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Chapitre 1 : Contexte et problématique de l’étude

1.1 Enjeux de la lutte phytosanitaire et gestion intégrée des ravageurs

Les besoins alimentaires grandissants pour une population mondiale croissante ont donné lieu à l’industrialisation et à l’intensification des productions agricoles, à une augmentation des surfaces cultivées et à une ère de prédominance des monocultures. Cette situation a favorisé la prolifération des insectes ravageurs et des maladies des cultures (IRMC) ainsi qu’un usage soutenu et croissant des pesticides et des intrants agricoles (Abhilash et Singh 2009; McCaffree 2008; Perrin 1997; Van De Kerchove et al. 2011).

Les IRMC constituent l’un des plus importants facteurs limitant le rendement des productions agricoles. En dehors de toute mesure phytosanitaire de protection des cultures, les pertes de rendement sont estimées à 70% avec un impact de réduction de la production alimentaire mondiale de plus de 45% (Abhilash et Singh 2009; Perrin 1997). Selon Oerke(2006), l'estimation des pertes de rendement due aux IRMC dans le monde est de 50% dans la culture du blé et de 80% dans la production du coton. Plusieurs IRMC des cultures maraîchères sont cités comme ayant une incidence économique élevée (Broatch et al. 2006; Carisse et Kushalappa 1990; Carisse et al. 2011; Rogers et Stevenson 2006; Xu et Feng 2002). La Brûlure des feuilles de l’oignon (BFO), Botrytis squamosa, peut par exemple entraîner des pertes de rendement pouvant atteindre 30% (Carisse et al. 2011).

Au Québec, les cultures maraîchères sont citées parmi celles qui enregistrent les taux les plus élevés d'utilisation de pesticides après le maïs, le soya et les vergers (Giroux 2002; Giroux 2003). La lutte phytosanitaire contre les ravageurs de plusieurs cultures maraîchères consiste à des applications hebdomadaires de pesticides (Carisse et Kushalappa 1992; Carisse et al. 1993; Carisse et al. 2011; Hovius et

al. 2007; Rogers et Stevenson 2006; Wu et al. 2005). Ces applications peuvent être plus nombreuses dans

certaines pratiques de lutte phytosanitaire. Carisse et al. (2011) rapportent une augmentation des variétés de fongicides et des applications de fongicides dans la lutte contre la BFO. En outre, l’usage abusif des pesticides en dehors de toute considération de seuil de tolérance est malheureusement un constat chez plusieurs producteurs (Bueno et al. 2011; Carisse et al. 2011).

Le développement de résistance aux pesticides chez les ravageurs est un autre problème majeur dans la lutte phytosanitaire (Abhilash et Singh 2009; Carisse et al. 2011; Funderburk et al. 1993; Noronha et al. 2008; Park

et al. 2007; Whitfield et al. 1985; Zalom 2010). Car celui-ci est alimenté par l’usage accru des pesticides et

contribue également à cet usage croissant. Par exemple, l'utilisation des insecticides pour lutter contre la mouche de l’oignon (MO), Delia antiqua, a augmenté la résistance du ravageur et réduit l'efficacité de ces

produits, entrainant un usage beaucoup plus régulier et en plus grande quantités (Whitfield et al. 1985). Le doryphore de la pomme de terre (DPT), Leptinotarsa decemlineata, le plus important ravageur de cette culture en Amérique du nord, développe une résistance à plusieurs des insecticides utilisés pour son contrôle (Noronha et al. 2008; Park et al. 2007). Or, les insecticides constituent la principale méthode de lutte contre cet insecte. Botrytis squamosa, l’agent pathogène de la BFO est résistant à plusieurs pesticides utilisés en Montérégie Ouest (Carisse et al. 2011). Selon Funderburk et al. (1993), le fait de ne pas tenir compte de la variabilité spatiale des ravageurs dans la lutte phytosanitaire favorise également le développement de résistance aux pesticides. De plus, certaines souches résistantes se propagent de l'échelle locale à l'échelle régionale (Gravel et Tweddell 2006).

