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d) La dynamique familiale : le modèle de l’alliance familiale

Chapitre VII. La famille et ses dynamiques relationnelles

VII.2. d) La dynamique familiale : le modèle de l’alliance familiale

La dynamique familiale implique un processus relationnel qui comprend tous les membres de la famille. Ce contexte relationnel familial est le contexte considéré dans mon travail. Pour l’analyser, le modèle de l’alliance familiale est utilisé. Ce modèle a été développé en premier lieu par Fivaz-Depeursinge et Corboz-Warnery (2001), puis a été remanié par les membres de l’Unité de Recherche du Centre d’Etude de la Famille à

Lausanne (Favez, Frascarolo-Moutinot & Tissot, 2013 ; Favez, Lavanchy Scaiola, Tissot, Darwiche, & Frascarolo, 2011 ; Favez, 2010).

Les fondements théoriques du modèle

Ce modèle est fondé sur l’observation des processus interactifs qui est une méthode utilisée dans de nombreuses recherches se rapportant aux relations parent-enfant. Cette méthode permet de décrire les processus dynamiques, et cela en faisant intervenir un évaluateur extérieur à la famille (Gardner, 2000 ; Margolin et al., 1998). Un comportement verbal et non verbal est considéré dans une séquence temporelle, soit dans un enchaînement de comportements. Ces processus dynamiques permettent de mettre en évidence les co-constructions au sein d’une interaction (Favez, 2010). Par ailleurs, cette méthode d’observation fournit une information unique, différente des sources relevant des

questionnaires ou hétéro-reportés (Kerig & Lindhal, 2001). Les questionnaires auto-reportés mettent en évidence les comportements tels que les individus se les représentent. Les questionnaires hétéro-reportés concernant le jeune enfant par exemple correspondent à la perception de l’informant sur l’enfant sans garantie que cette perception soit uniquement fondée sur le comportement effectif de l’enfant. L’observation permet d’accéder aux comportements automatiques de l’individu, spontanés, dont la personne n’a pas toujours conscience. De plus, avec un jeune enfant n’ayant pas encore développé le langage, l’observation est un moyen qui permet un accès direct à l’enfant.

Le modèle de l’alliance familiale s’inscrit dans les recherches centrées sur les interactions non verbales (Kendon, 1982 ; Scheflen, 1972 ; Fogel, 1977) et repose sur le précepte que le comportement verbal et/ou non verbal participe à déteminer le contexte relationnel dans lequel il émerge tout en étant simultanément un message adressé aux partenaires. Pour être adéquatement interprété, ce message doit être considéré au sein de la séquence interactive dans lequel il apparaît, séquence qui présente une structure spatiale et temporelle.

La gestion de l’espace par les corps des partenaires détermine le contexte relationnel, c’est-à-dire l’espace d’interaction et l’engagement émotionnel. L’espace d’interaction ou l’espace interpersonnel est déterminé par la position des corps et par leur orientation. Kendon (1977) propose d’appeler « formation F » la configuration spatiale qui résulte d’une

orientation des corps des partenaires permettant un accès égal à l’espace interpersonnel. La distance entre les corps (Hall, 1966) est un indicateur de l’investissement émotionnel dans la

relation. La distance d’intimité (jusqu’à 25 centimètres) est réalisée lorsque les membres d’un couple s’embrassent ou qu’une personne réconforte un ami par exemple. La distance

personnelle (30 centimètres à 1 mètre) définit une relation de proximité, comme une discussion entre les membres d’une famille ou entre deux amis. Une distance entre 1 et 3 mètres correspond à une distance sociale, qui se réalise par exemple dans une discussion avec une connaissance ou un collègue de travail dans un lieu public. Enfin, une distance publique (au-delà de 4 mètres) définit une relation émotionnellement désengagée, par exemple entre un conférencier et son public. Outre le fait que la distance est révélatrice d’une intimité, la perception de la distance est également dépendante de la proximité émotionnelle avec les partenaires présents (Morgado, Muller, Gentaz, & Palluel-Germain, 2011). Distance et engagement émotionnel s’influencent donc mutuellement.

