3. Le fractionnement dépendant de la masse des isotopes du tungstène dans
3.2. Echantillons analysés
Nous avons sélectionné et analysé 15 chondrites, 8 météorites de fer et 2 eucrites.
Ces échantillons et leurs principales caractéristiques sont présentés ci-après.
3.2.1. Chondrites
Les chondrites présentent une grande diversité de types pétrographiques, du type 1
- les plus altérées, au type 6 (ou 7 selon les auteurs, Figure 1.11) – les plus
métamorphisées, et nous avons souhaité analyser des échantillons couvrant la totalité
de cette gamme pour tester la variabilité isotopique. Ainsi, nous avons analysé des
Chondrites carbonées :
De façon à évaluer l’effet de l’altération sur le fractionnement des isotopes stables
du W dans les chondrites, nous avons sélectionné 7 chondrites carbonées présentant
des degrés d’altération variables, exprimés notamment par leur type pétrographique
variant de 1 à 3.
- Orgueil (CI1) : chute du 14 mai 1864 (France). Cette météorite fait partie du
groupe des CI (échantillon type : Ivuna), considéré comme représentatif de la
composition chimique du système solaire primitif (sauf pour les éléments volatils).
Orgueil est très altérée, présentant de nombreux minéraux secondaires :
serpentine, saponite, ferrihydrite, carbonates, oxydes (Buseck et Hua, 1993;
Tomeoka et Buseck, 1988). Selon Bland et al. (2009), l’altération dans les CI est
isochimique, comme tendrait à le prouver l’absence de fractionnement entre les
différents éléments solubles.
- Murchison (CM2) : chute du 28 septembre 1969 (USA). C’est une chondrite du
groupe des CM (échantillon type : Murray). De composition chimique très
primitive, cette chondrite est aussi très altérée ; elle est notamment très riche en
phyllosilicates. Là encore, l’altération semble isochimique Bland et al. (2009). De
plus, cette chondrite est riche en molécules organiques complexes.
- NWA 6446 (CO3) : trouvaille (Sahara, 2010). Cette chondrite a été très peu
étudiée jusqu’à présent. Notons que les chondrites CO (échantillon type : Ornans),
bien que de type pétrographique 3, présentent encore de nombreux silicates
hydratés (serpentine) et des oxydes de fer (Zolensky et al., 1993). Ces météorites
présentent des traces de circulation de fluide, mais l’amplitude de cette circulation
est considérée comme faible (Keller et Buseck, 1990).
- Allende (CV3) : chute du 8 février
1969 (Mexique). La masse totale
retrouvée très importante (2 tonnes) et
son caractère primitif (peu altérée, peu
métamorphisée) en font une météorite
très étudiée. C’est notamment grâce
aux CAI extraites d’Allende qu’a été
déterminé le rapport
182Hf/
180Hf initial
du système solaire (Burkhardt et al.,
2008, 2012; Kleine et al., 2005a),
pouvant servir de référence pour
l’utilisation du radiochronomètre
182Hf-182
W. Toutefois, il est important de
noter ici que la chondrite d’Allende a
été soumise à des circulations de
fluides sur son corps parent, comme en
témoignent des minéraux secondaires
(pentlandite, magnétite, (Krot et al.,
1998a)). Allende appartient au
sous-groupe des CV oxydées de type A
(CV
oxA, voir encadré 5).
- Axtell (CV3) : trouvaille (USA, 1943). Cette chondrite appartient au même
groupe qu’Allende, avec laquelle elle partage de nombreuses caractéristiques.
Toutefois, elle est plus altérée, présentant par exemple des phyllosilicates (Krot et
al., 1998a, 1998b; Weisberg et al., 1997). Axtell appartient au sous-groupe des CV
oxydées de type B (CV
oxB, voir encadré 5).
- Vigarano (CV3) : chute du 22 janvier 1910 (Italie). Comme Allende et Axtell, c’est
une CV, mais elle présente beaucoup moins de traces d’altération (Lee et al., 1996;
Weisberg et al., 1997), et semble donc plus primitive. Elle est classée comme CV
réduite (CV
red, voir encadré 5).
Classification des CV3
Les chondrites CV3 (échantillon type :
Vigarano) présentent des lithologies très
variées, notamment associées à des degrés
divers d’altération aqueuse. Pour cette
raison, elles ont été classées en 3
sous-groupes : les CV3red, CV3oxA et CV3oxB (Krot et
al., 1998b; Mcsween, 1977; Weisberg et al.,
1997).
CV3red : CV3 « réduites », elles sont riches en
métal, en troilite et en chondres
(matrice/chondres = 0,5 à 0,6). Elles
présentent peu ou pas de minéraux
secondaires et sont donc peu altérées.
CV3oxA : CV3 « oxydées du groupe
d’Allende », elles sont plus riche en matrice
(matrice/chondres = 0,6 à 0,7), plus riches
en fer en en sodium, et présentent
d’évidentes traces d’altération
(phyllosilicates, magnétite, sulfures de Fe et
Ni, awaruite – métal – riche en nickel).
CV3oxB : CV3 « oxydées du groupe de Bali ».
Ces chondrites sont encore plus altérées,
présentent de nombreux minéraux
secondaires (phyllosilicates, magnétite) et
ont un rapport matrice/chondre autour de
0.7 à 1.2.
