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Utilisation et compréhension des radiochronomètres

II.2. e Les limites de la formulation de Dodson

Cas des espèces diffusant lentement

En 1986, Dodson a étendu son concept de température de fermeture au problème des espèces diffusant lentement. Celles-ci doivent développer un profil de Tf car la rééquilibration du

cœur avec la matrice environnante doit être plus lente qu’à l’interface durant le refroidissement. (Figure I-11). Dodson (1986) rajoute alors comme condition aux limites que le profil en concentration dans un minéral ne doit plus nécessairement être homogène, par contre les échanges par diffusion entre le minéral et le milieu environnant ont dû être suffisamment efficaces pour que la concentration initiale ne soit préservée en aucun point du minéral. Dans ce cas, un âge géochronologique est associé à une température de fermeture pondérée sur l’ensemble du minéral. Cette hypothèse de départ qui rend la Tf indépendante de

To, n’est pas satisfaite pour des espèces diffusant lentement comme les REEs dans les grenats

ou les clinopyroxènes (Ganguly & Tirone, 1999). Par exemple on observe souvent des profils de zonation des cations divalents dans les grenats exhumés de hauts grades métamorphiques,

formés d’un cœur homogène et d’un rééquilibrage limité aux bordures. Pour des taux de refroidissement raisonnables à l’échelle géologique, ce type de profil impose la préservation des compositions d’équilibre du pic métamorphique au cœur des grenats (Lasaga, 1983 ; Duchêne et al., 1998 ; Duchêne & Albarède, 1999).

Figure I-11: Profils de concentration successifs à différentes températures (1-12) durant un refroidissement (D’après Dodson, 1973). L’interface du minéral est à l’équilibre à chaque instant avec la matrice environnante.

L’obtention de profils de concentration de plus en plus convexes est une conséquence d’une homogénéisation de la concentration par diffusion volumique plus lente que les variations de la composition du milieu environnant.

Ganguly et Tirone (1999) ont développé une extension à la formulation de Dodson, considérant un système avec un taux de diffusion arbitraire petit. Leur formulation de la Tf est

fonction de To, température du pic métamorphique, et de M, un facteur géométrique en

rapport avec la dimension des grains. Quand la dépendance de Tf à To est prise en compte, Tf

devient plus petite quand To augmente et quand le taux de refroidissement diminue (Ganguly

et al., 1998 ; Ganguly & Tirone, 1999 ). Pour des grains de petite taille, une température initiale élevée et un taux de refroidissement très bas, les températures de fermeture calculées suivant la formulation de Ganguly et Tirone (1999) vont converger vers celles de Dodson (1973). Si la température initiale à laquelle le minéral s’équilibre est plus basse qu’une température seuil (qui varie en fonction de la taille des grains et du taux de refroidissement), alors la formulation de Dodson (1986) va surestimer la véritable Tf (Ganguly & Tirone,

1999).

Cette formulation surtout valable dans le cas des datations Sm/Nd sur grenats et probablement Lu/Hf, montre donc que pour un refroidissement rapide, l’âge calculé correspondra à l’âge du

pic métamorphique de température. Par contre pour les micas, la diffusion est beaucoup plus rapide, et des zonations d’éléments majeurs sont rarement enregistrés, dans ce cas les hypothèses de la formulation de Dodson (1973) semblent satisfaites.

Il faut noter que le concept de température de fermeture trouve également une application en geothermobarométrie. Ce concept permet de savoir si les températures d’équilibre calculées grâce aux géothermomètres correspondent aux températures du pic métamorphique ou à des températures de refroidissement caractéristiques du trajet rétrograde (e.g. Duchêne et al., 1998 ; Duchêne & Albarède, 1999). Ce qui peut avoir des applications très intéressantes dans la reconstruction de chemins P-T.

Réservoir infini contre réservoir fini

Le concept de température de fermeture énoncé par Dodson (1973) est valide quand un minéral peut se rééquilibrer en permanence avec un réservoir infini. Pour le système Rb/Sr par exemple, un minéral perd du 87Sr* radiogénique en permanence et le cède à un réservoir infini sans en modifier sa composition isotopique, les processus de diffusion ayant lieu tant qu’il existe un gradient chimique ou isotopique dans une roche. Ainsi, dans une roche, les minéraux riches en Sr vont pouvoir jouer le rôle de réservoir infini. Dans d’autres circonstances, un fluide percolant dans une roche évoluant en système ouvert peut jouer le rôle de réservoir infini.

