• Aucun résultat trouvé

Empoisonnement sélectivant par le soufre des catalyseurs à base de nickel

2. Etude bibliographique

2.2 Empoisonnement sélectivant par le soufre des catalyseurs à base de nickel

Un catalyseur au nickel seul n’est pas suffisamment sélectif pour hydrogéner le styrène en éthylbenzène, sans affecter le noyau aromatique. Il est donc passivé par le soufre, considéré comme un « poison sélectif », et introduit industriellement sous forme de thiophène ou de sulfures R-S-R’. Mais cette sélectivation se fait au détriment d’une baisse d’activité du catalyseur.

Hoffer et al.[19] comparent quatre catalyseurs Ni-S/Al2O3 à différentes teneurs en soufre, comme décrit dans le Tableau 5 :

Tableau 5 : Caractéristiques des catalyseurs Ni-S/Al2O3 préparés à partir de Ni/Al2O3 à 11,9 %pds de Ni et activité catalytique dans l'hydrogénation du styrène en éthylbenzène (rStyr) et de l'ethylbenzène en éthylcyclohexane (rEB).[19] Catalyseur* Teneur en S (% pds) SNi * (m2/gNi) rStyr ** (mmol/kgcat.s) rEB *** (mmol/kgcat.s) Ni 0,0 170 4,8 2,4 Ni-S(1) 1,0 14,3 1,2 0,1 Ni-S(3) 4,2 <0,8 <0,07 0 Ni-S(4) 6,4 <0,8 <0,07 0

* Surface de nickel mesurée par chimisorption d’H2, en respectant la stoechiométrie 1 H/NiS, et en considérant qu’un atome de Ni occupe 0,0645nm2.

** Activité en hydrogénation du styrène en éthylbenzène, réacteur continu à lit ruisselant, T= 52°C, P(H2)= 20 bar, débit = 17,5 gcharge gcat−1 h−1.

*** Activité en hydrogénation de l’éthylbenzène, réacteur continu à lit ruisselant, T= 127°C, P(H2)= 25 bar.

D’après les mesures de chimisorption d’H2, les auteurs estiment que pour les catalyseurs Ni-S(3) et Ni-S(4) les particules de nickel sont recouvertes d’au moins une monocouche de soufre. Les catalyseurs présentés dans le Tableau 5 sont testés en hydrogénation d’une charge modèle composée de styrène et de 1,3-pentadiène, en réacteur continu, dans les conditions déjà précisées dans le Tableau 3. Ces composés sont hydrogénés de manière totale sur le catalyseur au Ni seul et sur le catalyseur Ni-S(1) à faible teneur en soufre, alors que sur les catalyseurs Ni-S(3) et Ni-S(4) l’hydrogénation du styrène s’arrête à l’éthylbenzène et celle du pentadiène, au pentène. Comme le montrent les valeurs reportées dans le Tableau 3, cette sélectivité est obtenue au prix d'une forte diminution de l'activité catalytique.

La littérature sur l’empoisonnement des catalyseurs à base de nickel par le soufre est très riche (cf. Tableau 6), mais les auteurs ne s’accordent pas toujours sur l’effet des différents poisons et leurs interactions avec la surface métallique empoisonnée.

Tableau 6 : Revue de la littérature sur l’empoisonnement par le soufre

Ref. Poison Mode opératoire

[8] H2S Chimisorption sur catalyseur Ni supporté, 10 %pds en Ni, T = 550 – 645°C, réacteur continu, Patm, débit d’H2=2 mol/h, avec H2S=0,4 – 1,7 mgS/h

[5] H2S Chimisorption sur des surfaces modèles de Ni (001) (110) et (111), T = 25°C

[6] H2S Chimisorption sur une surface de Pt (001), T = 25°C, sous vide (10

-11 bar), puis étude de la réactivité vis-à-vis de CO, NO, benzène et acétylène

[7]

