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Dynamiques territoriales, acteurs et jeu d’acteurs : un état de l’art

Ce chapitre montre l’intérêt de l’étude des acteurs dans la compréhension des dynamiques territoriales, et propose ensuite un cadre d’analyse pertinent pour l’approche qualitative.

1.1 Dynamiques territoriales et acteurs

1.1.1

Les acteurs : des catégories et des situations d’actions multiples

L’acteur, dont les définitions sont multiples, est un élément central dans le fonctionnement et la production des territoires. Dans la lignée des travaux de Gumuchian (2003), il est ici considéré que « les acteurs sont ceux qui réalisent ce passage incessant entre le réel spatial tel qu’il s’offre comme

ressource à l’action et l’action comme inscrite dans l’espace ».

Les individus sont des acteurs mais il existe par extension des acteurs collectifs (Lévy, Lussault, 2003), comme les associations (usagers, professionnels de santé). L’importance d’acteurs collectifs peut également reposer sur le charisme particulier d’un acteur individuel : un leader. Le cumul de fonctions, comme par exemple maire et médecin, est à l’origine d’acteurs « multicasquettes » (Gumuchian, 2003).

Les acteurs sont territorialisés (Gumuchian, 2003), ainsi « tout homme ou femme peut être acteur,

tout acteur est doté d’une personnalité et d’une individualité, […] tout acteur a une compétence territoriale (politique, sociale, spatiale, culturelle...), […] le sujet agissant devient acteur territorialisé lorsqu’il se retrouve en situation d’action. L’acteur territorialisé opère au sein de systèmes d’actions concrets qui sont évolutifs et perméables les uns aux autres […]. Il négocie continuellement sa place par des jeux de pouvoir ».

Ces acteurs territorialisés évoluent dans différents systèmes d’actions (Gumuchian, 2003) comme celui de type projet qui nous intéresse particulièrement. Dans celui-ci, trois grands types d’acteurs interviennent : les porteurs de projet, ceux qui vont l’accompagner (partenaires) et ceux qui vont participer à sa dynamique. Ces acteurs seront ciblés pour les entretiens autour des projets de maisons de santé.

Parmis ces acteurs, se trouvent ceux impliqués dans la vie du territoire comme les élus locaux ou leurs collaborateurs (Dumont, 2012) et les associations qui jouent un rôle déterminant dans les actions locales (Loncle, 2011).

Les acteurs peuvent aussi être singularisés selon leur action directe ou indirecte sur le territoire (Partoune et Piveteau, 2010). L’acteur direct agit matériellement et physiquement sur le territoire considéré (par exemple un maire, un promoteur), tandis que l’acteur indirect agit, de par ses choix, sur la gestion du territoire en influençant les autres acteurs directs (touristes, nouveaux habitants). L’étude des projets de maisons de santé se devra de prendre en compte ces différents acteurs.

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Enfin, les acteurs agissent dans un contexte donné, dans des cadres d’action déterminants et/ou contraignants qui proviennent de leurs compétences restreintes à un domaine ou à un territoire donné (Gumuchian, 2003). La prise en compte de ces cadres d’actions (découpages administratifs, financements, etc.) et leurs limites apparait indispensable dans la compréhension des dynamiques territoriales des maisons de santé.

1.1.2

Le territoire est composé et construit par des acteurs : les

dynamiques territoriales

L’entrée par le territoire permet de révéler les acteurs, leurs stratégies et projets (Gumuchian, 2003). En effet, le territoire est une production sociale (Lévy et Lussault, 2003 ; Di Méo, 2005) mais aussi un système, composé de plusieurs sous-systèmes dont celui des acteurs (Moine, 2006 ; cf.annexes). Ainsi, les dynamiques territoriales sont l’œuvre d’acteurs au sein d’un espace donné, qu’ils s’approprient, en constituant un territoire. Elles sont façonnées par l’articulation d’actions individuelles et d’actions collectives, de phénomènes microsociaux et de cadres, institutions et réseaux nationaux (Bel, 2010). En retour, le territoire influence aussi les acteurs par son histoire, les normes et coutumes locales (Rican et al., 2014).

