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Un enseignement supérieur pour les Africains : l’Institut et l’Université de Dakar

Chapitres I, II, III et

2- Un enseignement supérieur pour les Africains : l’Institut et l’Université de Dakar

La Conférence internationale de Brazzaville, tenue du 30 janvier au 8 février 1944, marque un tournant irréversible dans l’évolution des colonies françaises d’Afrique Noire. Qualifié par Joseph Roger De Benoist de Conférence Africaine Française, l’événement conduit la France

161 Après l’indépendance de 1960, ce centre IFAN devient l’IRAD, institut de recherches appliquées du Dahomey en

1961. Voir Paule Brasseur et Jean-François Maurel, Les sources bibliographiques de l'Afrique de l'Ouest et de

l'Afrique équatoriale d'expression française, Dakar, Bibliothèque de l’université de Dakar 1970, p. 52.

162 Etudes est le substrat commun de ladite revue dans chaque colonie, de sorte que ces Etudes deviennent Etudes

Dahoméennes pour le Dahomey, Etudes Sénégalaises pour le Sénégal.

163 Théodore Monod, art. cit., in La Revue Maritime, op.cit., p. 902. 164 Cf. Paule Brasseur et Jean-François Maurel, op.cit., p. 7.

à modifier les statuts des anciennes colonies même si les résolutions retenues ont soigneusement écarté toute idée de « self-gouvernements »165 comme c’était le cas dans les colonies britanniques. C’est le contexte qui a vu germer et évoluer l’idée de créer un enseignement supérieur universitaire pour l’AOF à Dakar.

2-1- Le contexte de création de l’institut des hautes études de Dakar

À la conférence de Brazzaville en 1944 l’on parle de « la nécessité d’un effort de grande envergure pour assurer la pénétration de l’enseignement dans les masses et permettre, grâce à l’extension de cet enseignement, la sélection d’élites appelées à tenir un nombre de plus en plus grand d’emplois dans les diverses branches de l’activité outre-mer » comme l’a écrit le ministre des colonies à Monsieur le Gouverneur166.

Jean Capelle est l’un des acteurs importants ayant voulu un enseignement supérieur aofien sur le modèle universitaire français167. C’est en tant que directeur général de l’enseignement supérieur en AOF que le 3 avril 1947, il adresse au Haut-Commissaire de la République française en Afrique francophone de l’Ouest (AFO), une lettre dans laquelle il prend la première

initiative168 d’aborder la question d’un enseignement supérieur de type universitaire à Dakar. Il y écrit que « l’heure est venue de jeter les bases d’une université à Dakar »169. La correspondance qualifiée par le recteur Capelle lui-même de sa « lettre-programme de l’enseignement »170, obtient le précieux soutien des Africains élus comme parlementaires de l’AOF pour siéger à l’assemblée nationale française. Léopold Sédar Senghor (en pair avec son homologue Lamine Guèye pour le compte du Sénégal) faisait partie de ces députés signataires aofiens.

165 Joseph Roger De Benoist, L’Afrique occidentale française de 1944 à 1960, Dakar, Les Nouvelles Editions

Africaines 1982, cf. p. 23-35.

166 ANOM, FM 1 AFFPOL 238, « Note de la Direction de l’Enseignement et de la Jeunesse des Colonies, 27 rue

Oudinet, à Monsieur le Directeur des Affaires Politiques à l’objet de “création d’Universités à Dakar, Tananarive et Fort-de-France’’, 2 octobre 1945 ».

167 Voir en Annexe une page d’éléments biographiques. 168 L’expression est de Jean Capelle lui-même.

169 Jean Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances, Paris, Karthala-ACCT 1990, p. 85. Il

s’agit en réalité d’une réponse que Jean Capelle écrit au Haut-Commissaire de la République et Gouverneur général Barthes, lequel explicitait, par correspondance du 6 décembre 1946, à tous les gouverneurs des territoires son « intention de faire appliquer en AOF, par toute une série de décisions, les textes qui régissent en France l’organisation de l’Enseignement », p. 40.

