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Généralités sur les systèmes turbiditiques

2.2 Sédimentation gravitaire en milieu profond

2.2.1 Les écoulements gravitaires

Les processus gravitaires sont les processus dominants dans les milieux marins profonds, et se caractérisent par l’ensemble des processus permettant de transporter des particules sédimentaires dans le domaine marin profond, dominés par l’action de la gravité. Ces processus gravitaires du plateau continental à la plaine abyssale (Middleton & Hampton, 1973) ont été regroupés suivant trois catégories en fonction du type d’écoulement et du mode de transport des particules (Figure 31) :

- Les écoulements purement gravitaires au sein desquels le transport se fait uniquement par glissement, sous l’unique action de la gravité (transport en masse) ;

- Les écoulements laminaires (ou plastiques), caractérisés par des concentrations élevées dans lequel les différents composants permettent le support des particules ;

- Les écoulements turbulents, qui impliquent une composante verticale de la vitesse pour assurer le maintien des particules au sein de l’écoulement.

La figure 2.3 illustre les différents processus et leurs interactions qui influencent et contrôlent le transport des particules du plateau continental à la plaine abyssale.

Figure 30 : Organisation d’un éventail sous-marin profond (modifié d’après Shanmugam & Moiola, 1988).

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Figure 31: Bloc diagramme montrant les différents processus présents dans les systèmes marins profonds (Stow et al., 2000).

2.2.1.1 Transport en masse

Le transport en masse de sédiments correspond à des déplacements de volumes de sédiments homogènes le long de plans de cisaillement, avec peu de déformation interne. Les déformations induites dépendent de la durée du phénomène de glissement, et peuvent être considérées selon trois catégories :

- Le fluage, qui correspond à une déformation lente et implique une déformation de taille relativement modeste qui n’implique pas l’apparition de fractures ;

- Les glissements (« slide » et « slumps », qui sont caractérisés par le déplacement des sédiments semi-consolidés le long d’un plan de cisaillement, et qui n’engendrent que très peu de déformation au sein des couches impliqués. Les « slides » et les « slumps » ont des déplacements relativement limités dans l’espace. Ce type de transport nécessite une inclinaison de pente relativement importante, et caractérisent dans la grande majorité des cas de dépôts de haut de pente continentale (Shanmugam et al., 1994).

2.2.1.2 Ecoulements laminaires

Les écoulements laminaires sont caractérisés par une rhéologie plastique et une concentration élevée de particules qui permet leur cohésion dans l’écoulement. Les mécanismes de support des particules sont multiples, tels que la rigidité de la matrice due à la cohésion des particules en mouvement, les forces de friction, les forces de flottabilité généralement liées à la présence d’argile, et la pression de dispersion liée aux collisions inter-particulaires.

Ces écoulements sont capables de se déplacer sur d’importantes distances, souvent supérieures à la centaine de kilomètres, sans que le gradient de pente soit nécessairement important. Il est possible de localiser ces écoulements de la pente continentale jusque dans le bassin au sein même du système turbiditique.

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La particularité de ces écoulements est leur capacité de transport très importante, qui est due à l’incorporation d’une pellicule d’eau à la base de l’écoulement au fur et à mesure du son déplacement, réduisant les forces de friction avec le substrat et provoquant de l’hydroplanning (Mohrig et al., 1998). En fonction du degré d’incorporation en eau, ces écoulements peuvent être subdivisés en quatre types d’écoulements (Middleton & Hampton, 1973 ; Lowe, 1979):

- Les coulées de débris (debris flow), qui sont des écoulements contenant une grande concentration d’éléments hétérogènes dont le support est assuré par une flottabilité importante liée à une importante fraction fine (argileuse à silteuse), qui assure une grande cohésion de la matrice. Ces coulées se déplacent très rapidement du fait de la réduction des forces de frictions par incorporation d’eau à la base de l’écoulement. L’écoulement s’arrête de façon très rapide lorsque les forces de cisaillement deviennent trop faibles, et le dépôt se produit alors.

- Les coulées de grains (grain flow) correspondent à des écoulements concentrés en grains non-cohésifs, dont le maintien en suspension est assuré par les interactions inter-granulaires (pression de friction et de dispersion). Les particules susceptibles d’être transportées par ce type d’écoulement sont les sables et les silts.

- Les écoulements fluidisés (fluidized flow) sont des écoulements dont la pression exercée par l’eau à l’interface entre l’écoulement et le substrat permet le maintien en suspension des particules présentes dans l’écoulement.

- Les écoulements liquéfiés (liquified flow), correspondent quant à eux à un mélange plus homogène entre les fluides et les particules qui le composent. Le maintien des particules est dans ce cas assuré par la pression des fluides interstitiels qui s’échappent vers le haut.

De manière générale, ces dépôts associés à ce type d’écoulement ne sont pas, ou peu granoclassés du fait de l’absence de décantation des particules les plus fines. Lorsque le granoclassement existe, il est généralement inverse du fait du gradient de vitesse qui augmente vers le haut de l’écoulement, là où la friction avec le substratum est moindre. Un contact très net avec les dépôts sous- et sus-jacents est aussi caractéristique, dû à l’arrêt très rapide de l’écoulement et au dépôt en masse instantanée des particules. Les structures internes de ce type de dépôts sont bien souvent caractérisées par des structures planes et parallèles montrant le caractère laminaire de l’écoulement, avec un alignement d’éléments d’une taille allant jusqu’au galet dans la partie la plus proximale de l’écoulement.