H2S Chimisorption sur poudre de Ni et sur Ni/Al2O3 (5 %pds), T = 200 – 600°C, Patm d’H2 avec moins de 1ppm (pds) d’H2S

[28] Thiophène Chimisorption sur Ni/Al2O3 (10 – 20 %pds), T = 25°C, Patm, thiophène dilué dans H2 à 1:1000

[29] Thiophène

Empoisonnement de l’hydrogénation sur Pd/SiO2 (0,3 %pds) - Hyd. Styrène  Ethylbenzène

charge : toluène (95%) + styrène (5%) + thiophène (100 ppm), en autoclave, à 80°C, P(H2)=22 bar.

- Hyd. Ethylbenzène  Ethylcyclohexane

charge : décaline (70%) + éthylbenzène (30%) + thiophène (100 ppm), réacteur continu à lit fixe, 250°C, P=30 bar, débit=3h-1, H2/EB=10

[30] Thiophène Thiolane n-C6 – SH n-C3 – SH H2S

Empoisonnement de l’hydrogénation du benzène sur cat. Ni (5-23%pds), T = 50 – 150°C, réacteur continu, Patm (H2=95% et benzène=5%), débit=10,8 L/h, le composé soufré est dilué

dans H2 et injecté avant la réaction

[31] H2S Chimisorption et thermodésorption, T = 50 – 550°C, réacteur continu, Patm, H2S dilué dans H2 à 50 ppm (pds)

[32] Thiophène Empoisonnement de l’hydrogénation du benzène sur cat. Ni (15,5%pds), T = 200°C, réacteur continu, Patm avec 0,06 bar de benzène + thiophène (5,6 %pds)

[33,

34] Thiophène Empoisonnement de l’hydrogénation du styrène sur cat. Ni, charge : toluène (95%) + styrène (5%) + thiophène (1 000 ou 3 000 ppm), en autoclave, à T = 90°C, P(H2)=22 bar

[35] Thiophène H2S

Empoisonnement de l’hydrogénation du benzène sur Ni/SiO2 (15%pds), T = 200°C, réacteur continu à lit fixe, Patm

- Benzène + 5 ppm de thiophène

- Benzène + 0,15 ppm d’H2S (10ppm d’H2S dans flux d’H2)

[36]

- Revue des mécanismes d’empoisonnement

[37] tBu-Sx-tBu (x~4,2)

Sulfuration puis caractérisation de catalyseurs Ni/Al2O3 (11,9 %pds) dopage par des polysulfures organiques tBu-Sx-tBu (x~4,2)

[38] n-C4 – SH

Empoisonnement de l’hydrogénation du benzène sur cat. Ni (23%pds), T = 135°C, réacteur continu, P=20 bar, débit de benzène=23,6mmol/h, charge : benzène + n-C4 – SH (5 ppm) +

Dès 1974, Demuth et al.[5] expliquent le rôle sélectivant du soufre en considérant que celui-ci occupe les sites les plus réactifs de la particule de nickel, ces sites étant les atomes situés sur les coins et les arêtes de la particule, encore appelés « CUS » (Coordinatively Unsaturated Sites). Privé de ses sites les plus actifs, le catalyseur au nickel ne peut plus hydrogéner les composés aromatiques.

Lors de l’étude de la désactivation de catalyseurs au Ni pour l’hydrogénation du benzène à faible température (50-150°C), Marecot et al.[30, 31] ont comparé les effets de divers poisons soufrés, et ont proposé de les classer par ordre de toxicité croissante, en considérant le nombre d’atomes de Ni de surface impliqués dans l’adsorption : H2S < thiols < thiophène.

