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1.2 Vibrations ambiantes dans les structures et leur enregistrement

1.2.2 Enregistrement de vibrations ambiantes dans les structures

Les logiciels commerciaux d’analyse modale et la démocratisation du matériel d’enregistre-ment, grâce au passage de l’analogique au numérique, permettent aujourd’hui à un nombre croissant d’entreprises et de laboratoires d’étudier les paramètres modaux des structures de génie civil. Cependant, le matériel employé peut s’avérer mal adapté à l’enregistrement des vibrations ambiantes. Nous précisons dans cette partie quels choix techniques ont été réalisés au LGIT.

0 300 600 900 −3 −2 −1 0 1 2 x 10-4 Velocity (m/s) Time (s) a) 0.2 1.22.44 2 5 10 −30 −20 −10 0 10 20 30 PSD (dB) Frequency (Hz) b)

Figure 1.7 : a) Enregistrements en temps et b) spectre (Densité Spectrale de Puissance, DSP) en dB au sommet et au rez-de-chaussée de l’hôtel de ville de Grenoble. a) Time history and b) Power Spectral Density (dB) at the top and basement of the Grenoble City Hall.

Accélérométrie ou vélocimétrie ?

Comme on l’a vu au paragraphe précédent, l’amplitude des vibrations ambiantes des bâti-ments est faible. Leur enregistrement nécessite donc une chaîne d’acquisition bas bruit dans la bande de fréquence 0.4 − 25 Hz. Pour cela, deux éléments de cette chaîne sont essentiels : le capteur et le numériseur. Le capteur convertit les vibrations (en vitesse dans notre cas ou en accélération) en un signal électrique en Volts. Ce signal est ensuite numérisé sur un nombre fini de bits entre une valeur minimale et une valeur maximale. Un bon numériseur doit donc avoir : – un niveau de bruit électronique faible en comparaison de l’amplitude du signal électrique

en provenance du capteur

– une amplitude de saturation suffisante pour les vibrations que l’on veut enregistrer, sa-chant que l’utilisateur peut jouer sur le gain pour utiliser au mieux l’échelle de codage – un nombre suffisant de bits pour que la précision des faibles valeurs enregistrées soit

satisfaisante.

Par ailleurs, le capteur utilisé doit lui-même avoir un faible niveau de bruit et être assez sensible pour enregistrer ces faibles amplitudes dans la bande de fréquence d’intérêt. La sismologie classique utilise des vélocimètres, très sensibles dans une bande de fréquence finie et limités en amplitude. Ils sont nécessairement relativement lourds et volumineux car c’est la masse mise en mouvement qui garantit leur sensibilité. Le génie parasismique, intéressé par les mouvements forts, utilise quant à lui des accéléromètres, bien moins sensibles mais large bande et ne saturant pas. Ils sont, en outre, assez bruités à basse fréquence mais miniaturisables. Ainsi, dans le domaine du génie civil sont souvent utilisés des petits accéléromètres piezo-électriques qui vont convenir tant que l’amplitude des vibrations sera assez importante. Pour l’enregistrement de vibrations ambiantes dans des structures, il est donc possible d’utiliser des vélocimètres de bonne qualité dans la bande de fréquence 0.4 − 25 Hz, très sensibles mais lourds et volumineux, ou des accéléromètres de très bonne qualité, moins sensibles et plus bruités mais plus petits. La figure 1.8 montre, pour le modèle de bruit élevé, que l’accéléromètre FBA-23 (Kinemetrics) n’est pas assez résolu à basse fréquence, contrairement au vélocimètre qui est très bien résolu.

Vélocimètres et accéléromètres peuvent tous deux être adaptés à l’enregistrement de vi-brations ambiantes à condition qu’ils soient cohérents avec les mesures que l’on souhaite faire (accéléromètres très précis ou vélocimètres avec une réponse plate entre 0.4 et 25 Hz) et avec le reste de la chaîne d’acquisition.

Dans le cadre du projet SESAME (Atakan, 2002), une comparaison de numériseurs et de capteurs a été réalisée pour ce qui concerne l’enregistrement du bruit de fond sismique. Les résultats indiquent qu’il est déconseillé d’utiliser les accéléromètres Episensor (Kinemetrics) ou CMG5 (Guralp) et conseillé d’utiliser les vélocimètres L4C, L22 (Mark Product) ou Le3D (Lennartz) et les capteurs large bande CMG40 (Guralp). La Cityshark (Leas) fait partie des numériseurs ayant obtenus les meilleurs résultats de cette étude.

