• Aucun résultat trouvé

Utilisation et compréhension des radiochronomètres

II.3. c Autres cas de déséquilibre isotopiques

Héritages de compositions isotopiques précoces

Il a été montré dans la partie précédente (§ II.2.b) que la recristallisation peut être garante du rééquilibrage isotopique d’un système, tout du moins elle le favorise fortement. Cependant plusieurs études ont montré que même lors de processus de recristallisation, le comportement des systèmes isotopiques reste complexe. En effet, la redistribution des éléments lors de

processus de recristallisation est dépendante du type de réaction minéralogique impliquée. Ainsi, certaines phases minérales vont hériter de la composition isotopique des phases qui ont été détruites pour les former, et un déséquilibre isotopique sera enregistré entre les minéraux néoformés. Cette situation a été clairement mise en évidence dans le cadre de la méthode Sm/Nd. Le rapport Sm/Nd de minéraux secondaires peut être fortement influencé par la composition isotopique des phases originales qui ont été remplacées localement. Par exemple une amphibole formée par déstabilisation d’un grenat, montre un rapport Sm/Nd beaucoup plus fort que les omphacites et les épidotes de la même roche, alors que des amphiboles formées à partir de pyroxènes vont présenter un rapport Sm/Nd plus bas (e.g. Thöni & Jagoutz, 1992 ; Sassi et al., 2000). Mørk et Mearns (1986) ont étudié des gabbros présentant un degré variable d’éclogitisation. Ils montrent que les rapports isotopiques mesurés dans les différentes phases éclogitiques sont fortement fonction de l’histoire réactionnelle au cours du métamorphisme. Un protolithe gabbroïque est composé principalement de plagioclase et d’augite. A partir de ces deux phases, des grenats et omphacites, minéraux caractéristiques de l’assemblage éclogitique, vont cristalliser. Dans ce cas, Mørk et Mearns (1986) montrent que les omphacites vont hériter du rapport 143Nd/144Nd des augites, et les grenats du rapport

143Nd/144Nd des plagioclases (Figure I-15). Les augites et les omphacites ont un rapport

Sm/Nd proche, par conséquent la composition isotopique en Sm/Nd des omphacites nouvellement formées sera similaire à celle des augites magmatiques. Par contre, les grenats qui fractionnent beaucoup le Nd par rapport au Sm en raison de leur plus forte affinité pour les terres rares lourdes par rapport aux terres rares légères auront un rapport Sm/Nd beaucoup plus haut que les plagioclases magmatiques, mais hériteront de leur rapport 143Nd/144Nd bas (Figure I-15). D’un point de vue général, le fait que le grenat fractionne beaucoup le Nd par rapport au Sm, et que son rapport Sm/Nd est très différent des autres phases minérales, il apparaît que le grenat peut hériter de la signature isotopique en Nd de ses précurseurs faiblement radiogéniques comme les plagioclases et les amphiboles (e.g. Griffin & Brueckner, 1985 ; Duchêne, 1993 ; Günther & Jagoutz, 1994 ; Jagoutz, 1995 ; Schmädicke et al., 1995 ; Cliff et al., 1998). Ce phénomène conduit à l’obtention d’âges trop jeunes et sans signification géologique (âge apparent, Figure I-15), mais qui, si mal interprétés, peuvent être interprétés en tant qu’âges de refroidissement (Miller & Thöni, 1997). Dans des cas extrêmes, cet effet peut conduire à l’obtention d’isochrones à pentes négatives (« futurchrones ») entre des omphacites et des grenats (Jagoutz, 1995 ; Miller & Thöni, 1997 ; Luais et al., 2001).

147

Sm/

144

Nd

143

Nd/

144

Nd

t

1

t

1+dt

t

2 Pl Omp Aug Grt

t

app

Figure I-15 : Diagramme isochrone Sm/Nd illustrant schématiquement l’héritage isotopique des phases minérales néoformées en fonction de leur précurseur magmatique lors de l’éclogitisation d’un grabbro (Pl - plagioclase; Grt - grenat; Aug,- augite; Omp - omphacite). t1 correspond au début de l’éclogitisation, t1+dt à la fin de

l’éclogitisation quand le système se ferme à nouveau; t2 à l’âge de l’éclogitisation et

tapp est l’âge apparent donné par l’isochrone omp-grt. Il faut noter que ce modèle

prédit l’obtention d’âges tapp futurs dans le cas où le déséquilibre initial est très

prononcé. Modifié d’après Mørk & Mearns (1986).

Dans ce cas encore, la déformation et les fluides peuvent aider à corriger ces déséquilibres isotopiques en favorisant la mobilité des éléments à une plus grande échelle, ce qui permet une meilleure redistribution isotopique (Mørk & Mearns, 1986 ; Thöni, 2003). Il semble donc que la nature du protolithe ait un effet non négligeable sur le rééquilibrage isotopique à cause des phases présentes initialement et de l’histoire réactionnelle qui va en découler.

