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4.5 Méthode de reconstruction dynamique

4.5.3 Vers les dynamiques macroscopiques

Une première approche “naïve” du suivi des dynamiques scientifiques consis- terait à mettre bout à bout l’ensemble des cartes macroscopiques obtenues à des périodes successives. Une analyse de ce type (schématisée figure 4.16) n’est infor- mative que du point de vue de la structuration globale du domaine. Observe-t-on une augmentation ou une diminution du nombre total de champs ? Est-ce que la cohésion de l’ensemble des champs a tendance à augmenter ou à diminuer ? La comparaison des cartes obtenues à différentes périodes nécessite donc un travail d’interprétation de la part de “l’utilisateur”. Dans le cas présent, ces cartes ont été annotées et interprétées par deux sociologues et historiens des sciences (Jean-Paul Gaudillière et Christophe Bonneuil), sous la forme d’ensembles de champs épis- témiques regroupés au sein de domaines plus larges, se répétant ou non d’une période à l’autre. La délimitation et la labellisation de ces domaines est le résultat d’une analyse plus fine et “manuelle” des champs épistémiques qui les consti- tuent.

L’analyse des cartes réalisées sur 4 périodes courant de 1976 à 2007 à ainsi per- mis de révéler les traits saillants suivants dans l’évolution des travaux autour de la notion de réseau et de complexité en biologie. On voit notamment émerger de façon très nette à compter de la période 1999-2003 la confirmation d’un discours ré- seau, centré sur les aspects instrumentaux de la génomique qui se traduit par l’ap- parition de clusters autour des termes micro-array & expression, ou protein-protein interactions & data bank. Ces clusters remplacent les champs caractéristiques de l’ère

pré-génomique dont les rapports aux réseaux sont plus incidents. Avant cette pé- riode, on constate également une forme de continuité du vocabulaire réseau sans réelle intégration des approches contemporaines de l’analyse des grands réseaux d’interaction dans les clusters liés à l’immunologie, ou aux réseaux neuronaux ; et des intégrations mais avec changement de sens dans les clusters liés à expression regulation, feedback ou kinase & phosphorylation.

La percée des approches réseau en biologie semble donc reposer fondamen- talement sur des bases matérielles (expérimentale et bio-informatique) issues no- tamment de la biologie à haut débit. Ces cartes révèlent également que les aspects plus théoriques liés aux réseaux en terme d’architecture du vivant ne commencent à se constituer en un champ de recherche à part entière que plus tardivement, es- sentiellement après 2002 (vocabulaire autour de l’architecture, la modélisation, les propriétés de connectivité ou de robustesse des réseaux) - à la suite de la multipli- cation des études sur les grands réseaux d’interaction en physique (popularisation des notions de “scale-free”, “small-world”, etc. à partir de 1999-2000). Le discours réseau, se généralisant et s’affirmant autour de 2000, on assiste maintenant à sa diffusion vers d’autres champs de la biologie auxquels il n’était pas traditionnelle- ment lié. Par exemple, un effet de dissémination est visible lorsqu’on examine l’amas de clusters portant sur le cancer apparaissant sur la période 2004-2007 qui est for- tement lié aux approches réseaux d’interaction et données d’expression génétique à haut débit.

Cette méthode d’analyse requière néanmoins un investissement coûteux puis- qu’il est nécessaire d’explorer en profondeur le contenu détaillé des champs dé- tectés à chaque période. Les nœuds figurant les champs dans chaque carte sont a

priori différents entre deux périodes successives, et il semble délicat de juger de

la transformation de la structure globale d’un réseau dont les nœuds sont eux- mêmes modifiés à chaque pas de temps. Notre objectif est donc d’accompagner le travail d’interprétation des cartes en fournissant une procédure de détermination des dynamiques scientifiques au niveau mésoscopique, c’est à dire directement liées aux mutations subies par les champs épistémiques. L’observation des chan- gements dans les associations de mots-clés qui modifient la nature de nos champs épistémiques constitue sans doute un niveau d’analyse pertinent pour observer les dynamiques de l’activité scientifique. L’évolution de ces ensembles de termes per- mettent en effet de retracer les processus, parfois discontinus (Kuhn, 1970a; Mul- kay, 1976), de fertilisation croisée entre champs, la circulation de concepts à tra- vers les domaines, ou encore les augmentations et diminutions d’activité propres à un champ. Nous appelons méso-dynamiques les transformations qui affectent les champs épistémiques. La reconstruction de ces méso-dynamiques revient en fait à spécifier la fonction déterminant les “relations de parenté intellectuelle” entre les champs épistémiques obtenus entre deux périodes successives.

Callon (1994) oppose deux dynamiques extrêmes des dynamiques des collec- tifs “locaux” qui animent l’évolution des sciences. Il distingue d’un côté des dy-

immunologie

génomique & réseaux catalyse

1976-1990 1991-1998

expression des gènes & réseaux interactions protéine/protéine & réseaux interactions protéine/protéine & réseaux expression des gènes & réseaux

cancer & réseaux

1999-2003 2004-2007

FIGURE4.16: Evolution de la structuration des champs de notre jeu de données biologie &

réseauxsur quatre périodes : 1976-1990 ; 1991-1998 ; 1999-2002 ; 2003-2007. (la couleur des champs correspond à leur croissance d’activité, leur taille à leur activité (échelle logarith- mique))

namiques conservatives qui “consolident” un état des choses” formées par “des collectifs locaux qui opèrent des reconfigurations mineures sans bouleverser les

connections existantes”23, à des dynamiques de “prolifération de nouveaux états

du monde”, qui se caractérisent par l’émergence de “collectifs locaux à même de proposer des reconfigurations très originales et innovantes de réseaux non connec-

tés jusqu’à lors”24.

Dans notre perspective, nous n’envisageons les dynamiques des champs que comme la transformation des ensembles de “concepts”, censés refléter les “connaissances de bases” (Morris and der Veer Martens, 2008) partagées par les 23. “The local collective does some minor reconfiguration work, but this will not shake up existing connections.” (Callon, 1994)

24. “the local collective is in a position to propose some very original, innovative reconfigurations linking together networks that had been separate. This leads to the proliferation of new states of the world. ” ibid, p. 415

participants d’un champ épistémique. Nous n’intégrons pas dans notre analyse la même richesse descriptive que celle que (Callon, 1994) accorde aux collectifs lo- caux ; nous pouvons néanmoins nous en inspirer pour tâcher de retracer les consé- quences de ces transformations en termes de dynamiques de nos champs.

La composition d’un champ scientifique peut en effet être soumise à un certain nombre de transformations qui en modifieront les frontières et la forme. Le réper- toire de ces dynamiques comprend les événements potentiels suivants. Un champ peut croître en acquérant de nouveau concepts, ou bien décroître s’il en perd. Les deux versions extrêmes de ces cas de figure correspondent à une naissance ex-nihilo ou à la disparition du champ. Un champ peut également fusionner avec d’autre champs pour former un un nouveau champ épistémique ou encore se diviser en plusieurs champs.