La capacité d’un minéral à agir en tant que réservoir infini va dépendre de sa résistance à une perte ou à un gain en 87Sr (contrôlé par son coefficient de diffusion) et de l’évolution de son rapport 87Sr/86Sr dans le temps (contrôlé par sa concentration initiale en Rb et Sr). Ces paramètres vont définir la quantité de Sr disponible pour l’échange. Une forte concentration en Sr et une forte diffusivité vont tendre à converger vers le modèle du réservoir infini de Dodson. Un bon exemple pour illustrer cet effet est le cas d’une roche bi-minérale (Jenkin et al., 1995) formée exclusivement de feldspath et de biotite. Les feldspaths, très riches en Sr et dépourvus de Rb, vont pouvoir jouer le rôle de réservoir infini par rapport aux biotites ayant un rapport Rb/Sr élevé lors des échanges isotopiques en Sr permettant de maintenir l’équilibre isotopique entre ces deux minéraux jusqu’à la fermeture complète du système. Dans ce cas, on s’aperçoit tout de suite des limitations de ce modèle. Les feldspaths ont une température de fermeture beaucoup plus haute que la biotite (§II.2.d), quand le système passera sous la Tf des

dans l’incapacité de se rééquilibrer isotopiquement jusqu’à leur propre température de fermeture. to tf1 tf2 tf2 tactuel tactuel

Minéral 1 Minéral 2 Minéral 3 87Rb/86Sr 87 Sr/

86 Sr

Tf Minéral2 >Tf Minéral1 >Tf Minéral3

Figure I-12: Diagramme isochrone Rb/Sr schématisant l’évolution de la composition isotopique de trois minéraux d’une même roche évoluant en système fermé. to correspond

au moment de la formation de la roche, tous les minéraux sont à l’équilibre isotopique. A tf1 le minéral 2 passe sous sa température de fermeture Tf et commence à enregistrer le

déséquilibre isotopique. A cet instant toutes les phases du système sont encore à l’équilibre isotopique. A tf2, le système passe sous la température de fermeture du

minéral 1. Le minéral 3 ne pourra donc plus se rééquilibrer isotopiquement n’ayant plus de partenaire d’échange et commencera à enregistrer le déséquilibre isotopique. tactuel

représente la position des différents phases dans le diagramme isochrone à l’actuel. Les trois minéraux ne sont pas alignés sur une même isochrone car ils se sont fermés à différents moments. Seule l’isochrone reliant les points des minéraux 1 et 3 a une signification. L’âge déduit de cette isochrone correspond à la fermeture du minéral 1.

Ce raisonnement est la base du modèle proposé par Giletti (1991) qui propose que la température de fermeture d’un système à deux phases ne correspond pas à la température de fermeture de la phase avec la Tf la plus basse, mais celle de la première phase à se fermer,

dans l’exemple ci-dessus, le feldspath. Pour une roche pluriphasée, Giletti (1991) prévoit donc un fort déséquilibre isotopique entre les différentes phases qui ne se ferment pas au

même moment au cours d’un refroidissement post cristallisation. Il propose que dans ces conditions, seules deux isochrones ont une signification thermique : l’isochrone tracée à partir du point de la roche totale, et du point de la phase qui se ferme en premier et l’isochrone tracé entre les deux dernières phases à se fermer. En effet, la première phase à se fermer est en équilibre à cet instant avec le reste du système. Ensuite chaque phase se ferme enregistrant un rapport initial différent de celui de la roche totale, correspondant à une moyenne pondérée des rapports isotopiques des dernières phases ouvertes à l’échange. Finalement, quand l’avant dernière phase se ferme, elle entraînera forcément la fermeture de la dernière (Figure I-12). Giletti (1991) montre également que l’importance du déséquilibre enregistré sera fonction du taux de refroidissement. En effet, plus le refroidissement sera rapide, moins le déséquilibre sera marqué, le cas extrême étant un refroidissement instantané pour lequel toutes les phases se ferment en même temps.

Jenkin et al. (1995) développent un peu plus le modèle du réservoir fini en considérant un mode de diffusion supplémentaire dans le modèle : la diffusion intergranulaire. Peu de choses sont connues à propos de la diffusion intergranulaire, mais elle est certainement plus rapide de plusieurs ordres de magnitude que la diffusion volumique (Joesten, 1991 ; Eiler et al., 1992 ; Farver & Yund, 1996). Les études ont montré qu’elle concernait les premiers nanomètres de la surface des minéraux (Joesten, 1991 ; Farver et al., 1994). Dans leur modèle, Jenkin et al. (1995), considèrent la diffusion intergranulaire comme instantanée impliquant un équilibre isotopique permanent au contact entre deux minéraux. Ce modèle est très similaire au modèle de « Fast Grain Boundary diffusion » (FGB) proposé par Eiler et al. (1992) pour décrire les échanges isotopiques des isotopes de l’oxygène. Sur les bases de ce modèle, Jenkin et al. (1995) modélisent dans le cas de la roche bi-minérale énoncé plus haut, les effets de la composition modale de cette roche (proportion relative de biotite et de feldspath), de la taille relative des grains de ces deux phases, de la concentration en Sr de chacune de ces phases, et également du taux de refroidissement (Figure I-13). Dans le cadre de leur modèle, ils explicitent le fait que le volume de roche considéré évolue en système fermé, ce qui sous entend l’absence d’un fluide circulant dans la roche. De plus, l’échelle d’hétérogénéité est supérieure à la distance de diffusion, ce qui peut correspondre à un échantillon prélevé dans un affleurement relativement homogène en composition. Cette condition aux limites implique que le flux de perte ou de gain de Sr est à l’équilibre. Ils désignent par Tapp la température

