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UN ACTEUR EN QUÊTE D’IDENTITÉ

SECTION 3. LES ENJEUX D’UNE NÉCESSAIRE CLARIFICATION DU STATUT DE L’EXPERT PSYCHIATRE

Au-delà des enjeux soulevés par l’hybridation des modèles d’organisation et du statut « sociologique » des experts psychiatres, la question du statut juridique reste une préoccupation majeure pour la stabilité de l’activité. Tandis que l’expertise psychiatrique médico-légale est devenue aujourd’hui un outil essentiel du processus judiciaire, la place de son auteur dans la « société

judiciaire223 » n’est pas toujours bien définie.

Si la loi encadre l’activité et réglemente les conditions d’intervention de l’expert au cours de la procédure, elle laisse souvent une certaine opacité quant à la définition légale de l’expertise

222 En Angleterre et Espagne il n’existe pas de « statut » d’expert judiciaire. C’est à travers l’ordonnance du magistrat ou le mandat des parties qui sollicitent une expertise que le praticien est investi d’une mission judiciaire.

223

Expression empruntée à ROYER, J.-P, La Société judiciaire depuis le XVIIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1979.

120 psychiatrique : en 2009, les dispositions relatives à cette mesure se trouvaient mentionnées dans

près de 51 articles du Code de procédure pénale française, sans jamais la définir224. Pourtant, la

question du statut de l’expert comporte indéniablement des enjeux pratiques qui dépassent le seul aspect sémantique et demeurent essentiels pour l’avenir de l’activité. Frédéric Chauvaud observait à certains égards une tendance au « déclassement » de cet « Objet Juridique Non Identifié » : « Aujourd’hui, ils sont fréquemment qualifiés de « techniciens », comme si l’expression permettait dans une certaine mesure de les disqualifier et de les ramener à un rouage mineur de l’organisation

judiciaire225 ».

Aussi, la quête d’une « identité judiciaire » des experts psychiatres semble bien un enjeu majeur puisque le statut juridique fixe les garanties d’indépendance, conditionne le renouvellement des experts (§1) et détermine leur responsabilité (§2).

§1. Clarifier le statut pour pérenniser l’activité

Le statut du praticien-expert oblige autant qu’il protège. Face à l’hétérogénéité des conceptions juridiques et des pratiques, clarifier le statut revient à s’interroger sur la nature de l’activité, en définir l’essence pour lui (re)donner sens. Dans une approche pragmatique, nous nous concentrerons sur les enjeux d’une nécessaire clarification du statut. Ce dernier fixe les garanties d’indépendance (B) et encadre la responsabilité de l’expert (C). Il conditionne aussi la gestion des flux à travers l’encadrement du recrutement et le renouvellement générationnel des praticiens (A). Trois enjeux majeurs pour ancrer durablement l’activité dans la sphère judiciaire.

A. Le renouvellement générationnel : la transmission des savoirs

Une démographie à géométrie variable

La gestion des effectifs en Suède et Roumanie pourrait sembler a priori facilitée par la

salarisation des psychiatres-experts au sein d’une organisation centralisée. Toutefois, nos

entretiens226 ont révélé la présence de diverses difficultés en matière de gestion des flux des

personnels.

En Roumanie, les rapports annuels d’activités des IML et les entretiens effectués mettent en évidence un déficit de personnel. Si les effectifs globaux sont légèrement en hausse, passant de 869 en 2002 à 947 en 2011 et 975 en 2012, la majorité des unités se situe bien en-deçà du seuil

224

MOUSSA, T., ARBELLOT, F. (dir.) Droit de l’expertise, Paris, Dalloz, Dalloz action, 2008,p. 206. 225

CHAUVAUD, F. Les experts du crime : la médecine légale en France au XIXe siècle, Paris, Aubier, 2000, p. 10 226

Entretiens réalisés les 29 novembre 2011 et le 9 décembre 2011 avec la direction des Centres d’expertises psychiatriques de Göteborg et de Stockholm, Suède.

121

acceptable (« mult sub nivelul minim acceptabil »), avec moins d’un médecin légiste pour 100 000

habitants au sein de nombreux Services Médicaux Légaux227.

Les différents rapports d’activité édités par l’INML soulignent le manque criant de moyens et d’effectifs pour assurer la mission des unités médico-légales, faire face aux demandes croissantes de

la Justice et améliorer la célérité des procédures228. Cette situation est d’autant plus dommageable

que les IML sont passibles d’amendes s’ils ne s’acquittent pas des missions qui leurs sont confiées dans le délai imparti.

