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Certes, les censures et répressions que les journalistes subissent ont des conséquences plus ou moins lourdes selon les cas, tels que nous l‘avons présenté dans les paragraphes

antérieurs. Cependant, malgré toutes ces difficultés qui paraissent comme une entrave à la

pratique du journalisme au Cameroun, les kiosques à journaux n‘ont pas cessé de recevoir de

nouveaux titres de journaux. L‘abondance de titres en kiosque témoigne de l‘intérêt qu‘ont les

individus à s‘investir dans le secteur de la presse. Or, dans le même temps, les ventes,

l‘avons-nous souligné, connaissent une chute drastique. Les vendeurs de journaux, rencontrés

à Douala et Yaoundé, vivent tous dans la nostalgie. Les uns et les autres ne peuvent parler de

leur métier sans évoquer la période faste que furent à leurs yeux les années 1990. Vingt ans

plus tard, les choses ont changé. C‘est ce que fait savoir Job Fotié, un vendeur de journaux

rencontré à Douala. Pour ce dernier :

« Les ventes n‟ont plus la même allure qu‟en 1990. Tellement les ventes ont

malheureusement chuté, donc c‟est pour ça que pour s‟en sortir, il faut trouver

certains moyens de bords, certains moyens d‟accompagnement pour combler

certains vides »

158

.

157 Njawe Noumeni Pius, entretien avec Renaud De La Brosse, cité par De La Brosse, Renaud, Le rôle de la

presse écrite dans la transition démocratique en Afrique, Thèse de Doctorat en Sciences de l‘information et de la

communication, Université de Bordeaux 3, 1999, p. 851. 158 Entretien avec Fotié Job, réalisé le 22 août 2011 à Douala.

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Ce discours est révélateur d‘une certaine gêne. D‘après ce témoin, il était possible pour

un vendeur de journaux de vivre essentiellement de son activité, c'est-à-dire la vente de

journaux. Car, comme il nous le confie, « on pouvait vendre 500 pièces au cours d‟une

matinée. Il y avait des jours où on demandait un tirage supplémentaire du journal, selon

l‟intérêt des grands titres ». Autrement dit, le kiosque à journaux était un lieu dont le but était

essentiellement la vente des journaux. Il n‘y avait donc nul besoin de s‘intéresser à d‘autres

formes d‘activités dans le ou autour du kiosque à journaux, comme c‘est le cas aujourd‘hui.

Nous y reviendrons ultérieurement lorsque nous aborderons la dimension économique du

kiosque à journaux.

La chute des ventes a pour conséquence immédiate la hausse des invendus. Au cours

de nos observations, nous avons remarqué que les kiosquiers ont d‘importantes quantités de

journaux invendus en fin de journée. Ce qui, d‘ailleurs, leur impose un travail supplémentaire.

Autant ils doivent faire le décompte d‘un nombre important à la livraison, autant l‘activité est

pénible répétée en fin de journée pour les invendus. Car, non seulement ils n‘ont pas fait bon

marché, mais ils doivent encore faire face à la gestion de la pléthore des titres qui leur sont

livrés, restés invendus.

Pour expliquer la faible vente, Eugénie Molong, vendeuse de journaux dans un

kiosque à Bonanjo, identifie plusieurs facteurs. D‘après elle, la hausse des prix, la diversité

des titres, mais également aujourd‘hui la présence d‘internet, ont contribué à la baisse des

ventes. Elle affirme :

« J‟avoue que l‟augmentation des prix a vraiment influencé la vente des journaux.

Parce que quand je commençais, la vente de la presse, le Cameroon Tribune

coutait 150 FCFA

159

, et on n‟avait pas assez de titres comme c‟est le cas

aujourd‟hui. Les ventes étaient bien, on parvenait à écouler les journaux. Je

vendais parfois 1 500 Nouvelle Expression, 2000 voire 3000 Le Messager, mais

aujourd‟hui ce n‟est plus le cas. C‟est difficile et nous devons honorer nos factures.