La lutte porte son premier fruit car, après l’initiative d’« une classe de mathématiques spéciales, ouverte au lycée Van Vollenhoven en 1947 », une préparation au certificat de Physique-Chimie-Biologie ouvre l’accès des études pouvant conduire au doctorat en médecine pour l’année 1948-1949. Dans son discours du 20 janvier 1949, lors du lancement de la nouvelle formation, Jean Capelle interprète l’acte décisionnel de l’autorité hiérarchique : « Modeste par son programme actuel comme par le nombre d’étudiants, l’œuvre que nous inaugurons est déjà lourde d’obligations : car en décidant l’ouverture d’un enseignement de PCB (physique-chimie- biologie) à Dakar, vous avez en fait, M. le Haut-Commissaire, décidé la création d’une université… »171.

L’enseignement supérieur embryonnaire va progressivement être structuré pour parvenir à un statut juridique déjà important en 1950. En effet, suite à la mobilisation en synergie de plusieurs défenseurs de la cause, Jean Capelle réussit à faire créer, par décret du 6 avril 1950 l’Institut des Hautes Études de Dakar. L’IHED s’ouvre avec trois écoles à savoir :

- une École supérieure de Droit - une École supérieure des Lettres

- une École Préparatoire de Médecine et de Pharmacie172.

Cette école préparatoire est appelée “la nouvelle école de médecine’’ dont la construction commence sur un domaine différent de celui occupé par l’école de 1918. Il y a eu vraisemblablement une quatrième école : l’école supérieure de sciences avec vingt-huit premiers étudiants, suivant un article de Jean Capelle publié dans La Revue Maritime173. Nous ne retrouvons cependant aucune information sur cette école dans les archives de l’université de Dakar ni dans celles de l’AOF au Sénégal ou à Aix-en-Provence. On sait cependant que l’IHED connaît un développement significatif et comprend plusieurs secteurs de formation qui vont

171 Jean Capelle, L’éducation en Afrique noire, op.cit., p. 86

172 Université Cheikh Anta Diop (UCAD)-Archives du Rectorat (AR), Centre Universitaire de Documentation

Scolaire (CUDS), document « L’Université de Dakar », p.1, format numérisé par Abdoulaye Sarr, archiviste du rectorat.

173 Jean Capelle, Recteur de l’Université de Dakar, « L’université de Dakar : création de l’université », La Revue

devenir, au démarrage de l’université de Dakar, les nouvelles branches universitaires au service de « l’éducation culturelle et de l’instruction professionnelle des peuples de la Communauté »174.

La première mesure prise par la France coloniale en créant l’IHED qui doit devenir l’université de Dakar, est de placer l’établissement d’enseignement supérieur sous le tutorat des universités métropolitaines. Celles-ci resteront alors le modèle de l’institut aofien pour sa transformation en université de plein exercice. C’est ainsi que, du côté français comme de celui africain, l’aune de comparaison, pour justifier les points de vue et les revendications, est continuellement le modèle universitaire de la métropole française.

Telle est l’attitude adoptée par la commission mixte des universités de Paris et de Bordeaux qui s’est réunie le 27 mars 1954 pour faire front aux revendications exprimées par les étudiants de Dakar à travers la lettre ouverte de l’Association générale des étudiants de Dakar (AGED) au Haut-Commissaire de la République française en novembre 1953. Ladite commission mise sur pieds par le Haut-Commissaire pour apprécier le courrier de l’Association générale des étudiants dahoméens (AGED), désavoue les étudiants en rejetant leurs revendications. Elle écrit alors que :

Prenant acte des résultats satisfaisants obtenus tant sur le plan des installations matérielles, que du recrutement des professeurs, [la commission] adresse ses félicitations et renouvelle sa pleine confiance au Recteur, aux Directeurs des Écoles et au personnel enseignant de l’Institut des Hautes Études, en leur demandant de poursuivre avec le même dévouement la tâche entreprise175.

À l’opposé, la commission ne reconnaît pas d’objectivité aux revendications des étudiants militants, puisqu’elle

exprime indignation devant l’attitude inadmissible prise par l’Association des Étudiants de Dakar malgré le rappel mérité adressé à son Président par M. le Recteur de l’Académie de Bordeaux (…). La commission exprime sa pleine confiance dans la jeune Université française d’Afrique dont le développement continuera à être poursuivi176.

174 UCAD-AR, CUDS, document cité, p.1. (Format numérisé par Abdoulaye Sarr, archiviste du rectorat). 175 Dakar-Etudiant, juin 1954, p. 13.

Il faut toutefois mentionner que cette commission se dit consciente de ce qu’elle a appelé « les difficultés inhérentes à une période de démarrage »177.