Une utilisation abusive ou incontrôlé des pesticides, combiné à l’irrigation ou aux eaux de pluie affecte l'ensemble de l'écosystème par la présence de résidus dans le sol, l'eau, l'air et les aliments (Abhilash et Singh 2009; Funderburk et al. 1993; Heinemann et al. 2002; McCaffree 2008; Perrin 1997; Singh et al. 2011). Ce qui peut entraîner des conséquences environnementales sérieuses et des risques élevés pour la santé publique. Selon Abhilash et Singh (2009), l’exposition aux pesticides est fortement reliée à des problèmes de santé comme la suppression immunitaire, des troubles hormonaux, la perte de capacité cognitive, des anomalies reproductives et le cancer. L'échantillonnage au Québec de plusieurs rivières et ruisseaux qui drainent les terres en cultures maraîchères a démontré la présence de plusieurs insecticides et de fongicide (Giroux 2003). Cette présence a un impact direct sur la santé humaine, car ces cours d’eau se jettent dans des réseaux d'approvisionnement en eau potable des municipalités. La présence des pesticides a été également observée dans les eaux souterraines, particulièrement des puits servant à l'alimentation en eau potable en territoire agricole. Des citoyens ont ainsi mis en évidence la fréquence de la contamination des puits par les pesticides à proximité des régions de culture intensive de la pomme de terre (BAPE 2000). Les rivières Châteauguay, Yamaska, Boyer et L’Assomption dans les régions de la Montérégie, de Chaudières- Appalaches et de l’Estrie sont citées comme les plus sensibles à une contamination des eaux de surface ou des eaux souterraines par les activités agricoles (Gareau et al. 1999).

Nous ne pouvons faire usage d’un système naturel sans l’altérer, et plus cet usage est intensif, plus grande est l’altération (Sophocleous 2000). C’est dans cette optique que le développement durable a émergé durant la fin des années 1980 comme une approche globale de gestion de l’environnement, du développement économique et de la qualité de vie (Lélé 1991; Sivakumar et al. 2000; Sophocleous 2000). Plusieurs concepts et approches d’agriculture durable comme la lutte intégrée contre les ravageurs des cultures, les indicateurs agrométéorologiques (IAM) et les modèles de prévision, la géomatique agricole et l’agriculture de précision ont été développées dans ce sens afin d’améliorer le rendement des cultures, tout en réduisant l’usage des

pesticides et leurs conséquences sur la santé environnementale et la santé humaine (Abhilash et Singh 2009; Funderburk et al. 1993; Kelly et Guo 2007; Zalom 2010).

La gestion intégrée des ravageurs (GIR), bien connue sous le sigle IPM (Integrated Pest Management), consiste à une intégration appropriée de différentes approches de contrôle des ravageurs en une seule stratégie de lutte afin de limiter leur nombre à un seuil économique tolérable tout en réduisant significativement l’usage des pesticides (Bueno et al. 2011; Funderburk et al. 1993; Irwin 1999; Kelly et Guo 2007; Noronha et al. 2008; Tang et al. 2010; Zalom 2010). Les outils et méthodes de lutte utilisées dans l’IPM comprennent entre autres les modèles de prévision des ravageurs, les IAM, le dépistage au champ des ravageurs, la gestion spécifique des ravageurs par site (GSRS), l'usage des pesticides selon les seuils économiques, les mesures de contrôle culturales ainsi que la lutte biologique et écologique (Noronha et al. 2008; Tang et al. 2010; Zalom 2010). Ces méthodes sont coordonnées dans un processus décisionnel qui vise à répondre aux spécificités des systèmes de culture, à la complexité des ravageurs et à leur environnement locaux, afin d’optimiser le contrôle de l’ensemble des ravageurs d’un site ou d’une région donnée (Irwin 1999; Prokopy et Kogan 2009). Il existe plusieurs niveaux de mise en œuvre de l’IPM. Le premier niveau a recours au dépistage et aux seuils économiques pour une utilisation rationnelle des pesticides (Prokopy et Kogan 2009; Zalom 2010). Alors que des niveaux plus avancés font appel à la lutte biologique et écologique en tenant compte des caractéristiques du paysage (Zalom 2010). Les modèles de prévision et le dépistage sont les approches de lutte les plus utilisées (Chokmani et al. 2005; Prokopy et Kogan 2009). Au Québec, le Réseau d’Avertissement Phytosanitaire (RAP) et différents programmes de prévision et de dépistage informent les producteurs agricoles sur la présence et l’évolution des ravageurs (Chokmani et al. 2005). La lutte contre les ravageurs des cultures maraîchères en Montérégie Ouest fait également appel à un programme de gestion intégrée basé sur le suivi des ravageurs à l’aide du dépistage et des modèles de prévision (Carisse et al. 2011). Ce programme permet une lutte concertée contre l'ensemble des ravageurs à travers l'évaluation des risques et des périodes optimum d'application de pesticides, ainsi que la gestion de la résistance (Carisse et al. 2011).

