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Pour Patrick Baudry :

« Sans doute sait-on que le non-verbal existe et peut-on dire de façon générale en

quoi il consiste. Mais outre que la « définition » risque de n‟être que négative – le

non-verbal serait de manière bien évidente tout ce qui n‟est pas verbal, reste que

cette évidence qui se prête mal à la description ne laisse pas aisément découvrir ses

logiques opératoires. Des gestes, des attitudes, des postures, des mimiques, voilà

assurément le non-verbal, pour le présenter de manière plus "positive" »

358

».

Ainsi posé, il faut voir dans l‘interaction une activité qui s‘incarne bien au-delà des

seuls échanges conversationnels. Ne prendre en compte que ces derniers dans l‘analyse de

l‘interaction, c‘est restreindre l‘analyse aux champs de la communication et des activités

langagières, auquel cas souligne Robert Vion

359

, on ne parlerait que d‘interaction verbale. Il

convient donc de considérer le couple communication verbale/communication non-verbale,

moins dans une configuration d‘opposition que sous l‘angle de deux entités qui misent

ensemble, participent à la compréhension des procédés humains en marche au cours d‘une

interaction. À cet effet, communication verbale/communication non-verbale sont comparables

à une pièce de monnaie, dont les deux faces sont complémentaires, l‘une de l‘autre.

Autrement dit, dans les rapports sociaux, les deux aspects se mettent en jeu dès lors que les

acteurs sont dans le même espace. Car, souligne cet auteur, tout comportement engendre du

sens. Aussi souligne-t-il :

« Même lorsque nous ne sommes pas dans l‟activité communicative, il y aurait tout

de même communication. Ainsi, deux personnes en vis-à-vis dans un compartiment

de chemin de fer se communiquent qu‟elles ne veulent pas établir de relation

verbale, sans jamais se regarder ou échanger quoi que soit au niveau verbal. Ces

deux personnes sont nécessairement en interaction puisqu‟elles cogèrent un même

espace et communiquent entre elles par des attitudes comportementales

360

».

357 Corraze, Jacques, Idem, p.11. 358

Baudry, patrick, « Le non-verbal : un point de vue sociologique » in Communication et Organisation, n°18, 2000, p.

359

Vion, Robert, La communication verbale. Analyse des interactions, Paris, Hachette Supérieur, 2000, 302p. 360 Vion, Robert, Idem, p.18.

179 Photographie 4:

Postures de lecteurs regroupés autour d‘un kiosque à journaux à Douala

La recherche de l‘information, avons-nous dit, est la raison principale qui attire les

gens vers les kiosques à journaux. Dans cette quête de l‘actualité, des rencontres se font. Le

kiosque à journaux est le point où l‘on croise des inconnus, avec lesquels on partage pour un

moment le même espace. Ce qui, nécessairement, implique des comportements que les uns et

les autres adoptent. Mais ce lieu de rencontre avec l‘inconnu est aussi un espace de

« sociabilité », dans la mesure où l‘interaction favorise la mise en place de liens de

rapprochements entre certains acteurs, du fait de leur appartenance à la même classe sociale.

Autrement dit, il se crée une « identité sociale collective » qui devient, devant les points de

vente de journaux, un enjeu de rapprochement et qui modifie en profondeur les rapports entre

les acteurs. Cet enjeu de l‘activité communicationnelle est présent dans les travaux de Jürgen

Habermas. D‘après cet auteur :

« Du point de vue fonctionnel, l‟activité communicationnelle sert à transmettre et à

renouveler le savoir culturel ; du point de vue de la coordination de l‟action, elle

remplit les fonctions de l‟intégration sociale et de la création des solidarités ; du

point de vue de la socialisation enfin, l‟activité communicationnelle a pour fonction

de former des identités personnelles

361

».

180

Bref, nous nous trouvons là face à un contexte où le sujet et le social se réactualisent à

partir de l‘interaction. Mais que se passe-t-il lorsque les acteurs en coprésence ne partagent

pas le même « référent social » ? Quels types de relations se mettent en place dès lors que les

individus engagés dans le même espace appartiennent à un univers symbolique différent ?