10-310-2 10-1 1 10 102 10-10 10-8 10-6 10-4 10-2 1 100 High No ise M odel Low No ise M odel FBA-23 clip at 2g FBA-23 min resolution STS-2 clip at 1 3 mm/s STS-2 min resolution Frequency - Hz Accel eration - m/s 2

Figure 1.8 : Résolution et saturation en accélération de 2 cap-teurs : un sismomètre STS-2 (Streckeisen), le plus sensible et le plus large bande des vélocimètres et un accéléromètre FBA-23 (Ki-nemetrics) comparés aux niveaux de bruit pour des sites peu et très bruités (standard USGS). D’après Clinton (2004). Sensitivity and clipping levels of 2 sensors : a STS-2 (Streckeisen) seismometer, the most sensitive and the most broadband velocimeter and a FBA-23 (Kinemetrics) accelerometer compared to noise levels in low and high noise sites (USGS standard). From Clinton (2004).

Matériel utilisé

Au LGIT, l’équipe Risque Sismique dispose de numériseurs 24 bits Cityshark et Cityshark II, développés spécialement pour l’enregistrement du bruit de fond sismique et des vibrations ambiantes dans les structures (Châtelain et al., 2000). Elle est particulièrement robuste et pratique à transporter et sa qualité de numérisation est reconnue (Atakan, 2002). L’utilisation de la Cityshark II est devenue naturelle compte tenu de la possibilité d’enregistrement de 18 voies synchrones, ce qui correspond à 6 points (3 composantes) de la structure. C’est un nombre adapté à l’habitat courant en ville qui a souvent 4-5 étages.

Les capteurs étant également utilisés en sismologie plus classique, il s’agit de vélocimètres Lennartz 3D 5 s avec une réponse plate entre 0.2 et 50 Hz. Leur désavantage majeur est leur poids mais la qualité des enregistrements en vaut la peine (Atakan, 2002).

Réalisation des mesures

Le choix de la position des points de mesure dépend du temps que l’on a pour étudier la structure. Pour obtenir le mouvement de toute la structure, en particulier pour bien résoudre les modes de torsion, il faut placer 2 à 3 capteurs par plancher, c’est-à-dire par étage et non séparé par des joints de dilatation ayant un comportement supposé parasismique. Cette affirmation se limite aux bâtiments avec des planchers en béton armé qui peuvent être considérés comme rigides. En ce qui concerne les structures en maçonnerie, chaque mur a potentiellement un comportement différent. Il faut donc pouvoir installer des capteurs sur des éléments liés à chaque mur (on peut espérer que le plancher très proche du mur est bien connecté). En pratique pour l’habitat courant, l’accès à la cage d’escalier est le plus facile. Elle constitue un point dur de la structure qui donne une bonne idée du comportement d’ensemble du bâtiment. Cependant, des enregistrements dans la cage d’escalier ne permettent pas de discriminer les modes de torsion, pourtant primordiaux en terme de risque sismique.

Un capteur de référence, fixe pour tous les enregistrements, doit être choisi de manière à relier les jeux de données entre eux (fig. 1.9). En effet, les points de la déformée modale sont normalisés en ce point commun et différentes parties de déformée pourront alors être assemblées. Il sera positionné en haut car le signal y est théoriquement plus simple et de plus grande amplitude. En outre, le dernier étage, en tant que bord libre, n’est jamais un nœud de mode, c’est-à-dire un passage à 0 de la déformée modale. Un capteur situé au rez-de-chaussée en permanence permet, en théorie, de déconvoluer de la sollicitation à la base, c’est-à-dire de l’effet des fondations (mouvement en bloc, basculement si plusieurs capteurs) et de ceux du sol. On peut alors isoler la structure elle-même de son interaction avec le sol.

Dataset 1 Dataset 2 Reference sensor 0 1 2 3 4 5 6 0 8 10 12 14 16 Time (s) Story

Figure 1.9 : Exemple de stratégie d’enregistrement, le capteur de référence est maintenu au dernier étage entre le premier et le second jeu de données. Les enregistrements (au centre) ont été réalisés dans la tour ARPEJ II (à gauche) sur le campus de Grenoble par Dunand (2005). Example of recording array, the reference sensor stays at the top during the first and the second recording periods. Recordings at the centre have been made in the ARPEJ II tower (left) on the Grenoble campus by Dunand (2005).