Le processus d'évaluation et de suivi du développement et de la densité des ravageurs constituent une composante essentielle de l’IPM (Park et al. 2007; Zalom 2010). Il permet de déterminer les lieux et les moments optimums pour l'application des mesures de contrôle selon des indicateurs d’aide à la décision (Funderburk et al. 1993; Prokopy et Kogan 2009). Ce processus rend possible l’approche GSRS. Car la plupart des ravageurs sont distribués sous forme d'agrégation spatiale (Park et al. 2007). Ce qui devrait limiter l’usage des pesticides aux bons moments et aux bons endroits dans les champs, les localités ou les régions. Cette forme de gestion repose ainsi sur la cartographie de la distribution spatiale des ravageurs dans le champ et l’apport de pesticides là où leur densité représente un risque économique significatif (Park et Krell

2005; Park et al. 2007). Selon Park et Krell (2005), l’approche GSRS est très peu appliquée. Cela est en grande partie dû aux exigences et aux limitations des méthodes d’évaluation et de suivi des populations de ravageurs. Le suivi des ravageurs est habituellement réalisé à l’aide de modèles de prévision et à travers des programmes de dépistage (Perrin 1997; Prokopy et Kogan 2009). Les modèles de prévision permettent d’une part d'évaluer quand les conditions favorables au développement des ravageurs sont rencontrées, et d’autres parts d'estimer la sévérité ou l’abondance des ravageurs à l'aide d'indicateurs de risque sur la base de ces conditions (Zalom 2010). Le dépistage porte sur le suivi régulier des ravageurs dans les champs (Chokmani et

al. 2005; Perrin 1997). Il permet, dans une approche globale de gestion, d’adapter localement les mesures de

contrôle selon des stades de développement spécifiques où les ravageurs sont plus vulnérables ou sont plus susceptibles de commettre plus de dommages (Perrin 1997). L’efficacité des modèles de prévision repose sur une bonne connaissance et une bonne estimation des conditions agrométéorologiques qui influencent le développement et le comportement des populations de ravageurs. Cependant, ces modèles sont le plus souvent alimentés par des données ponctuelles qui ne sont pas toujours représentatives de la variabilité spatiale des conditions agrométéorologiques locales. Et, le dépistage systématique d’un grand nombre de ravageurs sur de grands territoires est un processus laborieux, coûteux en temps et en argent (Sankaran et al. 2010). Ce qui peut constituer un frein à l’application ou à l’adoption de l’IPM par les producteurs agricoles. Selon Zalom (2010), l'un des défis majeur de l'IPM et de développer des méthodes de suivi des ravageurs qui sont économiquement applicables afin de réduire les efforts d'échantillonnage intensif pratiqué dans les programmes de dépistage.

1.2 La caractérisation de la variabilité spatiale des indicateurs