En Suède, nos entretiens ont montré que les effectifs de « forensic psychiatrists » demeuraient globalement stables. Toutefois, cette stabilité globale masque des difficultés de gestion en raison d’un certain « turn-over » et d’une difficulté à « séduire » de jeunes praticiens.

À ce sujet, un rapport de 2011229 tire la sonnette d’alarme, expliquant que la pénurie de personnel

qualifié représente le problème le plus important de la médecine légale en Suède aujourd’hui. Avec notamment une dilution des effectifs qualifiés (perte de près de 10% en 10 ans suite à des départs pour d’autres activités) : « For several decades a troublesome shortage of qualified staff has existed among medico-legal experts in Sweden (at present 44 doctors, 22 specialists and 22 under training). The main reason is that a great number of doctors have left forensic medicine. During the last 10 years 34 doctors have disappeared, 19 specialists and 15 doctors under education have left for other duties. This corresponds to an annual loss of nearly 10 percent of the entire group. This shortage of staff is absolutely the most important problem in Swedish forensic medicine at the present time ». Toujours selon ce rapport, la fuite des experts s’expliquerait par le caractère fastidieux de l’activité médico-légale, exigeante et peu propice à l’épanouissement personnel-professionnel (peu de perspective d’évolution de carrière). Conscient du problème de gestion des flux et soucieux d’enrayer le phénomène, le Bureau National de Médecine-légale a mis en place dès 2008 un programme ambitieux sur dix ans : l’objectif est d’atteindre 71 « pathologists » en 2018. Pour séduire les futurs candidats, le Bureau National entend favoriser la création d’un environnement intellectuel

227

Rapports d’activités accessibles en ligne sur le site Internet de l’Institut National de Médecine Légale. Disponible sur [www.legmed.ro] ; entretiens auprès des experts psychiatres (Roumanie) réalisés entre juillet 2011 et septembre 2011 ainsi que le 7 septembre 2011 auprès des Hauts fonctionnaires du Ministère de la Justice, Bucarest.

228

Situation financière telle des Services médicaux-légaux qu’elle a conduit en 2010 le Ministère à prendre une Ordonnance d’Urgence (nr.48/2010 art.I alin.35/art.190) autorisant les SML à recourir à des prestations de services auprès des hôpitaux et Instituts Médicaux-légaux de leur circonscription administrative.

229

RAMMER, L. Quality Management in Swedish Forensic Medicine – An International Comparison, [en ligne] Report from the Swedish National Board of Forensic Medicine, N° 2011-02. Disponible sur [www.rättsmedicinalverket.se].

122 stimulant au sein des unités avec des séminaires réguliers, des discussions de cas, des projets de

recherche et plans de carrières230.

La sagesse en quête de jeunesse

En Angleterre et Espagne, faute de listes d’experts et d’une organisation véritablement « structurée » de l’expertise psychiatrique médico-légale, l’identification des praticiens effectuant des expertises médico-légales, la fréquence de leur intervention ou plus exactement leur « longévité » d’exercice, sont des éléments difficiles d’accès et assez peu objectivables en l’état, faute de statistiques ou simples données précises et accessibles. Malgré tout, nous avons abordé

cette question lors des entretiens menés dans ces deux pays231 : le manque de données effectives ne

permet pas à nos interlocuteurs de se livrer à des affirmations tranchées. Toutefois, l’épineuse question du renouvellement des praticiens et les enjeux autour de la pérennisation de l’activité inquiètent tout autant nos voisins anglais et espagnols. Pour certains, cette carence de données sur

la situation démographique de la profession restreint la lisibilité pour l’avenir, et pourrait favoriser

une certaine inertie.

La question du recrutement, ou plus exactement des difficultés à renouveler les praticiens, est source de nombreux débats depuis quelques années en France similaires à ceux évoqués en Espagne et Angleterre. L’étude de cas sur la situation française proposée ci-dessous illustre les enjeux communs autour de cette problématique du renouvellement générationnel des experts.

Les praticiens rencontrés et compagnies d’experts attirent notre attention sur ce que nous pourrions qualifier de double « déclin démographique ». D’une part, un vieillissement de la population des experts psychiatres avec une difficulté à attirer de jeunes

praticiens pour prendre la relève de leurs pairs232. D’autre part, un

déclin démographique de la population globale avec une pénurie du nombre d’expert psychiatres. Situation particulièrement préoccupante face à la demande croissante du nombre

d’expertise psychiatrique sollicitée par la Justice, qui conduit nombre de praticiens à dénoncer la situation d’une psychiatrie publique régionale menacée d’effondrement.