apparente de fermeture du système (la paire biotite-feldspath) différente de la Tf de Dodson

(1973). Il montre que cette Tapp est fortement dépendante du mode de la roche, elle peut varier

La roche évoluant en système fermé est composée de deux minéraux : Minéral 1 : Rb/Sr petit, [Sr] grande, D faible, Tf1 élevée. Minéral 2 : Rb/Sr grand, [Sr] faible, D grand, Tf2 basse.

Cas 1 : Les minéraux 1 et 2 sont en égale proportion : V1 = V2

Cas 2 : la composition modale de la roche est dominée par le minéral 1 : V1>>V2

2

1

Bordure du minéral 1 participant à la diffusion intergranulaire (1-3 nm)

Cas 3 : Les minéraux 1 sont très petits par rapport au minéral 2 : a1<<a2

L’ensemble des bordures de grains du minéral 1 contient suffisamment de Sr pour permettre le rééquilibrage isotopique du minéral 2 jusqu’à sa propre température de fermeture Tf2.

Même effet que dans le cas 2.

T emp ér at ur e d e f er m et ur e appa re nt e du s ys tè m e 1 -2 Température de fermeture du minéral 2- Tf2 Température de fermeture du minéral 1- Tf1 V2/V1 ou a2/a1 0 1

- suivant la quantité de minéral 1 par rapport à 2; - la taille des grains;

- la quantité initiale de Sr disponible dans le système;

→ La Tf apparente du système 1-2 peut varier entre Tf1 et Tf2

1 87Sr / 86S à To Système à l’équilibre isotopique. T1>Tf1 Diffusion intergranulaire et volumique efficace. L’équilibre isotopique est préservé.

T<Tf1

Diffusion bloquée pour le système 1-2.

La diffusion intergranulaire est insuffisante.

1 2 1 2 1 2

distance distance distance

T0 T0 T1 T0 TT2 T3 T4 T5 1 1 1 2 2 2

Implications sur la température de fermeture apparente du système 1-2

Figure I-13 : Illustration du concept de réservoir fini dans le cas d’une roche bi-minérale (d’après Jenkin, 1995).

De plus elle est fonction également de la concentration en Sr des minéraux. Si le minéral qui enregistre le plus fort déséquilibre isotopique (ici la biotite) est très riche en Sr par rapport à l’autre, l’échange sera limité, le réservoir fini étant épuisé. Jenkin et al. (1995) montrent toutefois que la composition modale a beaucoup plus d’importance sur la Tapp que la

composition chimique. Par contre la Tapp est indépendante de la composition en Rb. De la

même façon, ils démontrent clairement l’effet de la taille des grains : plus les grains sont petits, plus le volume intégré de surface de grains est grand, plus la diffusion intergranulaire est efficace. A remarquer qu’ici la taille des grains correspond en fait à la distance de diffusion effective et non à la dimension physique des grains. Cette remarque laisse supposer une influence de la déformation sur la fermeture mais aussi (particulièrement) sur la réouverture des systèmes.

Finalement, ces auteurs obtiennent un modèle de Tapp intermédiaire entre celui de Dodson

(1973) et de Giletti (1991), fonction de la composition modale et de la taille des grains (Figure I-13). Les différences qu’ils observent par rapport au modèle de Giletti (1991) sont liées au fait qu’ils considèrent une diffusion instantanée en bordure de grain, l’ensemble des bordures de grains de feldspath (sur une épaisseur de quelques nanomètres) restant disponible à l’échange même après l’arrêt de la diffusion volumique au sein des feldspaths. Dans le cas où le volume que constitue l’ensemble des bordures de grains de feldspath est très important (quand les feldspaths sont de très petite taille, ou quand la proportion de feldspath est très supérieure à la proportion de biotite (Figure I-13), la diffusion intergranulaire étant extrêmement rapide, l’ensemble des bordures de grain de feldspath peut agir en tant que réservoir infini. Dans ce cas, on revient au modèle de Dodson (1973).

