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Chapitre II Gestion de Flux par Systèmes Multiagents : Application en Epidémiologie

I. Echanges dans les Systèmes

Dans le Chapitre I, nous avons abordé les notions concernant les systèmes complexes et la nécessité de distribuer l’information pour mieux appréhender ces systèmes. Nous avons également remarqué que la plupart des systèmes qui nous entourent, regroupent un nombre important d’entités en interaction. Cette propriété est l’un des critères récursivement retenus pour les classer dans la catégorie des systèmes complexes ; cette caractéristique conditionne d’ailleurs souvent l’approche choisie pour les modéliser alors qu’elle n’est pas nécessaire à leur définition.

Nombre de modèles linéaires sont utilisés pour représenter divers systèmes. Alors pourquoi utiliser des méthodes distribuées, utilisant parfois des principes non linéaires2 souvent plus compliquées à mettre en œuvre, pour modéliser les systèmes naturels ? Nous allons voir qu’il s’agit avant tout de la manière d’envisager les échanges qui s’y déroulent.

De fait, le principe de causalité est au cœur de l'approche linéaire. C'est lui qui rend les systèmes prévisibles. Toute action sur le système induit une réaction plausible. Les mêmes causes produisent les mêmes effets et des causes voisines produisent des effets voisins. Si les conditions initiales d’un système sont établies et si sa dynamique est bien connue, il est relativement facile de prévoir son état futur. Il est alors possible d'exercer une action précise pour obtenir un effet désiré. Bien sûr, l’approche linéaire utilisée dans la modélisation des systèmes n'est pas aussi simple et des équations mathématiques, aussi variées que nombreuses, ont été développées pour tenir compte des multiples facteurs qui influencent les systèmes naturels.

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Nous nommons ici effets non linéaires, des effets qui ne se produisent pas de façon directement proportionnelle à l'action. C'est le cas de la plupart des effets du monde réel, et la raison de la difficulté à reproduire fidèlement des informations par des techniques analogiques.

8 7 | P a g e Cependant, comme le dit Prigogine, l’approche non-linéaire est « la fin de ces certitudes » (Prigogine, 1996).

Un système fermé représente un système isolé, constitué d’un nombre plus ou moins important de corps en interaction. Bien que nous ayons vu qu’un système fermé n’a pas une signification vraiment réaliste car nous ne pouvons considérer qu’un système soit totalement isolé, ce type de systèmes montre bien à quel point les interactions sont importantes. En effet, certains scientifiques étaient convaincus que toute perturbation d'un tel système ne pouvait provenir que de propriétés exogènes.

Pourtant, dès la fin du XIXe

siècle, le mathématicien français Henri Poincaré fit une découverte déconcertante : dans un système fermé, en passant simplement de deux à trois corps (en l’occurrence, en tenant compte de l'influence du Soleil sur le système Terre-Lune), les équations de Newton deviennent insolubles. Pour des raisons mathématiques, leur solution nécessite une série d'approximations pour «cerner» une réponse. Jusqu'à Poincaré, ces considérations à la base de la théorie du chaos avaient toujours été considérées comme une conséquence de perturbations provenant de l'extérieur ; désormais, il apparait qu'un système même « enfermé dans une boîte étanche » peut développer ses propres instabilités en particulier à cause des rétroactions entre ses composantes.

En effet, dans un système, une rétroaction négative opère une régulation tandis qu’une rétroaction positive effectue davantage une amplification. Ces phénomènes non linéaires sont une des clés de la compréhension du comportement des systèmes complexes. Des choses sans importance apparente peuvent avoir une influence immense, car de petits effets peuvent être amplifiés et vice-versa sous la contrainte des divers interactions entre les entités du système.

Nous envisageons alors l’étude des systèmes naturels comme l’étude de systèmes complexes de par le fait que nous considérons les interactions entre les participants à leur évolution comme étant non triviales (Huston, DeAngelis, & Post, 1988). Chaque entité peut interagir à tout moment avec une autre de façon unique, induisant une réponse unique ainsi qu’une répercussion originale sur l’avenir du système.

8 8 | P a g e Les échanges ayant lieux dans les systèmes étudiés sont donc primordiaux ; ils représentent souvent l’objet de l’étude en question et la justification de l’utilisation de méthodes distribuées comme les systèmes multiagents pour leur modélisation.

