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Généralités sur les systèmes turbiditiques

2.3 Eléments architecturaux des systèmes turbiditiques

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L’organisation des éventails turbiditiques est étroitement liée aux processus impliqués, c’est-à-dire au type d’écoulement gravitaire concerné. De manière générale, l’éventail est subdivisé en trois parties (Figure 38) :

- l’éventail supérieur, en amont du système, correspondant à la zone de sédimentation en débouché du canyon ;

- L’éventail moyen, composé d’un réseau de chenaux-levées qui se développe à l’aval de l’éventail supérieur ;

- L’éventail inférieur, caractérisé par des dépôts de lobes qui s’étalent dans la partie la plus distale du système.

Les différents éléments architecturaux qui composent les éventails sous-marins, tels que les surfaces d’érosion, les chenaux, leurs dépôts de débordement, et les lobes, sont décrits dans cette section, en lien avec les processus de dépôt responsables de leur composition, et le type de dépôts associés.

Figure 38: Architecture d’un éventail sous-marin, présentant de façon schématique les différents éléments architecturaux (canyon, complexe de chenaux-levées et lobes), ainsi que les différents types de dépôts associés.

2.3.1 Canyons

En domaine marin profond, il existe deux types de canyons : les canyons de type 1, correspondant à des vallées incisant profondément le plateau continental jusqu’au bas de la pente ; et les canyons de type 2, moins profonds et longitudinalement limités qui se limitent au haut de pente (Jobe et al., 2011) (Figure 39).

- Les canyons sous-marins de type 1 sont des incisions plus ou moins profondes, de forme en « V » entaillant la plateforme jusqu’au pied de pente. Ils agissent comme des conduits par lesquels transitent les sédiments du domaine continental vers le domaine marin profond. La morphologie des canyons est très variable, leur largeur et leur profondeur dépendant de plusieurs facteurs tels que la taille du plateau continental, la taille des réseaux fluviatiles en

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amont, l’angle de la pente, du dénivelé entre le plateau continental et la plaine abyssale etc... (Shepard, 1981).

Ces canyons sont caractérisés par une forte pente amont-aval, et des parois également très pentées, favorisant les phénomènes de déstabilisation gravitaires, et sont des zones dominées par l’érosion et le transit du matériel provenant du continent lorsqu’ils sont actifs. Les processus dominants dans les canyons de type 1 sont les courants turbides très érosifs et le transport en masse (Shepard, 1981, Normark & Piper, 1991).

Les canyons de type 2 correspondent à des ravines moins profondes (quelques dizaines de mètres), plus rectilignes, et dont la longueur est limitée et n’excède pas quelques centaines de mètres (Piper & Normark, 1983 ; Jobe et al., 2011). Ces ravines sont caractérisées par les vallées en forme de « U », aux parois moins abruptes que pour les canyons de type 1, et se situent généralement en haut de pente, sur le rebord du plateau (Figure 39). Les processus dominants correspondent à des courants de faible densité, induisant le dépôt de matériel essentiellement boueux (Straub & Mohrig, 2009).

Figure 39: Comparaison entre les différentes morphologies de canyons, avec les canyons de type I qui prennent source à la rupture de pente, et les canyons de type II, localisés en haut de pente. Exemple de profil bathymétrique le long de la marge de Guinée Equatoriale (Jobe et al., 2011)

2.3.2 Complexe chenaux-levées

Le système chenaux-levées se développe immédiatement à la sortie du canyon, et se caractérise par la présence d’un chenal central parfois sinueux bordé de part et d’autre par ses levées, marquées par des épaulements au relief positif plus ou moins marqué, dont la hauteur décroit en s’éloignant de l’axe du chenal (Figure 40).

La morphologie des chenaux est principalement contrôlée par les processus d’érosion et de dépôts liés aux écoulements turbulents provenant du canyon. L’énergie des écoulements étant généralement décroissante d’amont en aval du fait de la diminution de la pente, les chenaux sont plus érosifs et droits et présentent des levées peu ou pas développées dans la partie proximale, et deviennent plus étroits, de moins en moins érosifs, de plus en plus sinueux vers l’aval, et développent des levées plus importantes et plus étendues.