Outre la définition du contexte relationnel, les comportements non verbaux

déterminent le message transmis aux partenaires. Le corps est perçu par segments – bassin, torse, tête et orientation du regard – chaque segment étant un indice du message transmis au partenaire (Fivaz-Depeursinge & Corboz-Warnery, 2001). Si une personne détourne son bassin ou son torse, son interlocuteur perçoit un message de désengagement relationnel. Ces différents segments corporels peuvent être congruents (orientation de tous les segments vers l’interlocuteur par exemple) ou incongruents (le torse orienté vers un interlocuteur mais la tête orientée dans une autre direction). Cette congruence ou incongruence peut également se réaliser entre les comportements non verbaux et le contenu verbal des échanges. Une personne peut verbaliser des faits ou un état qui est congruent avec ses comportements non verbaux (dire qu’elle est satisfaite en arborant un grand sourire) ou, au contraire, présenter une incongruence entre son énoncé (« je suis satisfaite ») et son comportement non verbal (expression de mépris). Une incongruence entre les canaux de communication engendre un message ambigu et peu clair.

Si l’espace d’interaction est déterminé par une formation F de Kendon et qu’il y a congruence entre les divers canaux de communication, la situation est favorable à un échange entre les partenaires sur un thème commun (Scheflen, 1973). Ces divers comportements qui définissent l’espace d’interaction et le message au partenaire sont les composantes

structurelles de l’interaction.

La temporalité se réfère à la dynamique de l’interaction, soit au rythme de l’interaction, à la synchronie des signaux interactifs et à la réparation des erreurs de

communication (Tronick, 1989 ; Favez, 2010). Les échanges suivent un rythme qui permet le dialogue et les tours de parole. Les comportements des interlocuteurs peuvent être

synchrones, c’est-à-dire qu’ils se manifestent au même moment. Cela implique alors une grande coordination entre les partenaires. De manière régulière cependant, les comportements manquent de synchronie ; la création d’un échange impliquant tous les partenaires est alors compromise. Ce manque de synchronie est appelé erreurs de communication ou

miscoordinations. Ces erreurs sont nombreuses et inévitables lors d’un échange entre deux ou plusieurs personnes. Afin de continuer l’échange interactif, les partenaires doivent « réparer»

ces erreurs, c’est-à-dire trouver un moyen de se « reconnecter » à l’autre. Par exemple, deux partenaires effectuant une activité se regardent de manière alternée et se manquent

visuellement. Pour réparer cette miscoordination et continuer l’échange interactif, les

partenaires vont augmenter la fréquence et/ou la durée des regards de l’un à l’autre jusqu’à ce qu’un regard mutuel soit réalisé. Ces erreurs de communication et ces réparations se réalisent continuellement dans l’échange. Un comportement en soi n’est pas déterminant,

contrairement aux comportements relevant de la dimension structurelle de l’interaction. Le rythme et la « danse » entre les partenaires sont les aspects qui déterminent cette dimension dynamique, soit la coordination temporelle des comportements. Cette « danse » marque la séquence interactive et, grâce aux réparations des erreurs de communication, l’échange peut continuer.

Les fonctions de la communication

Dans le modèle de l’alliance familiale, les interactions familiales sont décrites selon leurs caractéristiques principalement non verbales relevant des deux fondements de la séquence interactive : l’espace (structure) et la temporalité (dynamique). L’alliance familiale est considérée comme une caractéristique spécifique de la famille. Elle est définie par le degré de coordination entre les membres de la famille pour réaliser une tâche (jouer ensemble, prendre un repas, octroyer les soins à l’enfant par exemple). Se coordonner de manière optimale implique que les membres de la famille doivent satisfaire cinq fonctions permettant la communication (voir figure 8):

a) La participation. Cette fonction structurelle fait référence à la disponibilité à entrer en interaction avec les autres partenaires, soit à l’inclusion des différents partenaires sociaux au sein du contexte d’interaction. L’exclusion peut se marquer de deux façons : soit par de l’auto-exclusion où un partenaire se montre indisponible vis-à-vis des autres, soit par de l’hétéro-exclusion où un partenaire se montre indifférent et sans réactions face aux initiatives, voire aux interpellations, des autres partenaires. Ces deux catégories ne sont

pas mutuellement exclusives. Pour illustrer ces processus d’exclusion, nous pouvons imaginer un groupe de quelques personnes en train de discuter ensemble. Un individu arrive alors et donne des signaux comportementaux signifiant son souhait de se joindre à la discussion : il se rapproche des membres du groupe, commence à les interpeller et commente certains propos de la discussion. Les personnes du groupe, elles, n’ont pas initié de changement corporel afin de créer un nouvel espace interactif comprenant le corps du nouvel arrivé. Elles font peu cas de ses remarques, ne le regardent pas et ne s’adressent pas à lui. Nous assistons alors à de l’hétéro-exclusion. Nous pouvons imaginer que suite au peu d’intérêt manifesté par les personnes du groupe, l’individu commence à diminuer ses signaux de disponibilité à s’engager avec le groupe en regardant ailleurs et en se désintéressant de la discussion. L’auto-exclusion se réalise alors simultanément à l’hétéro-exclusion.