230

Ibid. 231

Entretiens effectués entre février et mars 2012 pour l’Angleterre, et Mai à Juin 2012 pour l’Espagne. Pour le détail des interlocuteurs rencontrés, se reporter à l’annexe « Bilan des recherches de terrain et entretiens ». 232

Selon les données recueillies sur les listes d’experts de cinq Cours de justice, 85 des 94 experts psychiatres inscrits avaient plus de 50 ans, dont 54 âgés de plus de 60 ans et seuls 2 praticiens de moins de 40 ans. (Tableau ci-dessus : [10] Profils des experts psychiatres français inscrits sur les listes judiciaires).

Le nombre de psychiatres en France est estimé à 11 000 praticiens environ, dont 5200 hospitaliers ; 700 à 800 d’entre eux seulement, surtout hospitaliers, sont impliqués dans cette branche criminologique de la psychiatrie ; 800 experts inscrits en 2007 contre environ 530 en 2012 ; des régions sans experts (ou si peu).

123 En outre, plusieurs rapports alertent également les pouvoirs publics sur cette problématique majeure pour la stabilité de l’activité et l’amélioration de la qualité des conditions de production des expertises. Pour encourager les vocations, il apparaît nécessaire d’améliorer les conditions de travail de l’expert et de revaloriser l’acte expertal au pénal notamment : « comment espérer un travail de qualité avec des rémunérations totalement décalées avec le temps nécessité par ce type de missions

et les responsabilités qu’elles comportent ? 233».

Au-delà de l’argument indemnitaire, de multiples causes sont avancées pour expliquer ce désintérêt pour la fonction expertale, comme l’indique un rapport de 2011 de la Commission de la réflexion sur

l’expertise qui alerte sur « l’inquiétante situation de l’expertise psychiatrique234» :

« On ne peut en effet en ignorer l’inquiétante situation : 800 experts environ dont 500 actifs, des régions sans expert. A cela des facteurs explicatifs, outre la multiplication des tâches qui leur sont confiées:

des recrutements hasardeux,

des formations contrastées,

la disparition du collège expertal (désignation d’un seul expert pour raisons économiques),

le problème de la rémunération,

enfin les incidences collatérales de la loi HPST (Hôpital Patient Santé Territoire) du 21 juillet 2009

qui, en son article 19 confirmé par le décret statutaire du 29 septembre 2010, stipule que la pratique des expertises est soumise à l’avis du directeur et doit s'effectuer en dehors du temps de travail.

C'est dire que, de facto, les praticiens hospitaliers, qui représentent l'effectif le plus important d'experts, ne peuvent plus réaliser d’expertises juridictionnelles, judiciaires ou administratives. Les syndicats des praticiens hospitaliers ont obtenu un moratoire, (27 janvier 2011) auprès de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé. À l'heure de la rédaction de ce rapport, aucune clarification n'a remplacé ce moratoire ».

Ce rapport est suivi un an plus tard d’un rapport de l’Académie Nationale de Médecine

(ANM) et du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (CNCEJ) 235. Il dénonce la situation

alarmante de l’expertise psychiatrique et met en garde contre les dérives annoncées de solutions gouvernementales inappropriées. En effet, plusieurs fois alerté sur le sujet, la réponse du législateur a provoqué un véritable tollé au sein des experts. Deux articles en particulier méritent d’être étudiés pour en comprendre les fondements :

233

Rapport de l’Académie Nationale de Médecine (ANM) et le Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (CNCEJ), « Évaluation de la dangerosité psychiatrique et criminologique », 26/09/12.

234 Pour aller plus loin sur cette question, voir en particulier BUSSIÈRE C., AUTIN S. – Rapport de la Commission de la réflexion sur l’expertise – remis au Garde des Sceaux – mars 2011 et OLIÉ JP., LÔO H. – Repenser l’expertise psychiatrique – Le Monde, 11 janvier 2012

235

Rapport de l’Académie Nationale de Médecine (ANM) et le Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (CNCEJ), « Evaluation de la dangerosité psychiatrique et criminologique », 26/09/12.

124

Selon l’article 6 du projet de loi: dans les expertises collégiales comprenant 2 médecins

psychiatres, l’un des psychiatres pourrait être remplacé par un expert psychologue formé à la psychopathologie.

Outre le caractère particulièrement décalé de la proposition (ces disciplines peuvent être complémentaires mais ne sont pas substituables), la rédaction de l’article 6 souligne la méconnaissance criante des pouvoirs publics : « C’est confondre la spécificité des deux disciplines.

