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4. Etude du comportement du W lors des processus d’altération

4.4. Résultats et discussions

4.4.5. Comparaison Modèle numérique – Expérience

Dans ce qui suit, je compare les résultats des modélisations analogiques

(expériences de lixiviation en laboratoire) et ceux des modélisations numériques

(PHREEQC).

pH et concentrations

Les pH théoriques (à 110°C) à l’équilibre pour ces expériences sont de 8,2 (série A)

et 8,3 (série B) (Figure 4.17). Les pH réels mesurés dans les séries A et B sont

respectivement compris entre 7,1 et 8,5 et entre 7,6 et 8,7. Les données mesurées et

calculées sont donc en parfait accord, et les variations autour de la valeur théorique

sont à imputer à la précision de l’appareil de mesure.

De la même manière, les concentrations en Mg et Si mesurées pour les séries A et

B sont de l’ordre de 1 à 4 ppm (1000 à 4000 ppb), et les modélisations effectuées à l’aide

de PHREEQC prédisent des concentrations entre 1,7 (B) et 2,4 (A) ppm pour le Mg et

entre 1,5 (B) et 2,0 (A) ppm pour le Si. Les ordres de grandeur des concentrations

théoriques et mesurées sont donc les mêmes (Figure 4.18).

Figure 4.18 : Evolution des concentrations en Mg et en Si théoriques (traits pleins) et mesurés (hexagones) pour les

expériences en système fermé.

Les modélisations numériques sont donc en accord avec les données

expérimentales dans leur ensemble. Les différences entre les valeurs théoriques et les

valeurs mesurées (pH et concentrations) peuvent être expliquées par différents

facteurs. La modélisation numérique a par exemple certaines limites ; nous pouvons

citer : (1) les approximations faites pour les lois de vitesses, (2) le nombre limité de

phases utilisées dans le modèle, (3) le fait que les phases utilisées sont des pôles purs et

non pas des solutions solides. Toutefois, ces écarts entre les valeurs théoriques et les

valeurs expérimentales reflètent aussi certaines sources d’incertitude ou de biais

expérimental : (1) l’erreur associée à l’électrode du pHmètre, (2) les incertitudes liées

aux particules fines qui pourraient être encore en suspension dans le lixiviat après

centrifugation, (3) les prélèvements effectués après refroidissement (2h) de la solution

et (4) les erreurs analytiques et incertitudes sur les dilutions (ce paramètre est minime

par rapport aux premiers). Notons que les écarts observés sont plus grands pour le Si

que pour le Mg, ce qui pourrait être lié à la difficulté de mesurer le Si (élément formant

des complexes volatiles, par exemple en présence d’acide fluorhydrique).

Malgré toutes les sources d’incertitudes, nous noterons que les résultats de la

simulation sont très proches des pH et des concentrations (Mg, Si) mesurés dans les

expériences en système fermé (Figure 4.17 et Figure 4.18). Très rapidement, le pH

atteint un état stationnaire : ce qui signifie que précipitation et dissolution

s’équilibrent.

Vitesses de dissolution et indices de saturation

En système fermé, et avec de telles surfaces spécifiques (0,52 m

2

.g

-1

pour la dunite),

la dissolution minérale est d’ampleur

significative dans les premières heures

seulement. Dans les simulations que nous avons

réalisées, les minéraux (olivine et pyroxènes) ont

atteint la saturation en solution en 16 à 20

heures et, ensuite, ne se dissolvent plus. En

pratique, il est probable que les vitesses soient

légèrement moins rapides, mais les expériences

en système semi-ouvert (AC et BC) comme en

système fermé (A et B) montrent que le pH et

Indices de saturation :

L’indice de saturation (IS) exprime le

degré de saturation d’un minéral en

solution :

!"=!"#!!

!!

avec Q le produit d’activité ionique de

l’espèce minérale considérée en

solution et K = f(T), la constante de

dissolution de cette dernière. Donc

lorsque IS = 0, la dissolution minérale

est à l’équilibre chimique ; si IS < 1

(resp. > 1) : la solution est

sous-saturée (resp. sur-sous-saturée).

Les indices de saturations calculés pour un certain nombre de minéraux

secondaires (argiles, oxydes, hydroxides, carbonates…) à l’aide de PHREEQC (Tableau

4.10) montrent que la solution théorique obtenue est sursaturée en smectites

(notamment saponite) et en oxydes et hydroxydes de fer (hydroxyde ferrique, hématite

et magnétite), et en serpentines (notamment antigorite) ; par ailleurs, l’indice de

saturation pour l’antigorite est bien supérieur à celui des autres minéraux secondaires

dans les solutions calculées.