L’héritage de composition isotopique a également été observé dans le cas de fusion partielle (e.g. Hammouda et al., 1996 ; Tommasini & Davies, 1997 ). Dans l’exemple de Tommasini & Davies (1997), des batholithes granitiques de la Sierra Nevada ont été intrudés par des filons de trachyandésite, ce qui a provoqué la fusion partielle des granites. Les auteurs montrent dans ce cas que la composition isotopique des liquides magmatiques extraits lors de la fusion partielle est fonction des phases qui ont fondu entraînant un fort déséquilibre isotopique, et précisent que même à HT, le système n’a pas eu le temps de se rééquilibrer isotopiquement.

Incorporation d’inclusions réfractaires

Figure I-16 : Diagramme Sm/Nd vs. Log(1/Nd) où sont représenté les champs monazite, allanite, xenotime, apatite, zircons, grenat - fractions (grenats analysés par les méthodes conventionnelles), grenat - in situ (grenats analysés par la méthode LA-ICPMS). D’après Prince et al. (2000).

La perturbation des rapports isotopiques liée à la présence d’inclusions héritées dans certaines phases minérales, et intégrées lors des mesures isotopiques de ces phases, concerne principalement les grenats et par conséquent les méthodes de datation basées sur leur étude (Sm/Nd, Lu/Hf et U/Pb). Ces effets ont d’abord été discutés théoriquement (e.g. Vance & O’Nions, 1990 ; Vance & Holland, 1993), avant qu’ils ne soient véritablement estimés par modélisation (Zhou & Hensen, 1995 ; Hensen & Zhou, 1995 ; DeWolf et al., 1996 ; Scherer et al., 2000 ; Luais et al., 2001). Certaines phases accessoires sont très riches en REEs (monazite, allanite-épidote, apatite, zircon, etc…) et sont fréquemment présentes en inclusions dans les grenats. La présence de ces inclusions va avoir pour effet de diminuer le rapport Sm/Nd apparent des grenats en apportant une forte composante Nd. Cet effet est particulièrement visible dans un diagramme Sm/Nd vs. Log(1/Nd) où sont compilés un grand nombre d’analyses de grenats et des analyses représentatives de ces phases accessoire (Figure I-16). Dans ce diagramme, on voit très bien qu’une majorité des grenats analysés présentent

une composition intermédiaire entre ces phases accessoires et ce que l’on peut estimer correspondre au pôle pur du grenat d’après des analyses in situ (Prince et a l., 2000). Dans le cas où les grenats et ces phases accessoires sont cogénétiques, la présence de ces phases en inclusion dans les grenats n’altérera pas l’âge isochrone obtenu (Thöni, 2003), et ce d’autant plus, dans le cas où les phases en inclusion se caractérisent par une Tf inférieure à la Tf des

grenats. Dans ce cas la Tf de ces phases sera contrôlée par celle des grenats qui auront un effet

bouclier sur leur diffusion et leur rééquilibrage (e.g. Vance & Holland, 1993).Toutefois, la présence de ces phases en inclusion modifiera les rapports 147Sm/144Nd et 143Nd/144Nd des grenats (Figure I-17).

RT Grt pur Grt riche en inclusions inclusions 147Sm/144Nd 143 Nd/ 144 Nd Grt contenant des inclusions Ligne de mélange Grt-inclusions âge réel

(a)

RT Grt pur Grt riche en inclusions inclusions 147Sm/144Nd 143 Nd/ 144 Nd Grt contenant des inclusions Ligne de mélange Grt-inclusions âge réel âge apparent âge apparent

(b)

Figure I-17: Diagrammes i Sm/Nd schématique montrant l’effet de la présence d’inclusions sur la composition isotopique des grenats (Grt). (a) Cas où les inclusions et les grenats sont cogénétique

ce cas l’âge isochrone obtenu correspond b à l’âge de cette paragenèse. (b) les inclusions sont héritées d’un protol ancien et où elles ne se sont pas rééquilibrées isotopiquement avec les grenats. Dans ce cas l’âge isochrone RT (roche totale)-Grt (a des inclusions) est un âge apparent qui n’a pas de signification géologique, cet âge p être négatif dans certains cas. sochrones s s, dans ien Cas où ithe vec eut

Le problème provient du fait que ces phases, notamment les zircons et les monazites, sont très réfractaires (Sevigny, 1993 ; Watt & Harley, 1993), et sont fréquemment héritées d’un protolithe plus ancien. De plus, de nombreuses études ont montré que les zircons peuvent préserver leur composition isotopique en U/Pb et Sm/Nd à des températures supérieures à 800°C (e.g. Mezger et al., 1992 ; Paterson et al., 1992 ; Hanchar & Miller, 1993), de même pour les monazites pour le Pb (e.g. DeWolf et al., 1993) et le Sm/Nd (températures >700°C ; Zhou & Hensen, 1995). Dans ce cas, les grenats néoformés et certaines des phases accessoires présentes n’auront pas le même rapport initial. Si ces phases sont présentes en inclusions dans