De nombreux auteurs[35, 36] se sont intéressés à l’empoisonnement des catalyseurs par le sulfure de dihydrogène, comme reporté dans le Tableau 6. Cependant, si la majorité s’accorde sur un mécanisme d’adsorption dissociative d’H2S sur le nickel, ils ne sont pas d'accord sur le nombre d'atomes de Ni de surface impliqués. De plus, des analyses LEED (diffraction des électrons à basse énergie) sur des surfaces modèles de Ni et de Pt,[5-8] ont mis en évidence le recouvrement progressif de la surface de nickel lors de l'adsorption de H2S jusqu’à saturation (formation d’une monocouche entre 0,25 et 0,5 S/NiS) puis une sulfuration à cœur du catalyseur par formation de la phase cristalline Ni3S2 très stable.

Dans leurs travaux sur la chimisorption d’H2S sur une surface de Pt(100), Fischer et al.[6] se sont intéressés à la réactivité chimique de la surface empoisonnée vis-à-vis du monoxyde de carbone, du monoxyde d’azote, du benzène et de l’acétylène. Ils ont établi qu’au-delà de 0,5 atome de soufre par atome de platine de surface (noté S/PtS) le système obtenu est totalement inerte : aucune adsorption ou réaction n’est possible sur la surface obtenue. Entre 0,25 et 0,5 S/PtS, les molécules sont adsorbées à la surface du platine empoisonné, mais ne réagissent pas entre elles. Enfin, pour un recouvrement de surface inférieur à 0,25 S/PtS à la fois l’adsorption et la réaction des molécules sont possibles à la surface du catalyseurs, c’est d’ailleurs dans ce domaine que les catalyseurs à applications industrielles sont passivés. Ces observations s’appliquent au nickel également compte tenu de leurs structures identiques vis-à-vis de l’adsorption de soufre.[5, 6] La Figure 3 résume de manière très schématique les observations précédentes.

0 0,25 0,5

S/Ni

S Adsorption et hydrogénation possible de l’aromatique Aucune réaction possible de l’aromatique Particules totalement inertes Domaine de passivation du catalyseur

S

Ni

0,2 0 0,25 0,5

S/Ni

S Adsorption et hydrogénation possible de l’aromatique Aucune réaction possible de l’aromatique Particules totalement inertes Domaine de passivation du catalyseur

S

Ni

0,2

Figure 3. Différents domaines d’empoisonnement par le soufre, d’après les travaux cités sur la chimisorption d’H2S sur des surfaces Ni(100) et Pt(100) [5, 6, 36]

Dans le cas de l’empoisonnement par le thiophène, deux modes d’adsorption à la surface sont généralement proposés. Selon Arcoya et al.[29] l’adsorption du thiophène sur le nickel aurait lieu à plat, mettant en jeu cinq atomes de nickel de surface (S/NiS=0,2) aux faibles températures (80°C) ou perpendiculairement à la surface, mettant en jeu deux atomes de nickel de surface (S/NiS=0,5) à des températures plus élevées (170°C). Diaz et al.[35] observent un dégagement de butane mettant en évidence l’hydrogénolyse des liaisons S-C du thiophène, même à température ambiante. D’après eux les deux modes d’adsorption coexistent et sont compétitifs, ce qui est en accord avec les travaux de Marecot et al.[30] déjà cités. Enfin, d’après Ahmed et al.[28], c’est la taille de particules de Ni qui détermine tel ou tel mode d’adsorption.

Lorsque Marecot et al.[30, 31] ont proposé leur classement par ordre de toxicité croissante des composés soufrés (H2S < thiols < thiophène), ils ont aussi précisé que cette toxicité dépendait de la capacité du catalyseur à hydrogénolyser le dérivé soufré. Selon les conditions opératoires, la dissociation d’H2S à la surface du nickel pourrait conduire à la formation de polysulfures, adsorbés à la surface, ou à la migration d’atomes de soufre au cœur de la particule de nickel. La toxicité d’H2S, des thiols, et du thiophène dépendrait alors, non seulement de leur mécanisme d’adsorption à la surface du nickel, mais également de la capacité du catalyseur à les hydrogénolyser.

2.3 Mécanismes de la sélectivation : effet géométrique et effet