Il faut payer le loyer, il faut payer l‟impôt, il faut payer l‟électricité. Donc du coup,

ça fait que nous sommes obligés d‟avoir d‟autres petites activités pour que nous

puissions nous en sortir »

160

.

Les différents témoignages consolident l‘idée selon laquelle le secteur de la presse

écrite est en faillite. Les vendeurs s‘en prennent aux promoteurs de journaux, pour expliquer

en partie la précarité dans laquelle ils sont obligés d‘évoluer. Car faut-il le rappeler, le

Cameroun compte environ 600 publications de presse écrite, ce que relevait déjà Herbert

Boh

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en 1998. Il devient donc plus difficile de vendre, au regard de cette diversité de titres.

159 Environ 0.22 Euros. 160

Entretien réalisé à Douala avec Molong Eugénie, kiosquier à Bonanjo, le 24 août 2011. 161Boh, Herbert, L‟état de la presse au Cameroun, Yaoundé, FES, 1998, 236p.

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Et lorsqu‘on parle de commerce, on ne saurait omettre d‘évoquer un des maillons clés, à

savoir la demande. Le lectorat est donc mis en cause pour justifier les faibles ventes de

journaux. Les vendeurs de journaux pointent du doigt les lecteurs. Ces derniers sont accusés

de privilégier d‘autres produits de consommation, tels que la bière aux dépens des journaux.

Les populations, quant à elles, remettent en cause le prix du journal. Ce dernier est

devenu très cher pour eux, de ce fait, ils ne parviennent plus à supporter l‘achat d‘un journal.

C‘est ce qui ressort des propos des témoins que nous avons rencontrés durant nos

observations. Or, cette thèse est remise en cause par les vendeurs de journaux eux-mêmes.

D‘après ces derniers, les Camerounais n‘ont pas la culture de la lecture, ceux-ci auraient

d‘autres priorités que l‘achat des journaux. Donald Djoukem affirme que :

« Ces gens qui disent que le journal est cher, lorsque vous vous rendez du côté de

l‟Avenue Kennedy, ce sont les mêmes que vous trouverez en train de consommer

une bière qui coûte 1000 FCFA. À ce moment-là, d‟où leur provient cet argent ?

Vous comprenez que ce n‟est pas le prix du journal qui fait problème

162

».

Il reste donc à chercher les raisons qui expliquent les méventes des journaux

camerounais. Nous faisons face à une réalité apparemment paradoxale. D‘un côté, nous

observons la création toujours poussée des titres de journaux, alors que le marché se porte

mal. D‘un autre côté, les kiosques à journaux n‘ont pas fermé boutique, alors même que tous

les kiosquiers tiennent le même langage pour dénoncer leurs conditions de vie précaires.

Enfin, à en croire les propos des vendeurs, les Camerounais ne manifestent pas un réel intérêt

pour la lecture de la presse, pourtant les mêmes vendeurs expriment un sentiment partagé, en

ce qui concerne les individus qui affluent devant les points de vente de journaux. Alors que

certains se réjouissent de ce que leur activité attire encore des masses, d‘autres, par contre, ne

manquent pas d‘exprimer leur amertume de voir des gens qui n‘achètent pas de journaux et

qui restent occuper l‘espace du kiosque à longueur de journée. Interrogés sur leur sentiment

au sujet de ces regroupements devant le kiosque, certains kiosquiers se révèlent très radicaux

dans leurs propos :

« Ah non, moi je les chasse : ça fait des années, on est déjà habitué, il y a des gens

qui viennent ici le matin jusqu‟au soir dès qu‟ils voient le titre d‟un journal, ils

engagent les commentaires mais personne n‟achète, c‟est juste les titres qui les

intéressent »

163

.

Les vendeurs de journaux font face à une situation plus ou moins difficile à gérer.

D‘une part, ils sont interpellés par le fait de voir des gens en quête de l‘information, mais

incapables de s‘acheter les journaux. Ce qui, bien des fois, conduit les kiosquiers à cohabiter

162

Entretien réalisé à Douala avec Djoukem Donald, kiosquier, le 15 septembre 2011. 163Entretien réalisé à Douala avec Manga Robert, kiosquier. Entretien réalisé le 23 août 2011.