On distingue alors en 1957 :

- une Faculté de Droit et des Sciences Économiques, - une Faculté des Sciences,

- une Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, - une Bibliothèque universitaire,

ainsi que divers instituts :

- un Institut d’Études Administratives Africaines

- un Institut des Sciences Économiques et Commerciales Appliquées d’Afrique Noire - un Institut Français d’Afrique Noire (IFAN)

- des Instituts de Préparation aux Enseignements du Second Degré178.

L’IFAN, un institut de « sciences coloniales » est ainsi intégré à l’IHED pour encourager la professionnalisation de la recherche coloniale et l’interdisciplinarité dans l’expérience du terrain colonial des divers scientifiques, géographes, ethnologues, anthropologues, etc. En effet, depuis la création de l’IFAN, on a noté que « malgré l’hétérogénéité des traditions disciplinaires et des styles d’exposition, les pratiques de terrain des scientifiques sont également affectées par une professionnalisation croissante de la recherche, soutenue notamment par l’Institut Français d’Afrique noire (IFAN) »179.

La création aussi bien que la structuration de l’institution sont incontestablement tributaires de la conception du recteur Jean Capelle pour l’enseignement en AOF et plus spécifiquement de l’enseignement supérieur dans cette académie d’outre-mer. Convaincu de son côté d’être en train de promouvoir l’enseignement supérieur en AOF, Jean Capelle n’a pas toujours reçu le soutien enthousiasmé des premiers concernés par son initiative. Telle est l’appréciation qu’inspirent les diverses relations de tension qu’il a parfois vécues avec certains étudiants militants d’une part, de même qu’avec l’administration et le Ministère de la France d’Outre-mer, d’autre part.

177 Dakar-Etudiant, juin 1954, p. 13. 178 Ibid.

179 Marie-Albane de Suremain, « Faire du terrain en AOF dans les années cinquante », Ethnologie française, 4/2004

(Vol. 34), p. 651-659, in http://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-4-page-651.htm (consulté le 27/02/2017).

Dans l’aire géographique africaine, et pour en considérer l’effet boule de neige, la proclamation de l’indépendance du Ghana le 6 mars 1957, un des deux colonies britanniques incrustées dans un ensemble de colonies françaises en Afrique de l’Ouest, ne peut pas passer inaperçue dans les colonies aofiennes. Bien plus, cet événement dans l’espace africain anglais, introduit une brèche dans les murailles coloniales françaises en Afrique. Certes, un peu avant cet événement, la Loi-cadre du 23 juin 1956 formalise l’évolution de statut des colonies françaises sans que soit envisagée aucune ouverture vers l’indépendance. C’est ce que constate le jeune Ousmane Camara, un étudiant de l’institut de Dakar180. Il s’agit d’un effort politique de la France de veiller à être aux normes internationales de l’ONU mais sans pour autant renoncer à ses intérêts coloniaux. Dans son article intitulé « L’esprit de la Loi-cadre », l’étudiant Camara dénonce alors une certaine hypocrisie diplomatique que la France serait en train de « présenter dans divers pays du monde, sinon brillamment, du moins bruyamment »181. Il conteste que cette loi soit entendue d’une part comme « le magnifique fruit du gouvernement issu des élections du 2 janvier182, gouvernement anticolonialiste par essence parce que socialiste, et d’autre part [comme] l’éclatante illustration de la mission généreuse de la France »183. L’étudiant Ousmane Camara déclare s’ériger contre cette sorte d’illusion qui est en train d’être répandue au niveau international avec ce qu’il qualifie de complicité de « certains leaders africains », sur le terrain colonial ouest africain. O. Camara s’exprime à cet effet par les termes suivants :

Non, l’esprit de la loi-cadre n’est ni dans le désir du parti socialiste français de porter un coup mortel au colonialisme, ni dans un élan auguste et généreux de la France des Guy Mollet, Déferre, Lacoste, Pinay, Bidault, et autres, car, cette France-là qui depuis 10 ans s’est engagée dans de criminelles guerres de reconquête coloniale n’est pas généreuse184.

180 Voir Ousmane Camara, « L’esprit de la loi-cadre », Dakar-Etudiant, n° 7, décembre 1956, p. 7. Même s’il est

hélas impossible d’avoir l’article complet, puisque la sauvegarde de ce numéro s’est arrêtée à la page 7, il est perceptible que dans les deux colonnes disponibles l’essentiel des idées de l’auteur annoncé par le titre de l’article a été exprimé.