Les chenaux droits, incisifs et transportant le matériel le plus grossier se situent dans la partie supérieure de l’éventail. Les levées se développent sur les flancs latéralement aux chenaux et caractérisent l’éventail moyen. Les levées se construisent par le dépôt en débordement des particules fines qui constituent la partie turbulente de l’écoulement. Ces levées peuvent s’étendre sur plusieurs dizaines de kilomètres de part et d’autre de l’axe du chenal dans la partie distale. Les levées présentent aussi une dissymétrie, avec un flanc interne très abrupt soumis aux processus d’érosion existant dans le chenal, et un flanc externe de faible pente, qui peut favoriser le phénomène d’avulsion des chenaux au cours du temps. La migration des chenaux est

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d’autant plus importante vers l’aval du système que ces chenaux sont moins profonds et moins stables que dans la partie proximale de l’éventail, car plus encaissés (Flood et al., 1991).

Evolution de la morphologie des chenaux et facteurs de contrôle

La morphologie des chenaux peut varier du chenal rectiligne au chenal méandriforme, avec une migration latérale liée à des conditions d’énergie qui varient. Les caractéristiques des courants varient le long du système, et varient aussi au cours de l’évolution de ce système. Babonneau et al. (2002), indiquent que le degré de sinuosité des systèmes reflète leur maturité. Les courants canalisés dans des chenaux sont généralement de type turbulent avec une composante basale laminaire qui a tendance à éroder par cannibalisation, ce qui peut favoriser l’érosion progressive des marges, et la migration progressive des chenaux, et ainsi permettre les phénomènes d’avulsion (Deptuck et al., 2003).

L’étude de systèmes modernes tels que le Rhône, l’Amazone ou le Niger ont montré les variations horizontales en termes de sinuosité, et de concavité (ratio entre hauteur des levées par rapport au talweg du chenal et la largeur du complexe chenal-levées) le long de ces systèmes chenalisés (d’Heilly et al., 1988 ; Flood et al., 1991 ; O’Connell, 1991 ; Pirmez & Flood, 1995 ; Pirmez et al., 2000). Il a été mis en évidence que la morphologie des chenaux est étroitement liée à l’évolution du rapport entre taux d’érosion et de dépôt le long du profil, en fonction de subtils changements dans le gradient de pente, du changement de nature du sédiment, de la présence Figure 40: A- Relevé bathymétrique d’un complexe chenal-levées montrant un chenal sinueux à méandriforme incisé et ses levées (Amazon channel, Pirmez et al., 2000); B- Ligne sismique montrant une section du chenal-levées (Pirmez et al., 2000), avec le chenal incisant ses propres levées formant un relief positif de part et d’autre du chenal.

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de faille etc… Des ruptures de pente peuvent provoquer ressauts hydrauliques et ré-accélération des courants, et par conséquent augmenter le pouvoir érosif du courant. Ces auteurs ont mis en évidence la relation étroite qui existe entre la sinuosité et la concavité des complexes de chenaux-levées, et le gradient de pente. Lorsque les gradients de pente sont importants (supérieurs à 3m/km), les chenaux sont très incisés et étroits, et sont le plus souvent très sinueux à méandriformes (Pirmez et al., 2000).

La méandrisation est principalement due au fait que les marges des chenaux sont très escarpées, et de fréquents effondrements ont lieu, accentuant l’érosion des marges. Lorsque les gradients de pente sont inférieurs à 3m/km, les chenaux sont moins sinueux et plus étendus, avec une concavité moins importante et un relief moins prononcé, qui peut favoriser les phénomènes d’avulsion (Pirmez et al., 2000).

La morphologie et l’évolution des profils longitudinaux des systèmes chenaux-levées sont contrôlées par les variations du niveau de base, de façon similaire au niveau de base défini dans les systèmes fluviatiles. Le niveau de base dans les systèmes sous-marins profonds, correspond d’après Carter (1988), au point le plus profond dans le bassin qui peut être atteint par des écoulements gravitaires. Ce sont les variations du niveau de base qui influencent l’évolution verticale des systèmes profonds, et qui contrôlent par conséquent l’architecture du remplissage. Le niveau de base est localement affecté par des phénomènes intrinsèques à chaque système, tels que la tectonique locale, la présence d’irrégularités sur les fonds marins, l’avulsion des chenaux… (O’Connell et al., 1991 ; Carter, 1988 ; Friedmann et al., 1999).