b) L’organisation. Cette fonction structurelle fait référence à la capacité de chaque membre à respecter le rôle qu’il a à jouer dans l’interaction : être engagé ou observateur de

l’interaction. Il est attendu que les comportements adoptés par les partenaires donnent des signaux clairs sur leur rôle. Les partenaires engagés adoptent des distances d’interaction caractérisées par une proximité, échangent des énoncés verbaux et des gestes, alors que les partenaires observateurs adoptent une distance de contrôle – distance plus grande que la distance d’interaction – et ne parlent pas.

c) La focalisation. Cette fonction à la fois structurelle et dynamique se rapporte à l’activité commune sur laquelle les partenaires se centrent et qu’ils s’engagent à enrichir. En satisfaisant cette fonction, les partenaires partagent le même centre d’intérêt. Les activités réalisées sont construites selon un contour narratif (Stern, 1989) avec un début, un

moment fort, puis une fin. Par exemple, si l’activité est une discussion, chaque partenaire propose des éléments de discussion : l’un raconte, l’autre lui pose des questions, le troisième fait référence à des expériences similaires qu’il a vécues. L’activité est donc co-construite par les divers membres du groupe au cours de tours de parole.

d) Le contact affectif. Cette fonction à la fois structurelle et dynamique fait référence à la notion de chaleur développée par MacDonald (1992). Cette fonction est remplie si les partenaires sont «connectés émotionnellement», c’est-à-dire qu’ils partagent une expérience affective authentique et une empathie réciproque La synchronie entre les manifestations affectives des membres de la famille implique une circulation des affects

comprenant tous les membres de la famille. Les comportements généralement observés dans cette fonction sont des sourires mutuels et des regards réciproques soutenus.

e) Les réparations des erreurs de communication. Cette fonction dynamique se centre sur la manière qu’a la famille de gérer ces erreurs inhérentes à l’interaction, manière qui détermine la suite de la séquence interactive. Par exemple, dans un groupe de personnes, lorsqu’un individu initie un mouvement ou fait un commentaire, il risque d’interrompre ce qui est en cours entre d’autres partenaires. La manière de réagir des autres partenaires puis celle du preneur d’initiative définiront la réparation ou le manque de réparation de cette erreur. Les autres partenaires peuvent considérer le mouvement ou le commentaire rapidement et y répondre avec bienveillance ; ils peuvent y répondre tout en prenant un peu de temps ; ils peuvent critiquer cette prise d’initiative ; ils peuvent enfin y être indifférents. En retour, le preneur d’initiative peut : attendre une ratification de ses partenaires, abandonner son initiative ou encore l’imposer à ses partenaires. Une réparation de ces erreurs de communication donne à un observateur extérieur l’impression d’une fluidité dans l’interaction, l’apport de chacun participant à la construction progressive de la tâche. Inversement, lorsque les partenaires peinent à

réparer ces miscoordinations, la séquence interactive se présente comme saccadée ou peut être interrompue.

Les fonctions sont considérées dans une optique hiérarchique. Ainsi, remplir la

fonction de participation est une condition nécessaire pour l’échange interactif dans un groupe de personnes. Ensuite, remplir la fonction d’organisation est une condition nécessaire pour que la fonction de focalisation et la fonction du contact affectif puissent être remplies.

Figure 8. Schéma récapitulatif du modèle de l’alliance familiale Les typologies d’alliance familiale

La manière de satisfaire les diverses fonctions de communication des membres de la famille détermine leur alliance familiale (voir figure 9). Ainsi, lorsque la majorité des

fonctions sont remplies, l’alliance est « coopérative ». Une alliance coopérative implique que les membres travaillent en équipe pour réaliser leur tâche. Ils se coordonnent grâce à la participation de chacun et au respect des rôles dans l’interaction des divers membres de la famille. Ils parviennent à un échange à divers moments, à une activité conjointe, ils réparents leurs miscoordinations et présentent de la circularité dans les affects exprimés. L’observateur de ces interactions a l’impression que la cohésion familiale caractérise ce type d’alliance.

