après le truc, ça nous a dépassé. Tous les salons ont repris le principe. Et voilà, le début c'était nous quoi.

Voilà, et moi quand je suis arrivé, il y avait- Tonkam avait Video Girl , c'était le début de Video Girl . On devait être au troisième ou quatrième tome. Il y avait, Yong , c'était un one-shot. Il existait Dragon Ball , Candy Candy le manga, et Akira . Il n'y avait que ça en français. Tout le reste était en japonais. Et quand je parle en japonais, Dragon Ball , on en avait 40 000 exemplaires en japonais. C'était... c'était quand même assez costaud quoi. Donc voilà, et c'est pour ça que je suis resté dans le manga, et que j'ai toujours évolué, que ce soit à la Fnac ou après chez Delcourt, toujours dans ce milieu. Parce que c'est un milieu que je connais bien, et... Les gens dans le milieu, c'est soit des gens de ma génération, qui ont au-dessus de 40 ans, c'est ceux du début, quand ils étaient plus jeunes, qui ont vu le truc arrivé, qui croyaient aux mangas ; soit la génération un petit peu au-dessus, et du coup c'est vrai qu'on se connaît un petit peu tous.

AM : Et vous, si vous êtes allé vers ça, c'est parce qu'à la base, vous étiez passionné de mangas, ou... ?

NB : En fait, moi je devais écrire, je faisais des études pour travailler dans le milieu du cinéma. Enfin plutôt... Lumière. Et j'étais dans un lycée qui était juste à côté de Tonkam, pas très loin. Et comme moi j’habite le quartier depuis que je suis né, c’était, avant de vendre les mangas, une librairie d’école. Ça appartenait aux parents de celui qui s’est mis à vendre des mangas. Et moi j’allais à cette librairie, qui ensuite est devenue une librairie de BD. Donc moi, ils me connaissaient depuis que j’étais petit. Quand j’étais au lycée, j’avais 17, et je cherchais un taf d’étudiant. Et eux, un jour, je leur avais dit ça, et ils m’ont dit : “Tu cherches toujours un truc?” Parce qu’en fait les deux soeurs qui ont lancé ça, il y en a une qui était la comptable, dans les bureaux, elle venait le samedi et le mercredi après-midi pour… en renfort. Elle me dit que sa soeur, elle en a marre de venir, et elles ont pensé à

moi pour prendre sa place dans la boutique, pour travailler à mi-temps. Ça s’est fait comme ça quoi. Et puis parce que je venais acheter des BD. Et en fait, petit à petit je suis resté, et ils m’ont… derrière j’ai fait un BET de gestion, en même temps que je faisais ça. Et j’ai intégré le milieu, mieux que le cinéma, parce qu’à l’époque c’était un peu… il y avait eu les grosses grèves des intermittents, c’était un peu compliqué. Je ne me voyais plus trop là-dedans. C’est arrivé comme ça.

AM : Et puis vous vous êtes retrouvé sur un marché, où finalement il y avait tout à faire. NB : Oui. En fait je pense que la chance que j’ai eue, c’est que quand je suis arrivé à la Fnac, effectivement c’était un marché… le marché en lui-même était un peu en place mais pas à la Fnac. À la Fnac ils étaient encore très novices sur le manga et ils cherchaient des gens qui connaissaient le produit, pour le développer. J’ai commencé comme libraire dans un magasin, et je suis vite monté en

fait. On m’a confié des missions, j’ai monté une librairie, j’ai eu une mission à la Direction

commerciale en Belgique. Avant d’arriver, j’étais adjoint à Forum, et avant de passer au siège,

j’étais… en fait j’ai passé 7 ans au magasin et 8 ans au siège. Et je suis monté pour développer

justement le business BD et manga sur le site internet. Puis je suis passé naturellement à la

