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3. La réparation de l’ADN

3.6. Les polymérases translésionnelles (TLS)

3.6.3. Efficacité des agents cytotoxiques et TLS

Les principales polymérases impliquées dans la réparation des ICLs induits par le cisplatine sont Polζ et Rev1, alors que Polκ semble avoir un rôle significatif mais plus faible (Enoiu et al., 2012) et indépendant de la réplication (prioritairement en phases G0/G1) (Williams et al., 2012). La chimiothérapie sélectionne les cellules résistantes et favorise la synthèse translésionnelle, conduisant à la formation de mutations, à leur tour impliquées dans la résistance. L’inhibition de REV1 et REV3 augmente la sensibilité au cisplatine par diminution de la résistance acquise. Les polymérases translésionnelles peuvent apparaître comme des prédicteurs de l’efficacité de certains traitements (Xie et al., 2010). Il a été mis en

évidence que Polκ est impliquée dans la protection des neurones périphériques, non protégés par la barrière hématoencéphalique des lésions engendrées par les chimiothérapies à base de sels de platine. L’expression de Polκ est beaucoup plus importante au niveau de ces neurones suggérant son rôle majeurs dans l’atténuation des effets secondaires neurotoxiques, par exemple du cisplatine (Zhuo et al., 2017). Polη a également été impliquée dans la réparation des dommages induits par le cisplatine, les cellules déficientes sont plus sensibles, même si cette sensibilité est moins prononcée que dans les cellules déficientes en Rev1 (Zhao et al., 2012).

Polκ est surexprimée dans les cellules de glioblastome et les tissus tumoraux après une exposition au témozolomide, autre agent anticancéreux. La surexpression de Polκ au sein de cellules sensibles confère une résistance au témozolomide, alors que son inhibition sensibilise les cellules résistantes. D’un point de vue mécanistique, il semblerait que la déplétion de Polκ perturbe la réparation par recombinaison homologue et la reprise des fourches de réplication bloquées. Cela affecte la signalisation ATR-Chk1, retarde la reprise du cycle cellulaire, expliquant l’augmentation de sensibilité (Peng et al., 2016). La monoubiquitinylation du facteur PCNA favorise l’échange entre une polymérase réplicative et la polymérase translésionnelle Polη, dans le dépassement des lésions induites par les UV, au cours de la réplication. Le stress oxydatif entraîne la monoubiquitinylation du facteur PCNA permettant le recrutement de Polη au niveau des sites de dommage oxydatif grâce à ses sites de liaison au PCNA et à l’ubiquitine. Il a été démontré que la présence du complexe MutSα est indispensable, à cette voie alternative de réponse aux dommages oxydatifs qui coordonne le retrait de ces lésions, permettantd’expliquer les forts taux de lésions oxydatives au sein des cellules MSH2 déficientes (Zlatanou et al., 2011).

Polκ est capable d’insérer une cytosine face à un adduit volumineux formé sur une guanine par le Benzo[a]pyrène (B[a]P). Ce mécanisme de synthèse translésionnelle permet d’assurer une réplication fidèle d’un adduit volumineux sans mésappariement ou perte d’alignement. Polκ stabilise l’ADN lésé dans une conformation d’ADN B ce qui permet l’insertion du nucléotide correct en face de la lésion (Jha et al., 2016b). Polκ est importante dans la réponse cellulaire aux dommages induits également par les UV et les agents alkylants, comme le méthanesulfonate de méthyle (MMS). Les cellules qui présentent des mutations de Polκ deviennent hypersensibles au MMS, mais non au BPDE et aux UV. Polκ et η semblent redondantes dans la prise en charge des lésions induites par le MMS. Polκ exerce un rôle protecteur contre la cytotoxicité induite par le méthylnitrosourée (MNU), indépendamment de la monoubiquitinylation de PCNA et sans engendrer un grand nombre de mutations (Wit et

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al., 2015). La diminution d’expression de Polκ entraîne un retard sévère dans la survenue d’une seconde mitose car les lésions O6-MG ne peuvent pas être dépassées. Polκ protège partiellement les cellules de la cytotoxicité des lésions O6-MG, dépendante du système MMR, en restaurant l’intégrité des duplexes par l’insertion d’une cytosine face à la guanine méthylée (Lupari et al., 2012). Les polymérases translésionnelles permettent la tolérance des dommages en étant capables d’assurer la réplication de l’ADN au-delà des lésions induites par des molécules cytotoxiques. Elles diminuent ainsi la sensibilité des cellules à de nombreuses molécules qui pourraient s’avérer beaucoup plus toxiques si elles n’étaient pas tolérées et que la réponse aux dommages de l’ADN était correctement activée (Zafar and Eoff, 2017).