Le concept de réservoir fini associé à de la diffusion intergranulaire a également été appliqué aux éléments majeurs pour une roche composée de clinopyroxènes et de grenats (e.g. Duchêne et al., 1998 ; Duchêne & Albarède, 1999). De la même façon, l’effet de la composition modale et de la taille des grains sur les rééquilibrages chimiques contrôlés par la température est clairement démontré.

Il est intéressant d’utiliser ces observations dans le cas où la roche évolue en système ouvert, lié à la circulation d’un fluide. Il a été dit plus haut que ce fluide pouvait agir en tant que réservoir infini. Cependant, l’échange isotopique entre ce fluide et les minéraux va également être limité par la composition chimique de ce fluide.

Ce modèle peut être élargi aux autres systèmes radiochronologiques, et peut servir de base de raisonnement au cas des roches multiminérales. Jenkin (1997) étend son modèle à une roche composée de feldspaths, biotite et muscovite, et retrouve les mêmes effets critiques de la

composition modale et de la composition chimique sur la température de fermeture. Ces effets sur les Tapp apparaissent néanmoins bien plus complexes car trois phases sont considérées.

Cependant, l’auteur montre clairement que ces Tapp, sont très supérieures aux Tf prévues par

Dodson (1973) quand les différentes phases du système constituent un réservoir fini. Un exemple naturel qui illustre clairement l’intérêt de la formulation du concept de température de fermeture apparente pour un réservoir fini est le cas des granulites de l’arc de Bergen. Pour ces granulites, Burton et al. (1995) montrent que les grenats adjacents aux clinopyroxènes ont enregistrés des âges plus vieux que des grenats adjacents à des plagioclases. Ces observations sont en accord avec le modèle de réservoir fini sachant que les plagioclases diffusent à des températures plus basses que les clinopyroxènes qui eux mêmes diffusent à des températures plus hautes que les grenats (§II.2.d).

D’un point de vue purement qualitatif, on peut essayer de raisonner dans le cas d’une éclogite composée de phengites, omphacites, grenats et épidotes (composition fréquente des éclogites ultrabasiques). Dans un tel système, les phengites sont les minéraux avec le rapport Rb/Sr le plus grand, et avec à priori la capacité de diffuser aux températures les plus basses (§II.2.d). Dans le cas d’un système fermé, les phases jouant le rôle de réservoir fini pour le Sr seront les phases avec la concentration la plus élevée en Sr, dans le cas présent, les omphacites et les épidotes. Ces phases ayant des Tf très supérieures à celle de la phengite, correspondent aux

feldspaths du modèle de Jenkin et al. (1995), et les phengites aux biotites du même modèle. Dans ce cas l’âge obtenu par une isochrone épidote, omphacite, phengite correspondra à une Tapp fonction de la composition modale, de la taille des grains et de la composition chimique

des différentes phases.

Applications

Cette discussion permet déjà de formuler certaines remarques importantes quant à

l’interprétation d’âges isochrones. Ces différents modèles prévoient dans le cas d’un refroidissement relativement lent, un déséquilibre isotopique marqué entre les différentes phases du système, en raison de leurs différentes températures de fermeture. Ce phénomène sera illustré par une dispersion des points dans un diagramme isochrone. A l’opposé, si toutes les phases du système s’alignent sur une même droite contenant le point roche totale, il y a de forte chance pour que l’âge déduit de cette isochrone corresponde à un âge de cristallisation de la roche, situation prédite lors d’un refroidissement très rapide. A ce titre il paraît donc intéressant de tracer des diagrammes isochrones avec le plus de phases possible pour vérifier

cette première situation. De plus, une isochrone à deux points semble donc insuffisante pour élaborer des interprétations sur l’âge obtenu. Une autre alternative est d’essayer de tracer des isochrones pour une même phase minérale (par exemples des micas dans le cas de la méthode Rb/Sr). Dans ce cas, l’âge obtenu correspond à l’âge effectif de fermeture de cette phase (et non à un âge fictif dans le cas où on aligne deux phases qui se sont fermées à un moment différent). Cependant, il reste à savoir à quelle température correspond la fermeture de ce

système : à la température de fermeture (Tf) de la phase considérée pour le système

géochronologique utilisé prévu par la formulation de Dodson, fonction uniquement des paramètres de diffusion, du taux de refroidissement et de la taille des minéraux analysés (cas du réservoir infini), ou à une température de fermeture apparente (Tapp), difficile à estimer,

fonction de paramètres supplémentaires tels que la composition modale de la roche, la taille des grains des différentes phases minérales, et la composition chimique des différentes phases du système (cas d’un réservoir fini).