2.3.3 Transition chenaux-levées/lobes

La zone transition chenaux-levées/lobes (CLTZ) a été définie par Mutti & Normack (1977) selon des critères morphologiques, et correspond au passage d’un système chenalisé et confiné bien défini, à un système déconfiné où se construit un lobe alimenté par des chenaux distributaires de moins en moins confinés dans la partie distale. Cette zone de transition reste difficile à clairement définir, du fait du continuum qui existe du point de vue morphologique et du point de vue des processus d’écoulements.

Du point de vue des processus, cette zone de transition correspond au passage d’un écoulement confiné dans un chenal, à un écoulement déconfiné non contraint au débouché (Jégou, 2008). Ce déconfinement s’accompagne d’un changement de l’état d’équilibre hydraulique en réponse à une diminution de la pente au débouché du chenal. Ceci induit un réajustement de la vitesse de l’écoulement ainsi que de sa hauteur, accompagné par une augmentation de la turbulence et incidemment de l’érosion sur le fond (Garcia & Parker, 1989).

La présence et les caractéristiques de la zone de transition chenal-levées/lobes sont conditionnées par la proportion d’argile présente dans le système (Wynn et al., 2002). Dans le cas d’écoulement essentiellement sableux (très faible proportion d’argile), l’écoulement est de faible volume et les dépôts sableux se mettent en place directement au débouché du chenal lorsque le système se déconfine, et il n’y pas dans ce cas de « Chanel-Lobe Transition Zone » (CLTZ). Dans le cas contraire, des écoulements riches en fraction argileuse sont plus turbulents et cela se traduit par la mise en place d’une zone de by-pass au débouché du chenal, qui correspond à la CLTZ) séparant le complexe chenal-levées des lobes.

Les caractéristiques morphologiques de la CLTZ correspondent à de nombreuses structures d’érosion (scours et sillons d’érosion) associées à des « sediment waves » traduisant le remaniement des dépôts érodés. La taille de la CLTZ est proportionnelle à la taille du complexe chenal-levées, et peut être identifiée sur le critère de disparition des levées, qui marque la limite amont de la CLTZ (Figure 41).

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2.3.4 Lobes

On définit généralement le lobe comme un objet unitaire de forme lobée se situant au débouché d’une vallée sous-marine (canyon), d’un complexe chenal-levées, ou en aval de la CLTZ. Le lobe est une zone de dépôt important à la terminaison du système turbidique.

Il est caractérisé par une forme lobée d’épaisseur variable, d’extension pouvant atteindre plusieurs centaines de kilomètres dans le cas des systèmes les plus importants (système du Zaïre ; Babonneau, 2002). La taille des lobes est fonction de la morphologie du bassin, de sa taille, et du volume de sédiments apporté par les courants turbulents. Les lobes représentent la zone la plus distale d’accumulation de sables dans le bassin.

La définition des lobes comme dépôts unitaires correspondant au lieu d’épandage terminal des dépôts gravitaires est à nuancer. L’architecture de ces lobes est plus complexe, et correspond à des édifices sédimentaires alimentés et construits autour de petits chenaux, empilés suivant le principe de compensation, comme le montre la Figure 42 illustrant les différentes phases de construction du lobe terminal du Zaïre (Babonneau, 2002).

Les dépôts associés aux lobes varient de sables très grossiers à graviers dans la partie la plus proximale des lobes (e.g., dans les chenaux d’alimentation des lobes), puis de sables plus fins (sables moyens à fins) à l’embouchure des chenaux distributaires, jusqu’à des silts et argiles dans la partie distale des lobes.

Figure 41: A- Morphologie de la CLTZ et distribution spatiale des éléments d’érosion et de dépôts (Wynn et al., 2002) ; B- Coupe longitudinale le long de la CLTZ (Wynn et al., 2002).

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Figure 42: Mozaïque d’images de sondeur multi-faisceau montrant les lobes terminaux du système turbiditique du Zaïre (modifié d’après Babonneau, 2002).