Les systèmes d’acteurs sont pluriels et peuvent prendre la forme de systèmes locaux d’action publique (Loncle, 2011) qui illustrent des interactions entre l’influence de l’histoire des territoires, la gravité des situations locales, les rôles des différents types d’acteurs et leurs fonctionnements en réseaux. Ces systèmes expliquent notamment qu’une politique nationale ne se décline pas de manière uniforme localement, comme cela a été observé pour les politiques en faveur des jeunes (op. cit). De la même manière, il est supposé que la création d’une maison de santé dans un territoire donné dépendra de ses acteurs et de leur capacité à porter le projet. Ainsi, tous les territoires ne répondraient pas de la même façon expliquant l’inégale répartition des maisons de santé.

1.1.3

Les acteurs sont moteurs du développement territorial

Les concepts de l’économie de la proximité dévoilent le rôle des acteurs dans les dynamiques territoriales. Des auteurs montrent ainsi que les capacités de développement des territoires ne dépendent pas seulement des réserves de ressources mais aussi de leurs acteurs (Angeon, 2008 ; Bel, 2010 ; Mao, 2009 ; Teisserenc, 1994).

L’économie de la proximité repose notamment sur deux concepts : la proximité spatiale et la proximité organisée qui sont des composantes du développement local (Angeon, 2009 ; Filippi et Torre, 2003). Les travaux de Filippi et Torre ont montré que la proximité spatiale joue une part significative dans les processus de développement locaux, mais qu’elle doit être activée par un autre type de proximité : celle organisée. Le réseau d’acteur local le permet, quand il est au service d’un projet collectif. Il est supposé que dans le cadre d’un projet de maison de santé, ce seront les mêmes mécanismes à l’œuvre.

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1.1.4

Les acteurs concernés par les maisons de santé

Des acteurs apparaissent spécifiques dans le champ de la santé et des maisons de santé (partie 1). Par exemple, de Haas (2010) identifie 6 catégories d'acteurs concernés par les maisons de santé : les professionnels de santé libéraux, les collectivités locales, l'État et la Haute Autorité de Santé (HAS), l'Assurance Maladie et les autres financeurs (comme la Mutuelle Sociale Agricole), les populations et les universités. De manière plus large, Fleuret (2003) propose quatre types d’acteurs qui composent le système local de santé : les acteurs médicaux et soignants, les tutelles du système de santé, les acteurs des politiques locales et la population.

1.1.5

Le territoire : lieu de jeux d’acteurs aux formes multiples

L’étude des acteurs de leurs relations ou de leurs projets met en évidence de nombreuses dynamiques invisibles avec une approche globale ou quantitative. Celles-ci constituent autant de formes de jeux d’acteurs, dont quelques exemples sont présentés.

Bossuet (2007, 2013) a étudié les conflits en milieu rural notamment les réactions de communautés rurales vis-à-vis des nouveaux résidents ou des touristes, donnant lieu à des situations de rejet, d’opposition ou d’intégration. Il met ainsi en évidence l’effet de lieu, l’importance de l’histoire de la commune et des acteurs dans ces situations. Des concurrences entre acteurs sont d’autres formes de jeux d’acteurs comme il en existe entre les stations de sports d’hiver (Perrin-Malterre, 2014) ou les politiques d’attractivité économique des territoires (Léon et Sauvin, 2010). Ces blocages et conflits territoriaux sont ainsi un moyen de révéler les liens et réseaux d’acteurs (Gumuchian, 2003). Ces exemples révèlent, en outre, des territorialités, à savoir « l’identité territoriale d’un individu ou d’un

collectif » (Lévy et Lussault, 2003). A l’instar de ces cas de figures, il est supposé que les projets de

maisons de santé permettront de révéler des jeux d’acteurs au sein des territoires : conflits, concurrence, synergie...

