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Enoncés non conventionnels dans l’acquisition d’une langue étrangère

Acquisition des verbes et statut des énoncés non conventionnels dans le contexte d’acquisition d’une langue étrangère

3. Enoncés non conventionnels dans l’acquisition d’une langue étrangère

Dans l’acquisition d’une langue étrangère, il y aurait des paliers inévitables. A certains de ces paliers correspondent des énoncés non conventionnels.

Selon Corder (1980), l’étude des erreurs que nous nommons énoncés non conventionnels a pour but d’améliorer l’enseignement. Ce type d’énoncé est considéré comme un échantillon normal de communication manifestant l’état du développement langagier de

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l’enfant à ce moment là : « Personne n’attend d’un enfant qu’il ne produise à des stades précoces que des formes correctes ou non-déviantes selon les normes adultes » selon Corder (1980, p.11). Ce type de production est un indice de son processus d’acquisition.

Il est d’ailleurs insolite d’appeler ces énoncés déviants ou incorrects. Les enfants acquérant leur première langue parlent un dialecte idiosyncrasique, tout comme les apprenants d’une langue étrangère. Ainsi les phrases idiosyncrasiques de l’enfant ne peuvent être qualifiées de déviantes car il n’est pas encore le locuteur d’un dialecte social. C’est le même cas de figure pour un apprenant d’une langue étrangère : il n’est pas encore le locuteur d’un dialecte social. Corder (1980) nomme dialecte idiosyncrasique ce qui ne constitue pas la langue d’une communauté mais qui est parlé par plusieurs apprenants, contrairement à l’idiolecte qui est le dialecte d’une seule personne. La langue parlée par un apprenant ou un groupe d’apprenants est ainsi un dialecte.

Selon Corder (1980), une communauté d’apprenants avec la même langue maternelle et recevant le même enseignement de langue étrangère partagent à chaque étape une même interlangue. Les variations individuelles seraient dûes à l’intelligence ou à la motivation, etc. Ainsi il semble que les apprenants soient dotés d’un programme cognitif qui leur sert à traiter les données. D’après Corder (1980), ce système transitoire peut être vu comme un dialecte idiosyncrasique dont les règles sont propres au sujet. Les interférences dans le développement du système transitoire est composé de trois sous-systèmes : une partie du système de la langue maternelle, une partie du système de la lange-cible et un système de règles spécifique au dialecte idiosyncrasique.

Ce système transitoire est nommé :

- Système approximatif pour Nemser, Sampson et Richards (cités in Corder, 1980).

- Interlangue pour Selinker (cité in Corder, 1980). La plupart des adultes activent une structure psychologique latente qui met en œuvre un certain nombre de processus : transfert de la première langue, transfert d’apprentissage, stratégies d’apprentissage, de communication, surgénéralisation des règles de la langue cible. Il y a des énoncés non conventionnels communs à tous les apprenants quelle que soit leur première langue. L’interlangue serait proche pour des locuteurs ayant la même première langue et au contraire distante si la première langue n’est pas la même.

La source d’énoncés non conventionnels en acquisition d’une langue étrangère peut être la langue maternelle, notamment si celle-ci a un rôle inhibant. Il y a des énoncés non conventionnels dûs aux interférences de la langue maternelle dans l’acquisition d’une langue étrangère d’après Gaonac’h (1987). Le fait est que l’apprentissage de la langue maternelle est un phénomène inévitable qui s’inscrit dans le processus de maturation de l’enfant, mais pas celui d’une langue étrangère. En effet, l’apprenant d’une langue étrangère a déjà un comportement langagier. Apprendre une première langue implique un mécanisme interne qui permet de construire la grammaire d’une langue naturelle donnée et ce mécanisme reste en place pour apprendre d’autres langues.

Selon Chomsky (cité in Gaonac’h, 1987), il y a une prédisposition innée à la base de l’acquisition de la première langue. Celle-ci pourrait rester en éveil pour l’acquisition d’une langue étrangère. Les énoncés non conventionnels de l’enfant sont ainsi considérés comme des indices d’un processus actif d’acquisition. Leur caractère systématique conduit à faire cette hypothèse. Ces énoncés sont la manifestation d’un état du développement langagier de l’enfant et permettent de décrire la connaissance de la langue par l’enfant. Elles appartiennent au système transitoire de la langue. La production d’énoncés non conventionnels est donc un mode fondamental d’apprentissage.

