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L‘emplacement du kiosque est plus ou moins sécurisé par le fait qu‘en principe, l‘installation d‘un kiosque à journaux nécessite un accord préalable des autorités en charge de

la circonscription sollicitée. Or, les personnes ne disposant pas de cet accord s‘exposent à des

poursuites, qui aboutissent la plupart des cas à la destruction des commerces et des comptoirs.

C‘est un phénomène récurrent qui caractérise les rapports entre l‘État et ses sujets dans les

villes au Cameroun.

Pour Paul, le kiosque à journaux est donc un lieu idéal pour échapper aux tracasseries de

la police urbaine. Cependant, il existe comme un accord de protection entre les différentes

parties, pour ne pas révéler les secrets et les accords tacites qui les lient. Le jeune homme que

nous avons rencontré à Douala admet procéder à des versements mensuels auprès du

kiosquier. Cependant, il se refuse à donner des informations, au sujet du montant déboursé

tous les mois. La seule indication qu‘il donne est celle relative à l‘offre d‘une petite bière

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.

La somme d‘argent reversée au kiosquier reste donc floue. Cette situation est révélatrice de

l‘existence d‘une forme d‘interdépendance des uns par rapport aux autres. Les sauveteurs,

marchands de chaussures, de vêtements et de denrées alimentaires, doivent au kiosquier leur

espace de commerce et donc leur installation. Ils bénéficient à ce titre de la gentillesse de

leurs « bailleurs ». Quant à ces derniers, le silence des nouveaux « locataires » est

272« Donner une petite bière à quelqu‟un » (donner un pourboire). C‘est une expression qui relève d‘un champ

d‘expression que le linguiste Ladislas Nzesse appelle le français populaire. À ce sujet, lire Nzesse, Ladislas, « Vitalité de la langue française au Cameroun », Africultures, n°60, juillet-septembre 2004, pp.162-166. Faire référence à une petite bière dans le cas de Paul renvoie à deux explications au moins. Dans un premier temps, il doit sa place au fait qu‘il la paieet exclut de ce fait toute exploitation gratuite. D‘autre part, il reconnait dans le même temps que la somme déboursée est « négligeable », par rapport à ce qu‘il devrait reverser directement au trésor public s‘il y faisait recours.

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indispensable pour éviter tout désagrément avec les responsables de la ville. Les kiosquiers

savent que l‘espace qui leur est alloué pour leur activité ne saurait faire l‘objet d‘une mise en

location de leur part. L‘espace urbain reste une propriété de l‘État. Tout compte fait, de façon

illégale, le kiosquier exploite l‘espace urbain et perçoit des montant d‘argent toutes les fins de

mois, loin d‘être réduits à 600FCFA, le prix d‘une bière. L‘argent perçu permet d‘amortir,

entre autres, les charges liées à la taxe relative à l‘occupation de l‘espace urbain. Autrement

dit, le kiosquier ne paie plus tout seul les notes relatives à sa location. Et c‘est sans doute un

moyen rentable pour ces commerçants.

La pratique reste valable pour la nuit. L‘espace du kiosque ne reste pas libre. Les

activités terminées en journée, les journaux rangés et le kiosque fermé, l‘espace revient aux

commerçants qui exercent la nuit. La devanture du kiosque laisse la place à de grandes

boutiques mobiles. Les « attaquants de nuit

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» ont mis en place des échoppes qu‘ils

installent une fois les kiosques fermés. Ils ne les déplacent que le matin. La fermeture du

kiosque ouvre la place à leur activité le soir, tandis que le remballage et le déplacement de ces

énormes échoppes annoncent l‘arrivée du kiosquier le matin. Ici, l‘occupation de l‘espace est

autorégulée. Mais si le kiosquier accepte de se soumettre à ce principe, c‘est justement parce

qu‘il existe une forme de compensation qui ne se révèle pas au premier contact. Charlie est un

jeune homme âgé de 30 ans, qui tient une boutique de nuit au lieu-dit carrefour École

publique à Deido. Pour installer son échoppe devant le kiosque de M. Job, il est convenu avec

ce dernier de lui reverser toutes les semaines un montant de 2 000FCFA, soit un total de 8 000

FCFA

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, représentant ses frais de loyer mensuel. Au final, c‘est une politique stratégique qui

permet à toutes les parties d‘être gagnantes. Pour les « colocataires » de l‘espace du kiosque,

c‘est un moyen qui leur permet à moindre coût de se mettre à l‘abri des dégâts liés à

l‘occupation illégale. Non pas qu‘ils soient entrent ainsi dans la légalité, mais en fait, ils

bénéficient de la couverture du kiosque à journaux qui occupe légalement l‘espace urbain.

Quant à eux, les kiosquiers peuvent compter sur ces cotisations mensuelles pour payer leurs

taxes auprès de l‘État.

