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1.3. Le moteur de recherche Google

1.3.5. Enjeux informationnels et sociopolitiques

Alexandre Serres et Olivier Le Deuff pointent tous deux certains enjeux liés au moteur de recherche Google185. Les premiers enjeux mentionnés sont d’ordre informationnel et se situent au niveau notionnel. En effet, une certaine confusion existe parmi les notions de

pertinence, d’autorité et de popularité qui se trouvent galvaudées par l’utilisation abusive qui

en est fait dans les discours. Les seconds enjeux sont d’ordre sociopolitique et concernent aussi bien le modèle économique ou l’éthique du moteur que les usages qui en sont faits.

La notion de pertinence, qualité attribué par Google lui-même à son algorithme

PageRank et qui se trouve être l’un des plus forts arguments du moteur, se trouve être un

parfait exemple d’enjeu informationnel lié à la confusion notionnelle mentionnée auparavant. Elle est souvent confondue avec la notion de relevance qui désigne « la capacité du moteur de

recherche à apporter des réponses cohérentes avec les mots-saisis » alors que la pertinence

désigne « la capacité du moteur de recherche à apporter des réponses susceptibles de

185

SERRES, Alexandre, LE DEUFF, Olivier. Outils de recherche : la question de la formation. Op. cit. pp. 95- 111.

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réellement informer le lecteur au regard de ses attentes »186. Autrement dit, la pertinence renvoie au « degré de corrélation entre une question et la réponse apportée »187. Mais encore faut-il savoir de quelle pertinence l’on parle, puisque, comme le rappelle les auteurs, il faut distinguer entre trois sortes de pertinence188 : la « pertinence-système » qui concerne la capacité d’un système documentaire à indexer et retrouver un document, la « pertinence-

utilisateur » qui englobe la pertinence de la formulation de la requête et celle des résultats par

rapport au besoin d’information et enfin, la « pertinence-thème » qui renvoie à celle du document retrouvé en regard des thèmes recherchés. La notion de pertinence est donc beaucoup plus complexe que ce que le moteur de recherche veut bien laisser croire aux internautes même si ceux-ci s’estiment globalement satisfaits des réponses apportées par

Google.

Une seconde confusion existe entre les notions d’autorité et de popularité. C’est un véritable changement de paradigme qui s’est opéré depuis l’avènement d’Internet et la suppression des

gate-keepers189, ces journalistes, éditeurs et professionnels qui se réservaient le droit de trier les informations qui devaient être rendues publiques. À l’heure du Web 2.0, le principe est de « publier d’abord, filtrer ensuite »190, déplaçant le contrôle éditorial a priori vers un contrôle

a posteriori. La régulation se fait donc par les internautes à travers les votes qu’ils émettent en

décidant de pointer telle ou telle page web. Ainsi c’est souvent la popularité d’une page qui est mis en avant et non pas l’autorité dont fait preuve son auteur. La confusion se remarque également sur le moteur de blogs Technorati par exemple qui classe les blogs en fonction de leur « autorité » dans sa rubrique popular. Privilégier ainsi l’audience peut avoir, selon les auteurs, « de profondes répercussions sur les représentations du savoir et de l’information

chez les étudiants » 191.

Une troisième confusion se situe cette fois entre deux grandes catégories d’informations : l’info data (les données informationnelles) et l’information sociale (l’info knowledge et l’info

news). Cette confusion est entretenue là aussi par les moteurs de recherche, et notamment Google, qui proposent sur une interface unique l’ensemble de leurs bases de données,

abolissant les frontières entre les différents types d’information. Cela a pour effet de niveler

186

ARASZKIEWIEZ, Jacques. Le grand avaleur. Op. cit. p. 197.

187

SERRES, Alexandre, LE DEUFF, Olivier. Outils de recherche : la question de la formation. Op. cit. p. 98.

188

Ibid.

189

CARDON, Dominique. Op. cit. p. 37.

190

Ibid., p. 39.

191

SERRES, Alexandre, LE DEUFF, Olivier. Outils de recherche : la question de la formation. Op. cit. pp. 99- 103.

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l’information, ce qui risque de provoquer une double dévaluation de l’information et du savoir.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, il existe également des enjeux de différents ordres. Le premier d’entre eux est sociopolitique. Il est lié au modèle économique de Google et concerne la marchandisation des mots-clés. Ces derniers sont devenus des « objets de vente

aux enchères selon leur popularité », rendant la publicité omniprésente sur les pages de

résultats. Il ne faut pas oublier que Google tire ses revenus à plus de 90 % de la publicité et que la vente de ces mots-clés représente un énorme enjeu financier pour l’entreprise. Mais cela a pour conséquence la juxtaposition des liens sponsorisés et des liens « naturels » dans les pages de résultats et il semblerait que la plupart des usagers font mal la différence entre ces liens.

Le deuxième enjeu est plutôt d’ordre éthique et a à voir avec les données personnelles des internautes. Celles-ci seraient en effet conservées par les moteurs sur une durée variable à des fins d’amélioration des services et pour mieux comprendre les besoins des usagers. Le problème est que les géants d’Internet dont Google fait partie conservent aussi les mails échangés, les profils des réseaux sociaux ou même les contenus des disques durs. Ces grandes entreprises contrôlent donc l’indexation, la conservation et l’accès aux données, concentrant ainsi de façon dangereuse beaucoup de pouvoirs, ce qui peut entrainer des dérives importantes en termes de surveillance des individus ou d’usages de leurs données.

Un troisième et dernier enjeu est celui de la « googlisation des usages » qui fait écho à la situation de monopole de Google. Cette situation hégémonique est particulièrement prégnante en France mais également dans d’autres pays d’Europe, où le moteur concentre plus de 90 % du trafic192. Ensuite, la googlisation des usages se ressent dans l’utilisation des 221 produits et services auxquels les usagers ont recours pour toutes sortes d’activités, entrant ainsi de plain- pied dans « la vie selon Google »193. Enfin, les auteurs évoquent « le monde selon

Google »194 en référence à l’ensemble des domaines et secteurs investis par l’entreprise pour assurer sa mainmise sur la recherche d’information. Ce monopole de Google sur la recherche d’information constitue un véritable « défi sociopolitique majeur […] ne serait-ce que par la

concurrence massive que fait Google aux outils traditionnels des bibliothèques dans les usages étudiants »195.

192

Voir l’introduction sur le moteur de recherche Google p. 41.

193

SERRES, Alexandre, LE DEUFF, Olivier. Outils de recherche : la question de la formation. Op. cit. p. 103.

194

Ibid.

195

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Les enjeux évoqués sont pour beaucoup directement en lien avec la problématique actuelle de l’évaluation de l’information en ligne. La confusion que crée le moteur de recherche autour de certaines notions (pertinence, popularité, autorité) participe à la complexification de l’évaluation de l’information chez les internautes et plus particulièrement chez les étudiants. En effet, ces derniers estiment maîtriser l’utilisation des moteurs de recherche mais ils confondent souvent « maîtrise technique et informationnelle » 196. L’évaluation de l’information, et notamment des sources, occupe peu de place dans les comportements informationnels des jeunes et devient « une compétence sacrifiée [...] sur

l’autel de la vitesse »197

. Ce phénomène se retrouve également chez les élèves du secondaire et « la rapidité et la brièveté de l’évaluation des sites web, chez les collégiens et les

lycéens »198 peut sans doute s’expliquer par l’utilisation massive et fréquente des moteurs de recherche, et en particulier Google, qui induisent sûrement chez eux des conceptions erronées quant au fonctionnement des moteurs de recherche et au degré de confiance que l’on peut leur accorder.