La résistance et les récidives tumorales sont des phénomènes fréquemment observés au cours des traitements par chimiothérapies anticancéreuses à base d’agents alkylants. Ces limitations pourraient être en partie dues aux mutations induites par la prise en charge des lésions alkylantes de l’ADN par les TLS. Les thymidines alkylées persistent souvent dans les tissus, ce qui peut inhiber la réplication et induire des transitions nucléotidiques de type T>C, sources de mutations. Une déficience de Polη ou ζ entraîne une diminution importante de la capacité à dépasser ces lésions. De plus, Polκ et ι n’exerçent pas de fonctions redondantes aux deux autres dans la prise en charge de ces dommages. (Wu et al., 2016).

3.6.4. Régulation d’expression

Ces polymérases sont relativement peu exprimées, notamment au sein des organes à faible renouvellement cellulaire (Velasco-Miguel et al., 2003). Leur expression varie peu au cours du cycle cellulaire, mis à part Polη qui serait plus exprimée en phases G2/M (Diamant et al., 2012). Concernant la régulation transcriptionnelle de ces polymérases, des sites de liaison du facteur de transcription Sp1, notamment impliqué dans la régulation d’expression de plusieurs gènes du système MMR (Beishline and Azizkhan-Clifford, 2015), ont été identifiés dans les séquences promotrices de POLK, POLI et POLH (Lemée et al., 2007; Qi et al., 2012; Zhou et al., 2012) (Figure 25). Des mutations d’un élément de liaison CREB ou de sites de liaison Sp1 entraînent une diminution de l’activité du promoteur POLK (Lemée et al., 2007). Un site Sp1 a également été mis en évidence en position +60 du gène POLK permettant d’expliquer l’activation de son expression en réponse au BPDE (Benzo[a]pyrène-Diol-Epoxide) (Zhu et al., 2012). Une augmentation de l’expression (ARNm et protéine) de POLH sous le contrôle de p53 a été mise en évidence après exposition aux radiations ionisantes et à la camptothécine, mais pas aux UV (Liu and Chen, 2006). L’effet de p53 sur l’expression de

POLK n’est pas aussi évident. Des études rapportent que l’expression de POLK est stimulée

par p53 dans les cellules murines, alors qu’elle ne semble pas affectée dans les cellules humaines (Velasco-Miguel et al., 2003) ou alors diminuée (Wang et al., 2004). L’activation du promoteur POLK apparaît cependant plus importante dans un contexte de cellules

TP53KO, la fixation de p53 pouvant empêcher la fixation de Sp1.

Figure 25 Facteurs impliqués dans la régulation d’expression des polymérases

(Barnes and Eckert, 2017)

D’autre part, un traitement avec la trichostatine A (TSA) induit une augmentation de cinq fois de l’expression de POLK suggérant que le statut d’acétylation des histones participe à la régulation d’expression de cette enzyme (Lemée et al., 2007).

Le miR20, dont un site de fixation a été déterminé en 3’-UTR (Unstranslated Region) de

POLK (Guo et al., 2016), semble également impliqué dans la régulation de son expression. POLK est surexprimé dans certains cancers, notamment du poumon, de l’ovaire et de la

prostate (Velculescu et al., 1995).

L’hypothèse d’effets mutagènes potentiels d’une surexpression transitoire ou permanente de POLK a été confirmée dans les cellules humaines surexprimant POLK, où elle semble être redirigée vers les fourches de réplication et interférer avec la machinerie réplicative normale, supportant le concept de réplisome tumoral (Bergoglio et al., 2002; Hoffmann and Cazaux, 2010). Cependant POLK est également sous-exprimée dans d’autres cancers, tels que les cancers du sein, de l’estomac et du côlon (Pillaire et al., 2010). Cela est en partie expliqué par les expressions diminuées de CREB et Sp1 dans ces cancers. Les fonctions de Polκ décrites précédemment suggèrent qu’une perte d’expression de Polk peut contribuer à l’instabilité génétique et à la progression tumorale par des mécanismes différents de ceux observés lors de la surexpression.

Les gènes POLH, POLI et POLK sont tous trois induits par les dommages alkylants de l’ADN. Un traitement au MNNG induit l’expression de POLH au travers d’une voie dépendante du facteur IRF1 (Interferon Regulatory Factor 1) et de POLI d’une manière dépendante de Sp1 (Zhu et al., 2010). Une exposition au MNNG est également responsable de

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l’activation de la sous-unité REV3 de la polymérase translésionnelle Polζ et la région impliquée dans cette induction contient des sites de liaison pour CREB, NF-κB et AP-2 (Yu et al., 2004).