Une fois la référence installée, on dispose les autres capteurs aux points de mesures souhaités et on réalise l’enregistrement. Cette opération est reproduite autant de fois que nécessaire

en déplaçant les capteurs. Les paramètres importants à noter sont la géométrie de chaque configuration d’enregistrement et la présence d’un environnement particulier tel que la proximité d’une machine tournante ou d’un ascenseur, un mauvais couplage entre le capteur et la structure (plancher bois. . .), etc.

Paramètres des enregistrements

– Gain : On règle le gain pour optimiser la pleine échelle de la carte 24 bits sans saturer. On se donne une limite de 2% de saturation de l’enregistrement. La saturation induit des erreurs dans l’estimation des spectres, surtout en amplitude, ce qui affecte les déformées modales (fig. 1.10). L’erreur induite en fréquence à cause des singularités dans le signal ainsi produites a un effet plus limité.

– Fréquence d’échantillonnage : Les fréquences maximales qui peuvent être intéres-santes en bâtiment sont rarement supérieures 25 Hz. Les capteurs ont, quant à eux, une réponse plate jusque 50 Hz. La fréquence d’échantillonnage doit donc être supérieure à 50 Hz. Pour plus de marge, on choisit généralement 200 Hz mais il est inutile d’enregistrer à plus haute fréquence.

– Durée d’enregistrement : Brincker et al. (2003) proposent d’enregistrer au minimum max(ξ100

kωk) secondes, où ωk sont les pulsations propres (ωk = 2πfk, fk les fréquences

propres) et ξk le taux amortissement visqueux équivalent. Cela correspond à 100 fois

le temps de décorrélation du premier mode. Par exemple, un bâtiment dont la première fréquence propre serait 1 Hz (10 à 20 étages) et l’amortissement de 1% doit être enregistré pendant au moins 1600 s (environ 25 min). Une autre règle est d’enregistrer 1000 à 2000 périodes du mode fondamental (Cantieni, 2004). Un bâtiment à 1 Hz nécessiterait donc 1000 s d’enregistrement, soit 16 à 17 min, un bâtiment à 2 Hz (8 à 12 étages) 8 min. Pour les bâtiments classiques, on a gardé une durée d’enregistrement constante de 15 min. Cela ne s’applique pas aux bâtiments de grande hauteur et aux ponts pour lesquels une estimation préalable de la fréquence fondamentale est nécessaire. Il s’est avéré, en pratique, que cette durée pouvait ne pas suffire à déterminer les déformées avec précision. En effet, pour déterminer des modes avec peu d’énergie, il faut faire une moyenne sur de plus nombreuses fenêtres de temps (cf. § 1.3.3 et 1.3.7). La figure 1.10 montre que même au bout de 900 s d’enregistrement pour un mode à 2 Hz (1800 périodes enregistrées), les points de la déformée modale n’ont pas convergé.

0.1 1 10 10-5 10-4 10-3 10-2 10-1 1 Frequency (Hz) Normalized PSD clipped signal original signal a) 0 200 400 600 800 1000 1200 1400 1600 1800 0 10 20 30 40 50 60 70 80 Recording Time (s) Relative Error (%) b)

Figure 1.10 : a) Effet de la saturation : densité spectrale de puissance d’un enregistrement normalisée par son maximum comparée à celle du même signal saturé artificiellement (passage sur 1 bit). b) Effet de la durée d’enregistrement : erreur relative sur les points d’une déformée modale du radier d’une structure en champ libre obtenue par Frequency Domain Decompostion (FDD, cf. § 1.3.5) en fonction de la durée d’enregistrement. En noir les points de la direction de normalisation, en gris ceux de l’autre direction horizontale (valeurs plus faibles). Après 1600 s d’enregistrement, l’incertitude est de l’ordre de 3%. a) Effect of clipping : comparison of the normalized Power Spectral Densities (PSD) of a recording and of these of same signal artificially clipped (1 bit signal). b) Recording length effect : relative error on modal shape points of a free field building obtained by Frequency Domain Decompostion (FDD, cf. § 1.3.5) with respect to the recording length. Black curves correspond to the normalization direction, grey curves correspond to the other horizontal direction (lower amplitudes). After a 1600 s recording, the uncertainty is approximately 3%.