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au quotidien avec ces « locataires », qui partagent avec eux l‘espace du kiosque. Pour autant,

il leur apparaît vite difficile de devoir accueillir tous les jours et ce, de manière permanente,

des individus qui ne leur permettent pas d‘atteindre leurs objectifs en fin de journée. Ce qui,

comme le souligne ce vendeur, peut conduire à user parfois de violence verbale.

Dans le même sens, cet autre kiosquier, Job Fotié, ne cache pas sa gêne de devoir

partager son espace de commerce avec des individus qui ne lui procurent pas de recette. Il

affirme :

« Oui çà, c‟est un phénomène qui m‟a déjà dépassé : au début, ça me plaisait de les

voir comme ça, je me disais qu‟ils avaient envie de l‟information. Bon, ça me

plaisait de les voir en quête de l‟information et avoir le minimum qu‟ils peuvent

s‟en servir et informer aussi leurs collègues, mais à la longue, je vois que c‟est

seulement là qu‟ils passent tout le temps à longueur de journée à faire des

discussions devant le kiosque et ceux qui ont les motos, il arrive qu‟ils garent

jusqu‟à atteindre la chaussée, peu importe le besoin de l‟usager de la route, çà ne

les dérange pas. Ils savent qu‟ils sont là : ils font leurs commentaires. Ça me gêne,

quand ils font de l‟anarchie, chaque fois de crier sur leurs têtes de reculer d‟un

côté et de laisser les clients un peu nantis de venir se procurer la presse : ils

peuvent aller commenter ailleurs et laisser libre circulation à ceux qui veulent

acheter

164

».

Cependant, comme mentionné supra, le traitement réservé aux individus qui viennent

devant les kiosques n‘est pas le même, d‘un kiosquier à l‘autre. Il semble connaître des

variations, selon les perceptions que les propriétaires se font de cette réalité. Alors que l‘on

observe une convergence entre les points de vue des deux vendeurs interrogés précédemment,

Madame Molong, quant à elle, s‘inscrit dans une logique toute différente, celle de

l‘acceptation des autres, ce, malgré la gêne occasionnée. Aussi, précise-t-elle :

« C‟est vrai que ça ne fait pas toujours plaisir de les voir comme ça, parfois même

occuper l‟entrée du kiosque, empêchant celui qui veut acheter d‟entrer, mais on ne

peut pas faire le contraire parce que j‟essaye aussi de les comprendre :c‟est pas

qu‟ils ne veulent pas acheter mais ils n‟ont pas les moyens de s‟acheter les

journaux et vous savez aussi que la majorité de tous ceux qui sont là, parfois, c‟est

ceux qui ont fait des études et qui n‟ont pas encore trouvé du travail ou alors, ceux

qui ont travaillé mais qui sont en chômage ou qui ont perdu leur emploi, donc du

coup, ça fait que c‟est une ambiance qu‟on est amené à accepter, même si parfois

ça dérange mais on fait avec

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».

Même si en réalité, la recette dont parle ce vendeur est bien souvent faite sous d‘autres

formes. Certes, certains individus, qui occupent la devanture du kiosque, n‘achètent pas

toujours les journaux, mais les transactions observées entre les personae non grata et le

kiosquier laissent entrevoir des formes de compensations, pas toujours révélées par les

164

Fotié, Job, entretien, op cit.

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vendeurs. Nous nous interrogeons même sur l‘existence d‘un contrat, au sens d‘Eliseo

Veron

166

, entre les différentes parties, c‘est-à-dire les occupants du kiosque et le propriétaire

de ce dernier. Nous reviendrons dans les prochains développements sur les procédés qui

relèvent des tactiques mises en place par les uns et les autres, pour parvenir à leurs fins.

L‘occupation de l‘espace du kiosque n‘est donc pas une activité qui se déroule sans

poser de problème. On se rend compte de la nature variable des relations entre vendeurs et

public. Plus loin, nous reviendrons sur ces rapports en analysant les interactions autour du

kiosque à journaux.

De ce qui précède, on peut indiquer, sans courir le risque de se tromper, que la