villes disposent à elles seules environ 103 kiosques à journaux sur les 131 existants, alors
même qu‘il existe une dizaine de régions avec plus 100 départements, sans compter les
arrondissements et les districts ? Cette observation incite à s‘arrêter davantage dans
l‘observation de l‘organisation même de l‘activité de la messagerie.
Sans entrer ici dans les détails, puisque nous proposons de traiter de cette question
dans nos développements ultérieurs (Cf. chapitre 4), nous pouvons néanmoins noter que de
nombreux facteurs sont à prendre en compte dans la compréhension de cette répartition
disproportionnelle. Il faut dire que, si elle était jadis une stratégie de l‘agence camerounaise
de Hachette en vue de l‘expansion de ses affaires, aujourd‘hui, la mise en place des kiosques
à journaux correspond à plusieurs paramètres caractérisant le processus de création. Il s‘agit
d‘une opération qui tient compte à la fois des facteurs humains, stratégiques, juridiques et
économiques. Dans nos prochains développements, nous reviendrons précisément sur les
modalités d‘ouverture d‘un kiosque à journaux au Cameroun. Ceci dit, la création d‘un
kiosque ne relève plus de la seule volonté d‘étendre le réseau de Messapresse. Par ailleurs,
disposer des moyens financiers à la création d‘un kiosque ne constitue plus l‘unique condition
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pour s‘engager dans ce secteur économique. Désormais, l‘activité de kiosquier est soumise à
des contraintes qui tiennent compte, à la fois, de la règlementation mise en place par l‘organe
en charge de la distribution, c'est-à-dire Messapresse d‘une part, mais aussi des paramètres
« stratégiques » que seul, le prétendant à l‘ouverture d‘un kiosque à journaux pourrait révéler,
d‘autre part.
Tout compte fait, les kiosques à journaux se sont imposés au Cameroun comme les
principaux canaux de distribution des journaux, ainsi qu‘en témoignent les statistiques. Les
kiosquiers constituent un maillon important dans le dispositif économique de la presse écrite.
Dans les années 1990, les kiosques à journaux avaient été le théâtre de la manifestation de la
gloire des journaux camerounais. C‘est en effet une période où les ventes avaient atteint leur
pic et où l‘on avait assisté à la pénurie de certains titres de journaux. Pourtant, comme nous
l‘avons mentionné d‘entrée, cette période n‘avait été que de courte durée. Comment
comprendre cette montée en puissance des journaux camerounais, mais surtout le déclin qui
s‘en est suivi. La prochaine section de ce chapitre tentera d‘apporter des éléments de réponses
à ce questionnement.
II- LES KIOSQUES À JOURNAUX, EN TANT QUE BAROMETRE DE
L’ÉTAT DE SANTEDE LA PRESSE ÉCRITECAMEROUNAISE
L‘évocation d‘une période dite prospère de la presse camerounaise traduit aussi
l‘existence de cette presse bien avant. C‘est la thèse que nous avons présentée dans la
précédente section. La presse écrite au Cameroun doit être distinguée selon les époques.
Depuis les années 1950, où la presse se pose comme un outil stratégique œuvrant pour la
domination du pouvoir colonial, jusqu‘aux années 1990,où elle s‘inscrit dans la lutte pour les
libertés politiques et civiques, en passant par les années 1970,où elle se veut un moteur de
mobilisation autour des questions d‘unité nationale et de développement, les journaux ont
connu de multiples conditions. Les différentes dynamiques, qui ont travaillé le champ
journalistique, ont également permis de rendre compte de l‘existence d‘une opposition vive,
entre les médias du pouvoir et ceux naissants, dits indépendants. Pourtant, ces luttes observées
dans le passé n‘ont pas disparu. Au contraire, le champ journalistique est toujours le théâtre de
luttes symboliques entre différents acteurs sociaux.
En effet, les luttes dont il est question sont, pour la plupart, cristallisées autour des
revendications d‘ordre politique. La scène politique se caractérise par une lutte entre le
pouvoir et l‘opposition. Pour le régime Biya en place depuis 1982, le projet national est la
consolidation de l‘unité nationale. Le parti unique est donc à son apogée à la fin des années
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1970. L‘opposition, quant à elle, milite pour la reconnaissance et l‘officialisation du
multipartisme. Dans le même temps, la lutte pour plus de liberté d‘expression est engagée.
Tel peut être résumé, de manière succincte, le contexte qui caractérise la période qui
précède les années 1990. La lecture de ces évènements est à relier, dans une certaine mesure,
au contexte international qui prévalait alors. L‘effondrement du mur de Berlin en 1989 a joué
un rôle majeur dans les relations entre É Dans le même temps, les différents pays ont
connu des bouleversements dans leurs modes de fonctionnement. Au Cameroun, les effets de
cette dynamique de portée internationale sont manifestes. Les changements les plus
marquants ont été l‘avènement du multipartisme et la libéralisation du champ social et
médiatique. Ces évènements ont été, par la même occasion, les signes annonciateurs d‘un
changement de cap, en ce qui concerne la nature du régime politique. Même si, dans les faits,
cela ne s‘est pas traduit systématiquement, il n‘en demeure pas moins vrai que le choix de
passer à un régime pluripartite s‘est produit en 1990. Et c‘est donc dans un contexte de lutte et
de « villes mortes
115» que s‘est effectuée cette transition.