Comme nous l’avons remarqué au chapitre précédent, ces interactions sont l’occasion de communications entre les entités concernées. Différents éléments sont échangés à distance ou lors de contacts entre les individus autant qu’avec l’environnement. Ces données peuvent être tout simplement des informations sur l’état du système à un endroit et à un moment donné mais peuvent aussi prendre une forme plus concrète (nourriture, phéromones, etc…) comme dans le cas des insectes sociaux par exemple. Nous pouvons alors imaginer que ces données représentent également des entités pathogènes dans le cas de maladies nosocomiales ou encore des fonds monétaires entre acteurs économiques. Dans les cas que nous venons d’énumérer, il existe une séquence continue de données qui est transmise d'un point à un autre d’un réseau de communication. Ces échanges s’apparentent donc à des flux comme ceux qui existent sur les réseaux informatiques.

Le mot flux (du latin fluxus, écoulement) désigne en générale un ensemble d'éléments (informations/données, énergie, matière, etc...) évoluant dans un sens commun. C’est alors l’analyse des flux évoluant dans les systèmes complexes sur laquelle notre étude est portée. En particulier, nous nous sommes attardés sur les flux induits par la propagation d’un parasite dans un écosystème : Cryptosporidium.

Cryptosporidium est un parasite intestinal pouvant être mortel et qu’il est difficile

de combattre efficacement. Aujourd’hui, les techniques de biologie moléculaire permettent d’avancer dans la détection et l’identification des espèces de

Cryptosporidium sur des prélèvements d’origine humaine ou environnementale. Cette

8 9 | P a g e Cependant, il est nécessaire, en parallèle de ces recherches, de progresser dans la compréhension de la circulation du parasite au sein des écosystèmes. Ainsi, l’étude et la limitation des flux de parasites entre les individus d’un système permettent d’enrayer la pandémie3 en limitant le nombre de cas pathologiques susceptibles de transmettre Cryptosporidium.

L’eau joue un rôle majeur dans la propagation et l’apparition des épidémies à

Cryptosporidium. Nous avons donc conçu une simulation informatique permettant de

mieux comprendre la circulation d’un parasite véhiculé par l’eau dans un environnement donné. Nous nous sommes également focalisés sur le rôle des insectes dans la dissémination du parasite. L'informatique représente ici un outil pour aborder la traçabilité d’un tel pathogène dans l’environnement.

L’élaboration d’un modèle bioinformatique de circulation parasitaire permet d’aborder selon divers paramétrages, une simulation des épisodes d’infection auprès des populations d’hôtes (animales ou humaines) fréquentant un écosystème donné. Ainsi, il est possible d’observer et d’agir sur la circulation du flux au travers de scenarii représentant des configurations initiales précises et successives du système permettant de tester sa réaction. Cette suite de scenarii, de mise en situation, est destinée à montrer que la simulation est en accord avec la réalité et permet d’installer une démarche logique afin de valider, par l’observation de l’évolution du système, les hypothèses faites sur les causes majeures de la dissémination du parasite.

La mise en place de ce travail a nécessité la complémentarité de compétences multidisciplinaires et interdisciplinaire nécessitant une collaboration importante entre des groupes de recherche d’horizons différents.

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9 0 | P a g e Nous pouvons citer en particulier le Laboratoire E&S (Environnement et Santé) de la Faculté Libre des Sciences et Technologies de Lille (FLST) qui a apporté le savoir nécessaires pour remplir le rôle du « thématicien » ; leurs compétences en biologie et en épidémiologie ont été associées à celle de l’Institut Pasteur de Lille dans l’objectif d’obtenir les données nécessaires à la réalisation de notre projet.

En ce qui concerne les rôles de modélisateur et d’informaticien, ils ont été assurés essentiellement par deux groupes de recherche : le LAGIS de l’Ecole Centrale de Lille (Laboratoire d’Automatique, Génie Informatique et Signal, UMR CNRS 8146) et par l’Equipe de Recherche en Automatique des Systèmes et Microsystèmes de l’école des Hautes Etudes d’Ingénieur (ERASM-HEI). Nous avons cherché ensemble une façon de représenter, de modéliser la circulation de ce parasite dans un écosystème afin de comprendre comment il se développe sous des contraintes spécifiques et de savoir dans quelle mesure il peut affecter un groupe d’individus selon la façon dont il est introduit.

Etant donné que Cryptosporidium est particulièrement résistant aux méthodes de désinfection traditionnelles, cela doit permettre de saisir les facteurs prédominants agissant dans la contamination des hôtes et la propagation du parasite dans le but de limiter sa prolifération par des moyens autres qu’en le combattant directement.

Dans la suite, nous verrons d’abord quelles sont les spécificités de

Cryptosporidium et quelles sont les informations que les « thématiciens » (i.e. les

biologistes) nous ont procurés sur le parasite afin de pouvoir construire le modèle et choisir les niveaux d’abstraction et de détail associés. Puis, dans la partie suivante, nous étudierons l’élaboration du modèle, sa mise en œuvre et enfin sa validation ainsi que les problèmes que cela comporte.

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