Tableau 4.10 : Indices de saturations calculés par PHREEQC pour les minéraux secondaires sursaturés.

Ca-Saponite H-Saponite Mg-Saponite Hématite Antigorite

3,4 2,1 3,6 3,1 89,9

Cela ne signifie pas nécessairement que ces minéraux précipitent effectivement

dans notre système, mais qu’ils sont thermodynamiquement favorisés. Ce constat nous

permet de considérer comme probable l’apparition de minéraux secondaires

(serpentines et/ou smectites et/ou oxydes et hydroxydes de fer) dans notre système.

Une telle précipitation modifierait les équilibres en solution et pourrait déplacer le

système vers la dissolution des minéraux ferro-magnésiens primaires. Toutefois, les

quantités de matière en solution et le temps d’expérience sont trop faibles pour que

l’on puisse isoler ces minéraux et les identifier : les phases précipitées ne sont pas

identifiables par DRX par exemple, car présentes en trop faible quantité.

Modélisation de la précipitation de minéraux secondaires : une première

approche

Une précipitation de phyllosilicates dans le système pourrait expliquer la

diminution de concentration en W au cours du temps dans les expériences en système

fermé. En effet, les phyllosilicates en général, et les serpentines en particulier, sont des

minéraux avec une très grande surface spécifique – à titre d’exemple la serpentine

présente une surface spécifique de 8 m

2

.g

-1

(Maroto-Valer et al., 2003) et une capacité

d’échange cationique variable (importante pour les argiles, faible pour la serpentine et

le talc). On peut donc envisager que le tungstène s’y adsorbe. Il est assez difficile de

modéliser la précipitation de phyllosilicates (ex : Coppin et al., 2002; Tertre et al.,

2005) : les lois cinétiques de précipitation de ces minéraux dépendent des phénomènes

de nucléation, mais aussi de la surface de phyllosilicates disponible . En effet, la vitesse

de précipitation sera augmentée si les précurseurs (complexes activés selon la théorie

de l’état de transition, (Laidler et King, 1983)) des phases minérales ont une grande

surface sur laquelle réagir.

Dans notre cas, l’absence d’Al en solution permet d’écarter la formation de

minéraux argileux.

Dans ce qui suit, nous avons simplifié le problème en faisant un certain nombre

d’approximations. Pour commencer, nous avons limité les phases secondaires pouvant

précipiter en ne considérant qu’une serpentine (antigorite). En effet, cette phase est

très sursaturée dans les solutions expérimentales (cf. calculs des IS, encadré 6).

La loi de vitesse de précipitation utilisée se présente sous une forme similaire à

celles utilisées pour la dissolution (Lasaga, 1984) :

!!!" =!! !!!

!

(1−Ω)

Dans cette loi, !!!" est la vitesse de précipitation [mol.s

-1

], !!

!

est l’activité du

proton et n est l’ordre de la réaction par rapport au proton, Ω est le taux de saturation

de la phase en solution. !! est une constante de vitesse [mol.s

-1

] : un taux de

précipitation ! [mol.cm

-2

.s

-1

] multiplié par une surface réactive.

Les constantes de vitesse et ordre de réaction ont été extraits de la littérature. Il

n’existe pas de données précises pour l’antigorite, nous avons donc utilisé celles de la

dissolution d’une autre serpentine : le chrysotile (Bales et Morgan, 1985), pour un pH

de 8 et une température de 26°C. En première approximation, nous considèrerons que

ces données sont proches de celles caractérisant la précipitation de l’antigorite. Nous

avons aussi fixé la surface réactive d’antigorite à 1 m

2

(10 000 cm

2

), qui correspond à

l’ordre de grandeur de la surface réactive de notre échantillon de dunite contenant une

quantité significative d’antigorite. En réalité, il aurait fallu que cette surface soit

dépendante de la masse de phases secondaires précipitées.

Les constantes de la loi de vitesse de dissolution du chrysotile que nous avons

utilisée sont les suivantes (Bales et Morgan, 1985): taux de dissolution surfacique : ! =

10

-15,7

mol.cm

-2

.s

-1

; ordre de réaction par rapport au proton : n = 0,24. L’expression de la

variation de la constante d’équilibre de la réaction de dissolution/précipitation de

l’antigorite en fonction de la température est extraite de l’étude de Gunnarsson et al.