181 Ousmane Camara, « L’esprit de la loi-cadre », Dakar-Etudiant, n° 7, décembre 1956, p. 7. 182 Il s’agit du gouvernement français du 2 janvier 1956.

183 Ousmane Camara, « L’esprit de la loi-cadre », Dakar-Etudiant, n° 7, décembre 1956, p. 7. Pour « la mission

généreuse de la France », on se reportera avec intérêt aux travaux d’Alice Conklin, lesquels travaux sont une référence sur l’analyse scientifique de la conception trop propagandiste qu’avaient la plupart des colonisateurs sur ce qui s’est appelée la mission de civilisation de la République (française) dans l’empire colonial spécialement à l’ère de la Troisième République. Cf. Alice Conklin, A Mission to Civilize : The Republican idea of Empire in France

and West Africa 1895-1930, Stanford, California, Stanford University Press.

Pour tenir compte du nouvel ordre du monde après la Deuxième Guerre Mondiale, il n’est pas anodin que ces idées soient émises officiellement en 1956 par un étudiant de l’IHED qui, dès sa genèse, est d’ailleurs appelée université de Dakar par les autorités de la France d’Outre-mer. Bon gré, mal gré, la France coloniale, ébranlée voire affaiblie par la guerre et les idées d’émancipation des colonisés lettrés, concédera en vague, l’accession à la souveraineté internationale des pays africains sous sa domination entre le 2 octobre 1958 pour la République de la Guinée Conakry, première en liste, et le 28 novembre 1960 pour le dernier de cette période, la république de la Mauritanie185. L’évocation rapide de quelques éléments de ce contexte franco- africain favorisé par un ordre international nouveau après la Deuxième Guerre Mondiale, permet de comprendre l’évolution de l’IHED. Cette croissance institutionnelle a dû se faire dans une atmosphère de bien des tensions entre les orientations voulues par les autorités françaises de la future université de Dakar, les insistantes suggestions des acteurs africanistes français ou responsables sur le terrain comme Jean Capelle, Lucien Paye, ainsi que les aspirations et revendications des étudiants et élites d’Afrique occidentale. Au demeurant, l’université créée à Dakar en 1957 et qui est la 18e université française, est conçue sur le modèle français comme cela se perçoit dans la cérémonie de lancement officiel.

2-2- L’évolution de l’institut des hautes études vers une université

C’est à deux reprises qu’en tant que recteur de l’Académie de l’AOF, Jean Capelle a assumé les fonctions de directeur général de l’enseignement. Il a ainsi passé plusieurs années à Dakar, du 1er janvier 1947 au 30 septembre 1949, puis du 1er octobre 1954 au 30 septembre 1957. Il a fait de régulières tournées dans toute l’AOF. Il a une connaissance nécessaire des besoins des peuples africains de son académie en matière culturelle, et particulièrement en ce qui concerne le système d’enseignement. Le recteur Capelle « expose avec précision et conviction la situation de l’enseignement, retrace ses multiples combats contre des habitudes sclérosantes et des structures bureaucratiques paralysantes, pour que cette situation évolue en cohérence avec le monde

185 Pour toutes les dates des différents pays africains du bloc colonial français devenus indépendants entre 1958 et

1960, voir un récapitulatif d’Eugène-Jean Duval, réalisé à partir d’une chronologie de la vie du Général De Gaulle par l’Institut Charles De Gaulle : Eugène-Jean Duval, Aux sources officielles de la colonisation française. Vers la

moderne (…avec) sa confiance profonde dans la jeunesse africaine »186. Chacun de ses deux séjours de mission est couronné d’un succès important en matière d’implantation d’un enseignement supérieur conséquent en AOF.

Le premier fruit important du combat initié par le recteur Capelle pour un enseignement supérieur digne de ce nom en AOF est l’Institut des Hautes Études de Dakar comme nous l’avons vu. Cet institut qui démarre moins d’un an après le départ de Dakar du recteur Capelle, lequel institut est rattaché pour son statut académique aux universités françaises de Paris et de Bordeaux, devient pour ainsi dire l’accomplissement de la perspective ouverte par la lettre du 3 avril 1947. La phrase célèbre et solennelle de cette lettre est la conclusion que Jean Capelle a exposée au ministre de la France d’Outre-Mer : « Je crois que l’heure est venue de jeter les bases d’une université à Dakar et de placer l’ensemble de l’enseignement d’AOF sous le contrôle de l’Éducation Nationale »187. Même s’il n’a pas été celui qui a présidé à son lancement, Jean Capelle devrait être satisfait de l’émergence de cette structure académique qu’est l’IHED dont l’intérêt semble au bénéfice des acteurs coloniaux.