Elles peuvent se compléter mais non se substituer236 ».

Selon l’article 7 du projet, les internes en formation dans la spécialité de psychiatrie

pourraient assurer la prise en charge psychiatrique des personnes placées sous main de justice. En contrepartie une allocation mensuelle leur serait versée jusqu’à la fin de leurs études médicales. Ils s’engageraient à exercer en qualité de psychiatre à titre salarié ou à titre libéral et salarié, à compter de la fin de leur formation, et à demander leur inscription sur la liste d’experts près la cour d’appel et sur la liste de médecins coordonnateurs prévue à l’article L. 3711-1 du CSP, dans un ressort caractérisé par un nombre insuffisant de psychiatres experts judiciaires ou de médecins coordonnateurs.

Or, selon les rédacteurs du rapport de 2012, « cela revient à substituer à des médecins psychiatres chevronnés des psychiatres en formation ou des médecins psychiatres fraîchement diplômés. […] Un tel retour en arrière sur la nécessité, pour l’autorité judiciaire, de s’entourer d’experts compétents n’est pas réaliste dans un des domaines les plus difficiles et les plus controversés de la psychiatrie médico-légale, l’évaluation de la dangerosité ».

En procédure d’urgence, ce projet, après vote au Sénat et décision du Conseil constitutionnel, a été promulgué dans la « Loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines » : dans ses articles 8 et 9 celle-ci reprend intégralement le libellé des articles 6 et 7 du projet

fortement décrié237.

Illustration ubuesque d’une situation pourtant préoccupante sur le déclin démographique de l’expert psychiatre…et avec lui, de la qualité de l’expertise. Aux rédacteurs du rapport de conclure non sans une pointe de sarcasme : « Une nouvelle forme de dangerosité serait l’expert sans expérience ».

236

Ibid.

237 Le rapport (ANM 2012) précise que ni l’ANM ni le CNCEJ n’ont été consultés. Des actions ont été menées, avant le vote de la loi, pour insister auprès des autorités concernées sur les nécessaires compétences pour assumer de telles fonctions. Tout au plus avons-nous obtenu que la notion d’une formation spécifique « en sciences criminelles, en psychiatrie légale ou criminelle, en psychologie légale ou criminelle,relative à l’expertise judiciaire ou à la prévention de la récidive » soit incluse dans l’article 9 de la loi.

125

B. Garanties d’indépendance de l’expert

Une indépendance statutaire en question

L’organisation « étatique » de l’expertise en Suède et Roumanie est présentée par les acteurs rencontrés (magistrats, experts), comme une garantie d’indépendance pour la Justice comme pour l’expert, en ce qu’elle constituerait un rempart contre d’éventuelles subornations entre les acteurs du processus pénal.

Dans ce système, juges et experts entretiennent assez peu de relations au cours de la procédure judiciaire. Nous l’avons vu, ici, le magistrat qui sollicite la réalisation d’une expertise adresse sa demande à l’institut médico-légal et non à l’expert de son choix. Il revient alors à l’établissement de désigner le médecin psychiatre qui prendra en charge la réalisation de l’expertise, selon des règles d’organisation propres à chaque institut.

Par ailleurs, la loi roumaine précise que toute ingérence dans le travail du praticien est susceptible

d’entraîner des poursuites administrative, civile ou pénale238.

Monopole étatique, distance dans le choix de l’expert, distance dans l’oralité des débats au procès, cette forme d’organisation serait un gage d’indépendance.

C’est en tous cas l’analyse qu’en ont fait les magistrats de la Cour Constitutionnelle de

Roumanie saisis d’une question préjudicielle de constitutionnalité en février 2011239. Pour les

demandeurs, l’organisation étatique de l’expertise serait contraire aux principes du procès équitable garantis par la Cour européenne des droits de l’Homme : le moyen souligne d’une part, l’absence d’indépendance des expertises réalisées par les fonctionnaires des IML – subordonnés au ministère de la Justice et au ministère de la Santé ; d’autre part, l’impossibilité de recourir à une expertise privée de son choix et le contrôle étatique exercé sur la procédure interne de contestation des expertises contreviennent au libre accès à la Justice. La Cour rejette le pourvoi au motif que le monopole étatique exercé sur les activités d’expertises médico-légales, notamment psychiatriques,

238

Pour les dispositions juridiques, voir : « Ordonanţa Guvernului nr.1/2000 privind organizarea activităţii şi funcţionarea instituţiilor de medicină legală ».