Par ailleurs, en tant qu‘organisateur de l‘activité, le kiosquier joue un « rôle »

important dans la structuration même des différentes interactions autour du dispositif qu‘il

gère. Les rapports qu‘il entretient avec son voisinage, les relations avec les différentes

personnes qui fréquentent le kiosque, font du kiosquier un individu tout aussi engagé dans

différentes interactions. Bref, les rencontres autour du « décor » qu‘est le kiosque à journaux

sont faites de différents rapports dont il conviendra, dans les paragraphes suivants, de rendre

compte à partir d‘une analyse in situ. L‘analyse d‘une part, portera sur les rapports du

kiosquier avec les publics autour du kiosque, d‘autre part, elle se recentrera sur les

interactions entre les différents acteurs qui constituent les attroupements autour des kiosques à

journaux.

I- LES INTERACTIONS ENTRE LE KIOSQUIER ET LES AUTRES

VENDEURS DE JOURNAUX

D‘entrée de jeu, il faut souligner que les rapports interactionnels du kiosquier avec les

« gens » du kiosque varient, selon la place que ceux-ci occupent lors des représentations. En

d‘autres termes, le kiosquier est un acteur qui, au cours d‘une occasion donnée, ajuste ses

comportements selon qu‘il est en face d‘un acheteur ou d‘un locataire, ou encore selon que

l‘interlocuteur est du même sexe que lui, ou non. Les ajustements au kiosque tiennent

également compte d‘autres logiques non apparentes, mais qui, toutefois, influencent le

comportement du commerçant. Au quotidien, le kiosquier rencontre de nombreuses personnes

qui visitent, de façon régulière ou non, son espace. Dès lors, ses actes tiennent compte de la

présence des uns et des autres. C‘est d‘ailleurs ce que montre Erving Goffman, qui affirme

que :

« C‟est un fait lié à notre condition humaine que, pour la plupart d‟entre nous, la

vie quotidienne se déroule dans l‟immédiate présence d‟autrui

362

».

Si le kiosquier mène son activité dans l‘espace public urbain, c‘est qu‘il l‘oriente

effectivement par rapport aux autres. Cependant, l‘arrivée d‘un inconnu ne produit nullement

les mêmes réactions, lorsque ce dernier se retrouve en face d‘une personne avec laquelle il

entretient des rapports plus ou moins élaborés.

181

Tout d‘abord, il est important de présenter le décor dans lequel se déroulent les

interactions entre le kiosquier et les « autres ». Dans une certaine mesure, cette description

constitue un rappel, d‘autant plus que la situation des kiosques à journaux a déjà été évoquée

dans les paragraphes antérieurs. Néanmoins, cette « répétition » se justifie, car, non seulement

elle permet d‘actualiser ce qui a été dit sur la situation du dispositif qu‘est le kiosque à

journaux, mais également parce que ce dispositif participe de la compréhension des rapports

qui s‘instaurent dans ce cadre. D‘après Erving Goffman, les actes humains se déroulent

toujours par rapport à un endroit qui se caractérise par sa décoration, la disposition des objets,

le mobilier, etc. Il indique par ailleurs que :

« Un décor est normalement, géographiquement stable, de sorte que les acteurs qui

voudraient faire d‟un décor particulier un élément de leur représentation ne

peuvent entamer l‟action avant de s‟être transportés à l‟endroit approprié, et

doivent cesser leur représentation quand ils le quittent

363

».

Le kiosque à journaux se présente donc comme un décor qui, du fait de sa stabilité

géographique, permet aux individus de s‘y déporter. Ainsi, les interactions entre les différents

acteurs ne se mettent en place que dès lors qu‘ils sont tous présents dans le cadre

géographique du kiosque. C‘est cette présence à proprement parler qui donne le ton, lorsqu‘il

s‘agit des rapports humains au kiosque à journaux, ce que Louis Quéré nomme des

« interactions communicatives

364

».Selon l‘auteur :

« Il s'agit des interactions dans lesquelles les ajustements réciproques que les