La stratégie ne se limite pas seulement à exploiter les alentours du kiosque. Ce dernier

est aussi le lieu où se développe un commerce varié. S‘ils pouvaient se contenter il y a 20 ans

de la seule vente des journaux, les kiosquiers aujourd‘hui ne peuvent plus se permettre cette

monodistribution. Avec la crise qui secoue le secteur, les kiosques à journaux se sont

transformés en boutique où l‘on peut retrouver un peu de tout. Du petit matériel de

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Expression qui signifie débrouillard, vendeur à la sauvette. Lire Nzesse, Ladislas, op cit.

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bureautique aux friandises à grignoter, l‘espace du kiosque offre dorénavant de nombreux

services, inédits jusque-là. Et d‘après ces acteurs de la presse, il est quasi impossible de

survivre sans mener ces « petites » activités en parallèle :

« Vous savez que la vente des journaux n‟a plus la même allure qu‟il y a 10 ans.

Tellement que les ventes ont malheureusement chuté. Donc c‟est pour ça que pour

s‟en sortir, il faut trouver certains moyens de bord, certains moyens

d‟accompagnement pour combler certains vides

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», comme le souligne monsieur

Job, kiosquier au rond-point dit école publique à Douala.

Photographie 2:

Activités commerciales parallèles à la distribution des journaux dans un kiosque de la place

Parmi les mesures d‘accompagnements que l‘on retrouve au kiosque de M. Job, on

peut citer entre autres : les chemises cartonnées, les rames de papiers, les stylos, enveloppes,

etc. Une imprimante y est également disposée. Elle permet aux clients de M. Job de faire les

photocopies des pages de journaux qui les intéressent

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. Le kiosque de M. Job côtoie

plusieurs institutions, qui accueillent de nombreuses personnes. Sa proximité avec un centre

hospitalier et de nombreux établissements scolaires, mais surtout le centre administratif situé à

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Entretien avec M. Job Fotié, réalisé le 22 août 2011.

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2 minutes de marches, lui permet de recevoir tout type de personne à la recherche d‘une

machine à photocopier. Le kiosque, c‘est également un petit coin où l‘on peut trouver de quoi

se rafraichir la gorge, le temps de jeter un coup d‘œil sur les titres à la Une des journaux.

C‘est dire qu‘ici, un réfrigérateur contenant des boissons, gazeuses ou non, est disposé. Le

commerce de l‘eau est sans doute la principale source financière de ce kiosque. On ne compte

plus le nombre de sachets d‘eau, vendus au quotidien. Surtout les jeudis, vendredis et

samedis. En fait, ces trois jours sont particuliers pour ce vendeur de journaux. Il est quasi en

permanence débordé de travail.

À cet endroit, est située aussi la morgue. Ce qui veut dire que de nombreuses personnes

y viennent pour des mises en bière. C‘est le lieu des collations anticipées. L‘observation porte

à croire que pendant ces jours, la vente des journaux n‘est pas une priorité pour M. Job. En

effet, entre d‘une part, un groupe de 4 ou 5 personnes qui se présentent pour prendre chacun

un jus, dont le prix s‘élève à 500 FCFA l‘unité, soit 2 000FCFA pour les quatre bouteilles à

vendre et, d‘autre part, le client qui veut s‘acheter un journal au prix de 400 FCFA, la

mathématique est très vite faite. Et, évidemment, le moins offrant est obligé de passer

quelques minutes d‘attentes, le temps nécessaire pour que les « gros » consommateurs soient

servis. Ce choix de vendre d‘abord la boisson est justifié. À demande égale, c'est-à-dire entre

deux clients qui arrivent au même moment et dont l‘un souhaite avoir un jus et l‘autre le

journal, la priorité est faite au jus. Et pour cause : une marge de 100 FCFA apparaît entre le

prix d‘un jus et celui d‘un journal. Ainsi s‘explique l‘ordre implicite des priorités de service, à

première vue irrationnel.

Le kiosque est aussi une « pharmacie », dont le kiosquier serait en toute logique

« l‘homme de l‘art ». On trouvera ici et là des affiches publicitaires, dont les messages font la

promotion des médicaments pour soigner les dents. Nous pouvons y lire : « N‟arrachez plus

vos dents malades. Produit efficace à vendre ici. Moins cher ». Nous avons affaire, là, à une

forme de publicité non payante. Agrafée aux journaux, l‘affiche est visible par tous ceux qui y

passent, soit pour lire les titres, soit pour s‘acheter les journaux. Bref, une fois que l‘on choisit

de passer par le kiosque, on ne peut manquer le message, inscrit sur un papier de format

A3.Là encore, l‘opération de publicité est quasiment un succès. Car, du point de vue de sa

large diffusion, le kiosquier est certain que l‘information est lue. Même si les médicaments ne

sont pas vendus tous les jours, il n‘est pas rare de voir des gens qui veulent avoir plus

d‘informations. Tel est le cas de cette dame qui, venue faire des photocopies, s‘en est allée

finalement avec un sachet de remèdes, une sorte de poudre ensachée, dont seule le kiosquier

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connait l‘origine. Taxé à 10 000 FCFA

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, après de longs moments d‘échanges, pour ne pas

dire de négociations, le produit est finalement vendu à la dame au prix de 7 500 FCFA

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:

« Si ça marche, je vais revenir avec des clients » dit-elle en partant.