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Nombre d’auteurs, Krashen, Bailey, Dulay et Burt (cités in Corder, 1980), parlent d’un ordre naturel d’acquisition. Pour Corder (1980), celui-ci est un itinéraire naturel d’acquisition de différents aspects de la langue-cible. Selon Dulay et Burt (cités in Corder, 1980), l’apprenant possède une organisation mentale innée spécifique et il transforme ces stratégies en règles linguistiques. Corder (1980) considère que la façon dont une langue se construit est indépendante des connaissances antérieures. Pourtant nous constatons en langue étrangère des phénomènes démontrant l’existence d’ordres d’acquisition identiques à ceux de la première langue.

Dans certains cas, l’acquisition d’une langue étrangère conduit à l’utilisation de processus de traitements proches de ceux utilisés en première langue, généralisation et simplification en sont les exemples les plus courants. Singleton (1999) souligne que les erreurs des apprenants en langue étrangère, outre cette interférence, peuvent provenir d’un effet de généralisation des règles de cette langue étrangère en cours d’acquisition. Les processus d’acquisition d’une langue étrangère sont caractérisés par une grande variabilité et flexibilité, il s’agit d’exprimer un contenu riche avec des moyens linguistiques limités d’où l’emploi de mots dans des contextes non conventionnels. Les stratégies seraient plus riches, variées et flexibles chez les adultes et les adolescents que les enfants. Les différents modes d’exposition à la langue conduisent à l’activation de stratégies différentes. Le recours à la première langue n’est pas forcément une interférence (effet négatif d’un apprentissage constitué sur un apprentissage en train de se construire) mais un mode de construction du système de la langue-cible. Une des stratégies peut être la référence à des règles ayant un haut degré de généralité.

Par ailleurs, Deulofeu et Noyau (1986) nous rappellent que la notion de langue cible peut être trompeuse, la cible de l’apprenant n’étant pas nécessairement la langue idéalisée des grammaires, dictionnaires ou médias. Sa cible peut être les interactions auxquelles il participe avec les autochtones. Giacomi (1986) explique que l’interaction entre un natif et un non-natif fonctionne à partir d’un principe de coopération interactionnelle qui assure une continuité des échanges à partir d’un nombre minimal d’indices. L’apprenant peut toujours s’en sortir avec des moyens très réduits car il met en place des stratégies comme le recours à des verbes de base dans des énoncés non conventionnels.

4. Bilan

L’apprentissage d’une langue étrangère diffère de l’apprentissage d’une première langue car enfants et adultes ont déjà des structures cognitives en place. De plus le contexte d’apprentissage n’est pas naturel comme celui d’une langue maternelle, parfois il est même forcé. De nombreux facteurs entrent en jeu dans l’acquisition d’une langue étrangère comme l’accès à la langue, l’occasion de l’utiliser ou encore la situation sociale de l’apprenant. L’acquisition en milieu scolaire diffère de l’acquisition d’un immigré qui ne prendrait pas de cours par exemple. Cependant de nombreux auteurs divergent d’avis sur l’acquisition d’une langue étrangère. Pour certains, celle-ci serait plus aisée pour les enfants et pour d’autres elle serait plus simple pour les adultes du fait de leur état cognitif avancé. Mais les auteurs s’accordent à dire que les apprenants d’une langue étrangère passent par des phases similaires d’apprentissage et que lors de leur apprentissage ils feraient le même type d’énoncés non conventionnels. Certains de ces énoncés seraient dûs aux interférences avec la langue

maternelle ; la première langue parlée et toute autre langue connue a un certain impact sur l’acquisition d’une langue étrangère, mais pas systématiquement. Concernant l’acquisition du lexique verbal, nous constatons, comme pour l’acquisition de la langue maternelle, le recours fréquent aux verbes de base et aux verbes nucléaires. Ces verbes permettent de faire face à un lexique limité.

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Nous proposons dans le chapitre suivant une approche différente de la classification courante des énoncés non conventionnels que nous avons observé dans le contexte de la langue maternelle ou d’une langue étrangère. Au-delà de la figure de la métaphore ou du phénomène de sur-extension, nous évoquons l’énoncé non conventionnel selon la notion de proximité sémantique. Nous souhaitons exposer la notion de proximité sémantique entre verbes ou encore celle d’organisation des verbes par co-hyponymie inter-domaines.

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Chapitre 4