Direction commerciale pour gérer les contrats derrière. Ça s’est passé comme ça. Et Delcourt en fait, enfin Delsol, mon boss actuel c’est quelqu’un avec qui je bossais depuis très très longtemps en tant que fournisseur, avec qui je me suis toujours bien entendu et tout. Et quand il l’a créé, et il a eu besoin de quelqu’un pour l’aider, vu qu’il était tout seul sur le commerce, et quand il a pensé au poste, il me l’a décrit, il m’a demandé ce que j’en pensais. Je lui ai dit que ça avait l’air d’être un super poste. Et il m’a dit que justement il aimerait bien me le proposer. Moi j’étais partant. Je pensais pas partir de la Fnac, mais voilà, ça a été…

AM : C’était une bonne opportunité.

NB : Oui voilà, c’est ça. Alors j’avais cette envie de me tourner vers un groupe d’éditeurs, pour

travailler un peu plus sur le… un peu plus profondément sur le produit, l’édito, le marketing etc. Parce qu’à la base, du coup à la Fnac, il y a la partie produit, il y a la partie contrats, et du coup plein de parties qu’on voit pas sur les magasins qui se montent, parfois les trucs avec les vendeurs, ça peut être compliqué avec la gestion des employés… voilà, des choses qui s’éloignaient de ce que je voulais faire. Je le faisais, ça me plaisait, mais mon truc c’était quand même plus de produit. C’était une très belle opportunité. (10:00 minutes)

AM : J’avais une petite question, quand vous discutiez un peu de l’ambiance qui entourait

cette librairie, notamment quand vous avez organisé le premier cosplay, et vous disiez que

c’était entouré de bars lesbiens et gays, que c’était un peu le quartier fêtard, est-ce que du

coup pour vous c’était bien pour la librairie? Est-ce que pour le côté cosplay, ça s’intégrait

particulièrement bien dans ce type d’ambiance, dans un côté très festif ? Parce que naturellement vous m’avez un peu parlé de l’ambiance générale, et je me demandais…

NB : Alors je pense que nous on se connaissait entre boutiques, mais les personnes qui

fréquentaient les boutiques ne se connaissaient pas, par contre, entre elles. Mais par contre, effectivement, c’était quand même un milieu où il n’y avait pas internet à l’époque. Il n’y avait pas de forum. On ne pouvait pas se trouver. Les seules informations qu’on pouvait trouver, c’était en

achetant un magazine en japonais et en le décryptant. Ça coûtait quand même assez chère à

l’époque. Parfois il y avait un mec qui en achetait un, et il se mettait dehors, ils le regardaient à dix.

Ça créé des groupes. Il y avait plusieurs types comme ça, qui faisaient que effectivement, des

ambiances se faisaient par groupes un petit peu. Et il y avait des très bonnes ambiances. Alors

aujourd’hui, je ne dis pas qu’il n’y en a pas, mais internet facilite les rencontres éloignées, et ils peuvent se retrouver peut-être une fois dans un salon. Tandis que là, le rendez-vous c’était le samedi

après-midi. Le samedi après-midi, rue Keller à 14h, on ne pouvait pas passer devant notre boutique. Les autres aussi, un petit peu, mais nous spécialement, les gens ne pouvaient pas traverser. Les voisins balançaient des bassines d’eau parce qu’ils en avaient marre du bruit. Nous on avait un videur. On était obligés de fermer la boutique, d’attendre que ça se vide un peu, pour faire re-rentrer, tellement il y avait de gens. C’était ambiance du samedi, ils étaient contents de se retrouver devant une boutique pour parler de leur passion. C’est ça qu’il y avait à l’époque : 93, 94, 95, et même jusqu’aux années 2000, c’était une… lire des mangas c’était un peu compliqué pour les jeunes. C’était un peu clôturé, un côté “ouais le manga, machin, c’est pour les mecs qui ne savent pas lire”, “c’est un peu débile”. Les gens ils avaient quand même une vision du manga un peu compliqué. C’est arrivé un peu avec les films de Miyazaki, ou les livres de Taniguchi, qui ont redonné leurs lettres