- Vas-y, tu reviendras me dire, surtout il faut respecter les heures normalement »,

rétorqua le kiosquier.

Le kiosque apparait de ce fait comme un espace d‘approvisionnement de soins

médicaux. Le kiosquier jouit d‘une « expertise » multidimensionnelle. Il est agent

commercial, dans la mesure où il sait vendre son produit à un public que les services offerts

attirent, mais c‘est aussi un pharmacien complet qui insiste sur le respect de la posologie. Dès

lors, les personnes qui viennent au kiosque constituent toutes une potentielle clientèle,

susceptible de franchir très vite le cap de patient, ce qui contribue à diversifier les sources de

revenus du kiosquier.

Certes, tous les kiosques à journaux ne bénéficient pas des mêmes atouts. Ce qui est

justifié d‘une certaine manière par le fait que chaque « lieu » a ses caractéristiques. Là par

exemple, la principale caractéristique du carrefour dit École publique à Douala, est qu‘il porte

justement le nom d‘une école, qui y est située. La situation d‘un kiosque à journaux dans cet

environnement ne peut qu‘apporter satisfactions au kiosquier. Comme nous l‘avons indiqué

supra, ce point d‘intersection est l‘un de ces lieux qui abritent plus d‘un kiosque à journaux à

Douala. Il suffit juste de traverser la route pour rejoindre en face le kiosque à journaux que

gère Mme Claudine Fotso. Le kiosque de cette dernière est tout aussi bien positionné. Lui

aussi en plein carrefour, il n‘est séparé du lycée bilingue que par le long mur qui sert de

barrière entre l‘espace du lycée et la route. Cette proximité avec l‘établissement donne à ce

kiosque l‘avantage de permettre d‘entretenir des relations harmonieuses avec le personnel de

l‘institution scolaire. Plutôt cordiales, ces relations profitent au kiosquier. Celui-ci fournit tous

les matins 5 journaux au proviseur qui dirige l‘établissement. Autrement dit, c‘est une recette

quotidienne de 2 000FCFA chaque jour, quasi assurée.

Au-delà des journaux qu‘il propose, la particularité de ce kiosque est qu‘il constitue

encore le point de vente des tenues de sport pour les élèves du Lycée. Au Cameroun, cela

s‘appelle faire du business. Comment le kiosquier fait-il pour décrocher le marché des tenues

de sport, que l‘on aurait pu penser assuré par le personnel du lycée ? Aucun « affairé » de la

cité « doualaise » ne veut accepter livrer le secret de ces affaires. Tous les élèves du lycée

s‘alignent au kiosque de Mme Fotso pour acheter leur tenue de sport, sans laquelle, ils ne

peuvent prendre part aux différentes séances à l‘école. Ce commerce parallèle est une source

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15 euros. 278 Environ 12 euros.

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garantie de revenus, qui permet au kiosquier de ne pas dépendre uniquement de la vente des

journaux. En plus des tenues de sport qui y sont vendues, la commerçante a pensé à proposer

également des paires de chaussures, qui viennent compléter l‘offre. De kiosque à journaux,

l‘établissement se mue ainsi, de temps à autre, en boutique de vêtements où le client peut faire

son choix et même essayer ses vêtements, sans que cela ne pose problème.

Ces activités « complémentaires », mises en place par les kiosquiers, varient ainsi d‘un

kiosque à un autre. Ainsi encore, pour Mme Kam-Shiam à Ndokoti, l‘offre complémentaire

porte sur les accessoires multimédias. À côté des journaux qu‘elle distribue, la kiosquière a

mis en place un service de distribution des produits de l‘opérateur public de téléphonie du

Cameroun, Cameroon telecommunication (Camtel). Ainsi, les offres et services se

présentent-ils variés et adaptés au micro-marché. Commerce de téléphones, carte de recharge, transfert

de crédit (internet et téléphone), tout ceci permet à Mme Kam-Shiam

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de fournir un grand

nombre de jeunes call-boxers, qui passent leur quotidien à Ndokoti. En effet, le choix de

proposer des services téléphoniques est un choix rationnel de la part de la kiosquière. Pour

s‘approvisionner, les opérateurs du call-box doivent quelquefois quitter leur poste, pour se

diriger vers des espaces d‘approvisionnement assez éloignés. D‘autre part, lorsque ces

services sont à proximité, il faut attendre pour bénéficier des services. Compte tenu de tout

ceci, le kiosque à journaux vient apporter une offre qui permet aux call-boxes installés à

Ndokoti de gagner en temps, donc de maximiser les gains. En somme, les call-boxes attirent

une clientèle qui contribue à l‘augmentation du chiffre d‘affaire du kiosque à journaux.

L‘économie des kiosques à journaux n‘est pas seulement basée sur les activités connexes. En

réalité, ces dernières sont mises en place parce que le kiosque à journaux existe. Autrement

dit, les journaux occupent une place de choix en tant que source de revenus.

2- Les stratégies de valorisation des journaux

« Les vendeurs de journaux de la ville de Douala ont un problème, ils visent