En 1948 il est écrit dans un rapport anonyme retrouvé aux archives de l’AOF au Sénégal que dans l’université naissante, « le nombre des élèves africains y est réduit, non pour les raisons raciales que l’on se plaît à répandre, mais surtout parce que ces deux établissements (les deux lycées français) sont l’un sans internat (Dakar) et l’autre avec un internat de très faible capacité (60 places) ». En conséquence, poursuit l’auteur du rapport, « à la création, la clientèle de la future université se trouve-t-elle extrêmement réduite. Au début, il ne paraît pas possible de la peupler autrement qu’avec des Européens et un nombre fort restreint d’Africains »188. C’est pratiquement avec des étudiants essentiellement européens que l’université de Dakar a commencé, les étudiants africains étant alors principalement des boursiers en France et ailleurs, en Occident. Cette université est donc dite africaine, parce qu’ouverte en Afrique et à l’intention de la jeunesse africaine, mais elle se veut aussi, sinon d’abord, une université européenne de modèle français tant par sa structuration, sa gouvernance que par sa population cible. Or, dans les textes officiels ayant rendu compte de la nécessité de créer une université en AOF, à partir de la

186 Jean Capelle, op.cit., 4e de couverture. 187 Jean Capelle, op.cit. p.41.

188 Archives du Sénégal (AS)-O-574(31) : Création de l’université africaine de Dakar (faculté de droit)

conférence de Brazzaville, et jusqu’à la création effective en 1957, aucune mention n’a jamais été faite du besoin de cette université pour la population européenne sur place. Le fait de transplanter le modèle français comme cela avait déjà été fait pour les lycées, est comme une délocalisation ou même une internationalisation du modèle universitaire français en outre-mer. On comprend dès lors le constat fait dans le rapport sus-évoqué : « l’annonce de la création de cette université ne paraît pas avoir suscité, chez les élèves de nos Écoles fédérales, l’enthousiasme auquel on devait s’attendre »189. La création d’un premier maillon universitaire en AOF revêt donc aussi une dimension symbolique car l’objectif final ne manque pas d’être profitable aux Européens expatriés. Ainsi, même si le combat du recteur Jean Capelle était de faire pour les Africains un enseignement supérieur de même qualité que le métropolitain, cette possibilité locale d’études universitaires, rendue difficile par le pouvoir du Ministère de la France d’Outre-mer, était également utile pour de nombreux ressortissants français et européens.

En fin d’année académique 1953-1954, Monsieur Cornut-Gentile, Haut-commissaire et Gouverneur général de l’AOF adresse une correspondance à Jean Capelle, alors recteur de l’académie de Nancy, pour avoir son avis sur l’orientation qu’il faudrait envisager de donner à l’organisation de l’enseignement aofien. C’est sans doute là, une preuve que Capelle reste un bon connaisseur du système d’enseignement de l’AOF qu’il a pourtant quitté depuis cinq ans déjà. Dans sa réponse du 5 juillet 1954, le recteur Capelle affirme clairement son option de travailler résolument à l’évolution de l’institut universitaire de Dakar vers le statut d’une université française. Selon Capelle, « L’institut universitaire, dont j’ai proposé la création en 1949, a déjà enregistré des succès »190. Puis, il ajoute plus loin dans sa lettre : « L’Institut conçu en 1949 marque une première étape. Le moment semble venu maintenant de franchir la seconde et de créer une université à Dakar »191. C’est probablement pour œuvrer à cette seconde étape, que Jean Capelle a été nommé pour la deuxième fois, à compter du 1er octobre 1954, recteur de l’académie de l’AOF, poste dont il démissionnera le 30 septembre 1957 après la création effective de l’Université de Dakar192.

189 AS-O-574(31) : Création de l’université africaine de Dakar (faculté de droit) conformément aux

recommandations de la conférence de Brazzaville. 1945-1946, p. 3.