Lorsque seule la fonction de participation est remplie, l’alliance est « conflictuelle ».

Dans ce type d’alliance, la division de l’unité coparentale est observée. Tous les membres sont inclus dans la tâche, ne présentant pas d’auto- ou d’hétéro-exclusion. Par contre, les parents peinent à se coordonner et à négocier afin de réaliser des activités communes. Ces activités concurrentes donnent l’impression que chacun cherche à attirer l’attention de

l’enfant, à entrer dans une relation privilégiée avec lui au détriment de l’échange entre l’autre parent et l’enfant. Une compétition s’installe. Elle s’observe par des comportements

d’intervention dans les activités de l’autre parent appelés interférences. Ces interférences empêchent la satisfaction de la fonction d’organisation. Cette compétition entre les parents rend difficile l’élaboration d’activités communes et un partage familial d’affects, bien que les

Participation Organisation

Focalisation Contact affectif communication parations des erreurs de Structure des

interactions Dynamique des interactions

parents réussissent parfois à développer des partages d’affects en sous-systèmes, soit chaque parent avec le ou les enfant(s). Le climat affectif est marqué par une certaine tension entre les membres de la famille, tension qui est parfois contrebalancée par de la simulation de

positivité lorsque le conflit est non déclaré. Lorsque le conflit est ouvert, des épisodes

d’hostilité et de critiques sont observés. L’observateur de ces interactions a l’impression d’un manque de cohésion familiale.

Enfin, si aucune fonction n’est satisfaite, l’alliance familiale est « désordonnée ». Les familles avec alliance désordonnée présentent des interactions caractérisées par de

l’exclusion. Celle-ci peut résulter d’un retrait d’un membre de la famille de la situation (auto-exclusion) ou d’une exclusion d’un membre de la famille par les autres (hétéro-(auto-exclusion).

Avec un partenaire exclu, la réalisation d’un partage d’activités et d’affects comprenant tous les partenaires est par définition compromise. De manière similaire à l’alliance conflictuelle, l’observateur de familles présentant ce type d’interactions a l’impression d’un manque de cohésion entre les membres de la famille, pouvant atteindre une impression de

désorganisation et de chaos.

Figure 9. Illustration des typologies d’alliance familiale

L’alliance familiale est considérée comme une manière de résoudre un problème posé à la famille. La réalisation d’une tâche de coopération dans laquelle la famille est observée est envisagée comme un test de capacité adaptative (Favez, 2010). Les familles auxquelles une alliance coopérative est attribuée sont perçues comme présentant des stratégies adaptatives efficaces. Elles sont considérées comme ayant le potentiel de s’adapter aux défis qui vont se

Alliance désordonnée è Aucune fonction de la

communication n’est remplie par la famille Alliance conflictuelle

è Seule la fonction de participation est remplie par la famille

Alliance coopérative

è Les fonctions de participation, d’organisation, d’attention focale et de réparations des erreurs de communication sont satisfaites

présenter à elles – par exemple traverser les cycles de vie de la famille selon Haley (1980) – tout en gardant leur fonction de favoriser l’autonomie de leurs membres. Dans ce sens, une alliance coopérative est également appelée « alliance fonctionnelle ». Les alliances

conflictuelle et désordonnée caractérisent de leur côté des familles qui présentent des difficultés dans la résolution de problèmes. Ces deux types d’alliances sont qualifiés de

« dysfonctionnelles ». Une famille présentant une alliance dysfonctionnelle est considérée comme manquant de ressources adaptatives pour faire face aux défis auxquels elle peut être confrontée dans son développement. Ce contexte relationnel est à risque car il ne peut pas assurer sa fonction de favoriser le développement de l’autonomie de chacun de ses membres, en particulier celle de l’enfant.

Les différentes dynamiques relationnelles au sein de la famille permettent à chaque membre de la famille d’expérimenter des rôles différents au sein de l’interaction avec ses partenaires : être engagé dans l’interaction ou être observateur de l’interaction entre d’autres membres de la famille.

VII.3. Contexte multi-partenaires : expérience d’être un partenaire actif ou