- NWA 3118 (CV3) : trouvaille (Sahara, 2003). Appartenant aussi au groupe des
CV, le Royal Ontario Museum (Toronto) la classe comme une CV3
red, tout en
précisant qu’elle est plus altérée que Vigarano. Ceci est confirmé par l’étude menée
par Bunch et Wittke (Meteoritical Bulletin #89, 2005) qui ont observé quelques
produits d’altération mineurs et ont noté l’absence de métal dans la matrice.
Chondrites ordinaires :
Parmi les chondrites ordinaires, nous avons sélectionné 8 chondrites de type H,
considérées aujourd’hui comme provenant d’un même corps parent (ex : Monnereau et
al., 2013). Elles présentent des types pétrographiques différents, caractérisés chacun par
un assemblage minéralogique particulier. Il est aujourd’hui admis que ces différents
types pétrographiques sont liés à des degrés de métamorphisme variables. Ces
chondrites sont reportées dans le Tableau 3.1, des moins métamorphisées aux plus
métamorphisées.
Tableau 3.1 : Chondrites ordinaires des type H analysées dans notre étude.
Chondrite Type pétrographique Chute/trouvaille
Dimmit H3.7 trouvaille (USA, 1942)
Dhajala H3.8 chute du 28 janvier 1976 (Inde)
Ste Marguerite H4 chute du 8 juin 1962 (France)
Villedieu H4 trouvaille (France, 1890)
Nadiabondi H5 chute du 27 juillet 1956 (Burkina Faso)
Pultusk H5 chute du 30 janvier 1868 (Pologne)
Kernouvé H6 chute du 22 mai 1869 (France)
Estacado H6 trouvaille (USA, 1883)
L’étude de cette série d’échantillons nous permettra d’étudier l’effet du
métamorphisme sur le fractionnement des isotopes stables du W.
3.2.2. Météorites de fer
Les météorites de fer présentent elles-aussi un intérêt certain dans l’étude du
fractionnement des isotopes stables du W. En effet, l’affinité du W avec le métal (il est
modérément sidérophile) implique qu’il a été largement affecté par les réactions
d’équilibration entre métal et silicates. L’étude des météorites de fer pourrait
permettre d’évaluer si la différenciation métal-silicates fractionne les isotopes stables
Les météorites de fer sont classées selon deux grands groupes : on distingue les
météorites dites magmatiques des météorites dites non-magmatiques. Les météorites
magmatiques sont issues de la cristallisation fractionnée d’un liquide riche en métal
lors de la différenciation d’un planétésimal (Haack et Scott, 1993; Jones et Malvin, 1990;
Wasson et Kallemeyn, 2002; Wasson et Richardson, 2001). Les météorites
non-magmatiques, quant à elles, sont généralement considérées comme issues de liquides
générés lors d’impacts (Choi et al., 1995; Wasson et al., 1980; Wlotzka et Jarosewich,
1977) ou encore comme issues de cristallisation fractionnée dans de petits corps
incomplètement différenciés (Benedix et al., 2000; Kracher, 1982, 1985; McCoy et al.,
1993). Dans cette étude, nous avons étudié 5 météorites magmatiques et 3 météorites
non magmatiques (Tableau 3.2).
Tableau 3.2 : Météorites de fer analysées dans notre étude.
Météorites magmatiques Météorites non-magmatiques
Nom Groupe Nom Groupe
Grant IIIAB Mundrabilla IIICD
Gibeon IVA Toluca IAB
Muonionalusta IVA Seymchan IIE
Duel Hill IVA
Tawallah Valley IVB
3.2.3. Eucrites
De façon à étudier la partie silicatée d’un astéroïde différencié, nous avons aussi
analysé 2 eucrites : Juvinas et Bouvante. Ce sont deux brèches monomictes de matériel
basaltique (Christophe Michel-Lévy et al., 1980, 1987). Toutes deux présentent en
majorité des assemblages de pigeonite (pyroxène) et de plagioclase. Juvinas présente
des cristaux de dimensions hétérogènes, une structure peu compacte. Cette eucrite est
considérée comme appartenant au groupe principal des eucrites (Main Group Eucrites,
(Mittlefehldt et al., 1999)), considéré comme représentant un liquide primaire ou
résiduel (Mittlefehldt et al., 1999). Bouvante, au contraire, présente de petits grains de
dimensions homogènes, et sa structure est relativement compacte. Elle appartient à la
série « de Stannern », plus riche en alcalins et en lithophiles incompatibles. Bouvante
est considérée comme représentant un liquide issu d’un très faible taux de fusion
partielle (Consolmagno et Drake, 1977), car de toutes les eucrites, elle est la plus riche
en incompatibles et notamment en terres rares légères (LREE). Notons ici que le
spectre de terres rares de Bouvante est très fractionné, avec un enrichissement en
LREE, alors que celui de Juvinas est beaucoup plus plat (Figure 3.1).
Figure 3.1 : Spectres de terres rares de Bouvante et Juvinas. Modifié d’après la littérature (Shimizu et Masuda, 1986;
Treiman, 1997).
L’analyse de ces 25 échantillons de météorites nous permettra tout d’abord de
déterminer la gamme des variations observables dans notre système solaire concernant
le fractionnement des isotopes stables du W. Nous nous intéresserons ensuite plus
particulièrement aux résultats obtenus pour les météorites de fer, avant de discuter
plus en détails les chondrites, ordinaires et carbonées.
Dans le document
Isotopes du tungstène - Nouvelles applications à l’étude des processus terrestres et astéroïdaux
(Page 107-112)