1.2 Les méthodes d’analyse des jeux d’acteurs

L’étude des jeux d’acteurs nécessite de les identifier et de les contextualiser, « la seule analyse des

acteurs en tant qu’individus, ne pouvant suffire à comprendre les contextes de l’action de chacun d’eux » (Gumuchian, 2003). Ceci passe notamment par le recueil des discours des acteurs,

l’identification de leurs champs de compétences et par l’étude de leurs relations.

1.2.1

Les entretiens

Pour appréhender au mieux les jeux d’acteurs « la principale méthodologie utile est celle qui

privilégie l’analyse des discours avec des enquêtes de terrain dont les objectifs sont de percevoir les relations qui se sont tissées au cours du temps entre les différents acteurs et les territoires »

(Gumuchian, 2003). Le terrain peut être défini comme, « le concret, la pratique, l’espace que l’on

parcourt pour une étude de terrain, en étant « sur les lieux », par opposition aux livres, statistiques, au bureau » (Brunet, 2006).

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Les entretiens permettent également d’analyser la gouvernance d’un territoire, à savoir le «

processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions » (Moine, 2006). L’analyse

des relations entre élus, entre élus et les autres acteurs du territoire ou entre le territoire et les puissances publiques supérieures peut aussi servir à apprécier la gouvernance (Dumont, 2012). Plusieurs types d’entretiens, individuels et collectifs, existent. Les entretiens individuels sont de trois ordres : structurés ou directifs, semi-directifs et approfondis (non structurés, non directifs) (Pnud, 1997 ; Unil, 2010). Les entretiens directifs consistent en une série de questions prédéfinies avec un choix limité. Ils sont privilégiés, par exemple, lors des enquêtes lorsque le nombre d’entretiens est important. L’entretien semi-directif amène le participant à s’exprimer librement sur des questions préétablies, il repose notamment sur un guide d’entretien (liste écrite de questions ou de sujets qui doivent être traités). Lors d’un entretien approfondi le participant est amené à s’exprimer sur des questions larges, l’enquêteur intervient que pour approfondir certains points.

1.2.2

Les matrices situent les acteurs les uns par rapport aux autres

Des auteurs ont cherché à analyser les jeux d’acteurs à travers des matrices dont le but est de confronter les acteurs et d’en définir des profils (Larid, 2010). Par exemple, la matrice CAPE (Partoune et Piveteau, 2010 ; cf. annexes) prend en compte le caractère interne ou externe de l’acteur par rapport au territoire considéré, puis son caractère régulateur ou non par rapport aux enjeux qui se posent. Le croisement de ces deux critères permet de définir quatre profils d’acteurs les acteurs Collectifs, les Arbitres, les Privatifs, les Extérieurs (CAPE). Cette matrice sera utilisée par la suite pour situer les acteurs par rapport à un projet de maison de santé.

1.3 L’intérêt des acteurs dans la compréhension des

dynamiques territoriales relatives aux maisons de santé

Ce chapitre a montré la nécessité de l’étude des acteurs dans la compréhension des dynamiques territoriales. Les territoires sont les lieux de jeux d’acteurs multiples qu’ils contribuent à façonner et qui les façonnent en retour. Ces jeux d’acteurs, pour être décryptés, nécessitent de réaliser des entretiens et de comprendre les contextes d’action.

Ainsi, dans les projets de maisons de santé, plusieurs acteurs clés ressortent :

- Les élus locaux sont incontournables par leur connaissance et leur action sur le territoire. Les autres acteurs locaux concernés par le projet, ici les professionnels de santé semblent aussi indispensables à rencontrer.

- Les acteurs peuvent aussi agir sur un territoire donné sans y appartenir. Cela conforte l’idée de s’entretenir avec les acteurs de différents niveaux : les financeurs (État, collectivités locales), les accompagnateurs et les régulateurs (ARS, représentants des professionnels, etc.).

Cet état de l’art contribue au cadre d’analyse méthodologique élaboré pour les terrains détaillé dans le chapitre suivant.

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