Les acteurs rencontrés au sein des ministères et direction de l’IML nous ont confiés la genèse de ces dispositions : il s’agissait au début des années 90, dans un contexte politique de fin du régime soviétique et d’indépendance retrouvée pour la Roumanie, d’une volonté de favoriser l’indépendance des pouvoirs judiciaires, de lutte contre la corruption et de subordination d’experts.

239

Cour Constitutionnelle de Roumanie, 8 fév.2011, n°146, « Excepţia de neconstituţionalitate a dispoziţiilor art. 4, 5, 6,11 şi 19 din Ordonanţa Guvernului nr.1/2000 privind organizarea activităţii şi funcţionarea instituţiilor de medicină legală » (publiée au « Monitorul Oficial », n° 314, 6/05/2011).

126 assure aux parties un accès équitable à la Justice : le monopole garantit l’indépendance de l’expert, la qualité des expertises réalisées et la possibilité de contester les conclusions au sein d’IML indépendants.

À l’inverse, dans les pays qui connaissent une organisation « libérale » de l’expertise, les garanties d’indépendance seraient tout autant préservées. Contrairement au modèle « étatique » où l’IML est subordonné au ministère (Santé ou Justice) et l’expert à son employeur, la pratique de l’expertise judiciaire exercée comme une activité complémentaire à une profession principale éviterait les risques de subordinations hiérarchiques entre le praticien et le prescripteur de la mission.

La réglementation française240 encadre assez strictement l’indépendance de l’expert et des règles

déontologiques élaborées par le Conseil National des experts de justice viennent compléter la législation pour renforcer ces garanties d’indépendance.

Toutefois, ce système possède sa part d’incertitude quant à une garantie absolue d’indépendance en pratique.

Deux arguments sont souvent avancés pour étayer ces craintes : le modèle « à la française » pousserait l’expert à correspondre à l’image que le juge se fait du « bon expert » afin d’assurer le renouvellement de ses missions et pérenniser la viabilité de son activité complémentaire. De sorte que « le recours systématique aux mêmes experts laisse supposer qu’une institutionnalisation réelle

de l’expertise se met en place sans le dire »241. Autrement dit, si le système libéral garantit

l’indépendance juridique des experts, il porterait en pratique, le germe d’une forme de clientélisme.

240 Voir notamment les articles 156 et s. du Code de procédure pénale et le « Vade-mecum de l’expert de justice ».

241

Experts et expertises judiciaires en France (1791-1944) Résumé (octobre 1999) Rapport de recherche – GIP Mission de Recherche Droit et Justice (décision n°97-06-13-04-09) Frédéric Chauvaud avec la collaboration de Laurence Dumoulin, op. cit.

Extraits des règles déontologiques reproduites dans le « Vade-mecum de l’expert de justice » :

« L’expert doit être en mesure d’exprimer son avis en toute indépendance d’esprit et matérielle »

(p. 25)

« La base fondamentale de la règle est que l’expert ne doit jamais se trouver en lien de subordination ou d’influence prépondérante qui lui ôterait inévitablement toute impartialité » (p. 31)

« L’expert doit conserver une indépendance absolue, ne cédant à aucune pression ou influence, de quelque nature qu’elle soit » (p. 33)

« Il [l’expert] conserve toujours entière indépendance et donne son opinion en toute conscience, sans

127

La rémunération de l’expert : un risque de dépendance économique ?

La rémunération de l’expert rejoint la question de son indépendance et constitue, d’une certaine manière, son corollaire.

En Suède et Roumanie, le psychiatre qui exerce l’activité d’expertise psychiatrique est salarié de l’institut qui l’emploie (IML en Roumanie, centre dépendant du « Rättsmedicinalverket » en Suède). La pratique de l’expertise constitue l’essence de sa fonction. Le risque d’une « dépendance économique » ne se pose pas réellement puisque sa rémunération n’est pas fonction du nombre d’expertises réalisées.

À l’inverse, dans le système « libéral » (Angleterre, France, Espagne), l’expertise est exercée comme une activité complémentaire à la profession principale. Lorsqu’il effectue une mission d’expertise psychiatrique, il perçoit pour cette activité précise une rémunération distincte des revenus tirés de sa fonction principale (psychiatre salarié d’un établissement de santé ou profession libérale).

Dans le système procédural dit « accusatoire », tout psychiatre exerçant en Angleterre peut réaliser une expertise psychiatrique médico-légale à la demande des parties (avocat de la défense ou