(2005)est la suivante:

log!= 9303

! ! +3.28

Calculs de la spéciation du W en solution

Le W est présent en solution sous forme d’un diacide H

2

WO

4

, partiellement ou

complètement dissocié en HWO

4-

et WO

42-

. Les équations d’équilibre et les constantes

de réactions associées sont les suivantes (Naumov et al., 1974):

!!!!!+ !! = !"!!! log!= 3,67

!"!!!+ !! = !!!!! log! =2,2

Ce script utilise aussi les équilibres de dissolution-précipitation de tungstates de

Ca, Fe ou Mg (respectivement Scheelite, Ferberite, Huanzalaite ; les deux derniers

étant des pôles purs de la Wolframite). Les équations d’équilibre et les constantes de

réactions associées sont les suivantes (Naumov et al., 1974; Polya, 1990) :

!"#!! = !!!!+!!!!! log!= −9,47

!"#!! = !"!!+!!!!! log!= −6,3

!"#!! = !"!!+!!!!! log!= −12,1

Toutefois, comme les concentrations du W en solution sont très faibles (quelques

ppt à quelques dizaines de ppt), aucune précipitation de tungstates de Ca, Fe ou Mg

n’est observé ni calculé.

Nous avons ajouté ces équations dans un script PHREEQC (l’Annexe 3 présente le

script pour la spéciation du W dans A10) pour étudier la spéciation du W dans nos

expériences analogiques. Les résultats obtenus à 110°C sont identiques à ceux prédits

par le diagramme de Pourbaix (Figure 4.1) : a des pH entre 8 et 9 et pour des

concentrations en solution de quelques dizaines de ppt, la totalité du W est sous la

forme WO

42-

(la concentration en HWO

4-

est 4 ordres de grandeur plus faible).

Comportement du W vis-à-vis des phases secondaires

De façon à estimer la quantité de W réellement mise en solution lors de la

dissolution des olivines et pyroxènes, nous avons estimé les concentrations en W dans

ces deux phases [W]

ol

et [W]

px

. Pour cela, nous avons utilisé un coefficient de partage

entre olivines et pyroxènes dans un système magmatique : D

ol-px

≈ 0,5 (Shearer et

Righter, 2003) et les quantités (Ab) d’olivine et de pyroxène dans la roche.

Nous obtenons donc un système d’équation :

!!"!!" = ! !"

! !"

! !"#$%& = !!!" ! !"+!!!" ! !"

Pour résoudre ce système, nous utiliserons donc les valeurs suivantes :

! !"#$%& =73!!"

!!!" =90%

!!!" =10%

Une bonne estimation des concentrations en W dans les olivines et les pyroxènes

est donc :

! !" =66!!"

! !" = 133!!"

Grace au modèle PHREEQC qui nous a permis d’estimer la masse (PHREEQC

calcule une quantité de matière, en moles) d’olivine et de pyroxène dissout, nous avons

pu calculer la quantité de W (!!!) passé en solution lors de la dissolution dans chaque

cas :

maximale mesurée en solution à j

max

(le jour pour lequel la concentration en W est

maximale, au début de l’expérience, en faisant l’hypothèse qu’aucune coprécipitation

ou adsorption n’a encore eu lieu à ce stade) : ! !! j!"# = ! !"# j!"# .

En effectuant ce calcul de la quantité de W totale passée en solution, nous avons

donc pu estimer la quantité de W (W

ads

) adsorbé sur et/ou coprécipité avec les phases

secondaires.

Pour cela, nous soustrayons la quantité de W mesurée (W

mes

) de la quantité de W

théorique (W

th

), c’est-à-dire celle qui aurait dû être mesurée si aucune adsorption ou

coprécipitation (donc aucun puits de W) n’avait d’influence sur les concentrations en

W en solution :

!!"# =!!!−!!"#

Nous avons reporté cette fraction adsorbée/coprécipitée en fonction de la quantité

de minéraux secondaires précipités (Figure 4.19). La figure montre que l’antigorite

commence à précipiter avant que la diminution de la concentration du W en solution

puisse être observée. Après quelques jours, entre les jours 2 et 5 en fonction du pH, la

quantité de W qui sort du système ‘phase liquide’ tend à varier de façon

proportionnelle avec la quantité d’antigorite précipitée. En conséquence, nous

proposons que le mécanisme qui contrôle la quantité de W en solution soit un

mécanisme d’adsorption plutôt que de coprécipitation. Dans le cas d’une

coprécipitation, nous nous attendons à ce que la quantité de W coprécipité soit une

fonction linéaire, d’ordonnée à l’origine nulle.

Figure 4.19 : Quantité de W adsorbé/coprécipité en fonction de la quantité d’antigorite précipitée dans le système.