2.2.1.3 Ecoulements turbulents

Contrairement aux écoulements laminaires, les écoulements turbulents sont caractérisés par une rhéologie fluide, et sont dominés par un transport en suspension des particules, qui est assuré par la composante verticale de la turbulence qui pousse les particules vers le haut (Middleton et Hampton, 1973 ; Mulder & Cochonat, 1996). La concentration en particules est bien moindre que dans le cas d’écoulements laminaires, et n’excède pas 9% d’après les travaux de Bagnold (1962).

Deux principaux groupes d’écoulements turbulents ont été établis, en fonction de leur origine et de la continuité du phénomène qui en est à l’origine :

- Les courants alimentés en continu : Ils sont définis comme des écoulements de fluides de densité supérieure au fluide ambiant, et maintenus dans le temps grâce à une alimentation continue. Ces écoulements correspondent aux véritables courants de turbidité, constitués par un front de densité à l’avant, d’un corps allongé qui correspond au courant, et d’une queue diluée. Ces écoulements sont caractérisés par la présence de vortex turbulents en

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leur sommet (Figure 32), qui permet au fluide ambiant d’y être incorporé, et ainsi de diluer l’écoulement

Les courants se déplacent à grande vitesse, plusieurs dizaines de km/h et parcourent plusieurs dizaines de kms. Ils produisent une érosion par aspiration à l'avant puis un dépôt après leur passage. Les plus gros éléments sont déplacés sur le fond par traction, créant ainsi un tapis de traction (traction carpet), les autres particules restent en suspension. Lorsque la vitesse de l’écoulement diminue, et que sa capacité de transport diminue de même, les éléments les plus grossiers se déposent en premier, les particules les plus fines décantent à la fin de l’écoulement, laissant des dépôts grano-décroissants.

Figure 32: Déplacement et structure d’un courant de turbidité. Modifié d’après Pickering et al., 1989.

Les courants hyperpycnaux :

Ces courants sont générés en périodes de crues aux embouchures des fleuves, lorsque la charge sédimentaire portée par l’eau douce du fleuve est suffisamment élevée pour que la densité de l’écoulement soit supérieure à la densité de l’eau de mer, et sont considérés comme des écoulements gravitaires à part entière (Norman & Piper, 1991 ; Mulder & Syvitsky, 1995). Le mélange eau douce/sédiment que constitue le courant hyperpycnal reste sur le fond au débouché de la rivière, et emprunte les réseaux de canyons alimentant les systèmes turbiditiques. Le long de l’écoulement, le courant hyperpycnal incorpore de l’eau de mer, entrainant une chute de la densité de l’écoulement et le dépôt progressif des sédiments transportés.

La vitesse de l’écoulement varie au cours du temps, de façon synchrone à l’intensité de la crue, avec une période de montée en charge, induisant une accélération du courant (waxing flow ; Kneller, 1995) (Figure 33A), suivie d’une période de décrue ou le courant décélère progressivement (waning flow ; Kneller, 1995), de la même façon qu’un courant de turbidité (Figure 33B). Les dépôts associés aux courants hyperpycnaux présentent à la base un granoclassement inverse dans du matériel grossier, surmonté d’un granoclassement normal, très similaire aux dépôts provoqués par les courants de turbidité.

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Figure 33: Schéma conceptuel d’évolution des courants hyperpycnaux en période de crue (A), et en période de décrue (B), (modifié d’après Girard et al., 2012).

- Les courants non-alimentés en continu, associés à des phénomènes

catastrophiques :

Ces écoulements discontinus alimentés par des phénomènes catastrophiques, le plus souvent associés à des instabilités survenant à différentes échelles sur la pente continentale, sont généralement classés selon la densité et la concentration de l’écoulement (Figure 34). Ces phénomènes, d’une durée de vie limitée (quelques heures à quelques jours), et impliquant des volumes de sédiments limités (Middleton, 1967), sont communément considérés comme des bouffées turbides.

Figure 34: Evolution des processus gravitaires le long d’un profil de dépôt en domaine marin profond (Shanmugam, 2012)

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Ces bouffées turbides ne sont pas alimentées par l’arrière (Ravenne & Beghin, 1983) comme le peuvent être les courants de turbidité, et l’injection de matériel est instantanée. De fait, la structure de ces écoulements est moins nette, la tête et le corps moins bien différenciés, avec de plus rares vortex au sommet de l’écoulement. On peut distinguer des courants de basse densité et de haute densité, en fonction de la concentration de ces écoulements en particules sédimentaires (Lowe, 1982) :

- Les écoulements de basse densité, résultent d’instabilité de petite taille provoquée par la déstabilisation de sédiments sur la pente continentale, ou sur les parois des canyons.

- Les écoulements de haute densité sont provoqués par des arrachements et des glissements survenant à grande échelle, se transformant progressivement à la faveur de l’incorporation progressive de fluide dans l’écoulement par les vortex (Figure 34).

La transformation de ces sédiments glissés en courants de haute densité se fait généralement grâce au passage de l’écoulement d’un état supercritique à un état subcritique par ressaut hydraulique, provoqué par un déconfinement brutal de l’écoulement, ou d’une rupture de pente. Ce passage d’un état hydraulique à l’autre est accompagné par une décélération de l’écoulement provoquant une perte de charge qui se traduit par le dépôt des sédiments les plus grossiers, et une forte turbulence (Garcia & Parker, 1989 ; Mulder & Alexander, 2001 ; Baas et al., 2004 ; Migeon et al., 2012).

Les courants de haute densité sont constitués par une partie basale laminaire, et une partie sommitale turbulente (Figure 35) (Postma, 1988 ; Shanmugam, 1996 ; Mulder et al., 1997). La partie laminaire de l’écoulement est caractérisée par une « traction carpet » (Lowe, 1982), correspondant aux forces de cisaillement, qui diminuant vers le haut, génère la formation d’un granoclassement inverse à la base de l’écoulement très concentré.