Figure I-18: Modélisation de l’effet de la présence de certains minéraux (zircon, monazite et apatite) en inclusion dans des grenats. Les variations des

rapports interélémentaires (Lu/Hf, Sm/Nd et U/Pb) sont données en fonction du pourcentage en masse d’inclusion dans le grenat. (dans Scherer et al., 2000).

les grenats, elles vont fortement altérer le rapport isotopique en Nd de ceux-ci, et vont avoir tendance à le diminuer (le plus souvent caractérisées par un rapport Sm/Nd beaucoup plus bas que le grenat ; Figure I-17b). Zhou & Hensen (1995) ont montré que même une très faible quantité de monazite en inclusion pouvait changer drastiquement le rapport isotopique du Nd des grenats. Pour une participation de l’ordre de 0.001 à 0.01% de monazite en inclusion, le rapport 143Nd/144Nd apparent des grenats analysés devient très proche de celui des monazites. Ils démontrent le même effet pour des inclusions de zircons, notamment dans le cas de datation U/Pb sur grenats (les zircon amenant une forte composante de Pb radiogénique). Ces effets ont également été démontrés par une approche de modélisation par Scherer et al. (2000) dans le cas des datations Sm/Nd. Ces auteurs montrent que la modification des rapports

147Sm/144Nd et 143Nd/144Nd mesurés est surtout importante dans le cas de participation

d’inclusions de monazites et/ou d’apatites. Ils montrent également les répercussions qu’entraîne la présence de ces phases en inclusions dans les grenats, et particulièrement la présence de zircon sur les datations Lu/Hf (Figure I-18).

Le challenge analytique majeur que représente la présence de ces phases en inclusions dans les grenats est qu’à priori, même en effectuant un tri des plus méticuleux sous la loupe binoculaire pour s’affranchir des fractions de grenats contenant ces inclusions (travail qui peut se révéler fastidieux), il peut toujours rester des inclusions submicroscopiques de couleur claire ou même incolores qui ne pourront être détectées optiquement. Or même une très faible participation d’inclusion peut énormément affecter les rapports isotopiques mesurés pour les grenats. Une alternative qui a été proposée et testée à plusieurs reprises avec plus ou moins de succès est l’utilisation de lessivages chimiques spécifiques avant l’attaque des grenats, visant à éliminer chimiquement ces inclusions (e.g. Zhou & Hensen, 1995, DeWolf et al., 1996 ; Amato et al., 1999 ; Scherer et al., 2000 ; Thöni, 2003). Des lessivages à haute température (entre 70 et 90°C) en milieu chlorhydrique peuvent se révéler relativement efficaces dans le cas des monazites ou des apatites qui sont des phosphates, tandis que les allanites et les zircons étant des silicates tout comme le grenat, il n’est pas possible de les éliminer sans affecter le grenat. Les lessivages en HCl n’entraînent pas de fractionnement du Sm par rapport au Nd dans les grenats (Zhou & Hensen, 1995 ; De Wolf et al., 1996 ; Scherer et al., 2000 ; Thöni, 2003), bien que ces lessivages effectués à HT dissolvent en partie les grenats (DeWolf, 1996 ; Scherer et al., 2000). D’autre part, Scherer et al. (2000) montrent que cette procédure amplifie l’effet des zircons sur les grenats dans le cas de datations Lu/Hf. En effet, les zircons ne sont pas du tout lessivés lors de ce traitement chimique alors qu’une partie des

grenats l’est. De plus, ces lessivages lessivent préférentiellement le Lu des grenats par rapport à l’Hf, ce qui fausse complètement les rapports Lu/Hf mesurés dans les grenats.

Malgré la possibilité d’éliminer les phases en inclusion dans les grenats grâce à des lessivages chimiques, il reste toutefois important de vérifier l’importance en quantité de ces inclusions. Des grenats présentant un rapport Sm/Nd bas et une forte concentration en Nd peuvent signaler la présence d’inclusions (Thöni, 2003), mais ce n’est pas vrai dans toutes les situations. De fortes concentrations en Nd ont également été corrélées à des influx de fluides (DeWolf et al. 1996 ; Becker, 1997). Multiplier les fractions de grenats lors de datations Sm/Nd par exemple, permet également de vérifier la participation de ces inclusions. Si des inclusions perturbent les rapports isotopiques des grenats, les différentes fractions seront dispersées dans un diagramme isochrone car il n’existe que très peu de chance pour que le mélange grenat-inclusions soit le même dans toutes les fractions. De la même façon, le fait que plusieurs datations Sm/Nd sur grenats soient reproductibles dans différentes roches ayant subi la même histoire thermique est un bon argument pour dire que l’influence des inclusions est négligeable.

III La géochronologie

40

Ar/

39

Ar