Pendant ces années de braise, le contexte était favorable à cette éclosion de la presse
écrite. Le vent des libertés de l‘Est avait été le facteur majeur que beaucoup d‘historiens
considèrent comme précurseur des libertés en Afrique noire. Restés longtemps sous le joug
des dictatures et du totalitarisme depuis les indépendances, les peuples avaient saisi la balle au
bond pour faire plier les régimes gérontocrates et barbares. D‘où le concept de « Conférences
nationales », réclamées à cor et à cri à travers les « Villes mortes » que certains pays ont
connues. Plus avisés, les Camerounais avaient commencé à comprendre que l‘heure était
venue de changer complètement certaines de leurs habitudes de consommation car
l‘information devenait désormais une ressource indispensable à l‘épanouissement des citoyens
responsables et épris de liberté. Le besoin d‘informations se faisait ressentir et, la bourse et le
panier de la ménagère aidant, chacun se mit donc à la lecture des papyrus, considérés comme
outils de vulgarisation et de préparation de ce citoyen qui doit être toujours prêt à choisir les
hommes et à assumer ses choix personnels.
En réalité, comme certains autres pays d‘Afrique, jusqu‘à l‘avènement de la démocratie,
le Cameroun est présenté comme un pays où l‘absence de liberté d‘expression débouche sur
115 Il s‘agit d‘une opération mise sur pied dans le cadre des mouvements sociaux qui ont traversé le Cameroun entre 1990 et 1992. Ladite opération avait alors consisté à rendre inopérant tous les secteurs d‘activités, ce qui avait évidemment paralysé l‘économie du pays. Par ailleurs, il faut souligner que cette opération avait été lancée à Bamenda, le siège du SDF, l‘un des partisd‘opposition les plus populaires, et s‘était très vite répandue à Douala et Yaoundé. Les rues étaient le théâtre de violents affrontements qui mettaient aux prises les forces de l‘ordre et les manifestants. L‘intensité de ses affrontements avait coûté la vie à de nombreuses personnes.
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l‘enfermement des opinions diverses. Or, quiconque voulait prendre la parole dans ce
contexte devait faire face à la répression des dirigeants. Quelquefois, ceux qui émettaient un
avis contraire à l‘idéologie en place pouvaient être contraints à l‘exil. Cette absence de liberté
n‘est pas propre au seul Cameroun. En Côte d‘Ivoire, Bamba Sidiki fait observer que les
mêmes entraves existaient dans le pays à cette époque. Mais face à cette difficulté de
s‘exprimer librement, les populations ne restent pas pour autant muettes. Les uns et les autres
trouvent des moyens pour exprimer leurs points de vue. C‘est ce qu‘affirme l‘auteur, en
parlant de la situation en Côte d‘Ivoire :
« Dans un pays où il n‟existe pas de liberté d‟expression, encore moins celui de la
presse, les hommes et les femmes ne se taisent pas pour autant. Lorsque sur le plan
institutionnel, on n‟a pas droit à la parole publiquement, on se cherche d‟autres
moyens en créant des cadres forcément « clandestins » de peur de la répression
étatique pour donner libre cours à des opinions qui rompent avec la langue de bois
des gouvernants »
116.
C‘est en tout cas la situation qui caractérisait la plupart des pays d‘Afrique
subsaharienne avant l‘avènement de la démocratie. Cela dit, face au vent de l‘Est et à d‘autres
facteurs tels que le discours de la Baule, les gouvernants africains se sont vus contraints à
s‘arrimer plus ou moins à la nouvelle donne qui gagnait les différents pays. La chute du mur
de Berlin, l‘effondrement de l‘ex URSS, etc., tout ceci ne pouvait laisser indifférents les
dirigeants africains.
L‘alignement des dirigeants africains à la mouvance démocratique s‘était traduit par
des prises de décisions concrètes. Cela veut dire qu‘au cours de cette période, dans la plupart
des pays d‘Afrique noire, on observe que le cadre juridique relatif aux libertés des individus
avait connu de nombreuses modifications. En effet, il s‘en était suivi la promulgation de lois
et décrets organisant la vie sociale et politique. Au Gabon, par exemple, c‘est désormais
l‘article 7 de la constitution qui consacre la liberté d‘expression.
Au Cameroun, la même dynamique avait été enclenchée. Dès la fin des années 1980,
le Cameroun avait été traversé par de nombreuses manifestations. L‘enjeu de ces dernières
portait sur le changement que les acteurs sociaux et politiques souhaitaient voir sur la scène
politique. Achille Mbembé fait remarquer que les différentes revendications que l‘on avait
alors observées abordaient pour la plupart, « la sortie du pays du modèle autoritaire comme
116
Sidiki, Bamba, Presse écrite et émergence de l‟espace public en Côte d‟Ivoire : entre idéal démocratique et
propagande politique, Thèse de Doctorat en Sciences de l‘information et de la communication, Université de
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