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Trajectoires  familiales

XI.2. b) La coordination familiale

La coordination familiale est définie par la manière dont les membres de la famille travaillent pour réaliser ensemble une activité partagée et, potentiellement, atteindre un partage émotionnel positif. Elle se rapporte à un contexte relationnel de collaboration. J’ai postulé que ce travail de collaboration impliquant plusieurs partenaires est associé à la

production de comportements révélateurs de CA, soit des comportements intersubjectifs dans la première année de vie de l’enfant et des comportements de théorie de l’esprit aux 5 ans de l’enfant. En effet, pour réaliser une tâche de collaboration en famille, une négociation est nécessaire entre ses membres. Ces négociations permettent à l’enfant d’avoir accès aux différents états internes des partenaires, ce qui serait un contexte facilitant le développement de la CA chez l’enfant.

Deux mesures permettent d’appréhender la coordination familiale : la première est un score de coordination familiale obtenu à l’aide de l’évaluation de onze échelles interactives décrites dans le Family Alliance Assessment Scales. La seconde est une catégorie d’alliance familiale attribuée à la famille parmi les trois catégories que sont l’alliance coopérative, l’alliance conflictuelle et l’alliance désordonnée.

Le score de coordination familiale

Les résultats discutés dans ce sous-chapitre concernent le test des hypothèses opérationnelles 4, 5 et 11. Pour rappel, ces hypothèses sont les suivantes :

Hypothèse 4. Le score de coordination familiale évalué aux 3 mois, 9 mois et 5 ans de l’enfant est positivement corrélé avec la production des comportements intersubjectifs

(négativement pour le désengagement relationnel) et avec la production de comportements de théorie de l’esprit évaluées chez l’enfant de manière concomitante.

Hypothèse 5. Le score de coordination familiale évalué aux 3 et 9 mois de l’enfant est associé de manière positive à la production de comportements révélateurs de la CA ultérieurs, soit de manière longitudinale.

Hypothèse 11. La production des comportements intersubjectifs de l’enfant, la qualité des différentes composantes relationnelles évaluées aux différents âges de l’enfant et les trajectoires de coordination familiale sont des facteurs prédicteurs de la production des comportements de théorie de l’esprit.

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Les résultats concernant les liens entre cette composante relationnelle du contexte familial et la production des comportements révélateurs de la CA chez l’enfant sont illustrés dans la figure 29.

Le score de coordination familiale évalué aux 4 et 9 mois du bébé est corrélé avec le taux de positivité uniquement. Ces corrélations indiqueraient que l’humeur positive du bébé est spécifiquement en lien avec le contexte de collaboration relationnelle de la famille.

Cependant, il est à rappeler que le taux de positivité est le seul comportement intersubjectif corrélé avec l’évaluation de l’engagement de l’enfant dans le jeu, variable contrôle permettant de déterminer le poids des comportements de l’enfant dans l’évaluation de la coordination familiale. Ainsi, les corrélations obtenues entre le taux de positivité et le score de coordination familiale aux deux temps de mesure dans la première année de vie de l’enfant sont à

considérer avec précaution.

Le score de coordination familiale évalué aux 5 ans de l’enfant est corrélé de manière significative au score de fausse croyance ainsi qu’au score d’émotions mixtes. La façon de collaborer en équipe, d’échanger et de construire une activité ludique à trois est donc associée aux performances de l’enfant dans les tâches de théorie de l’esprit, dans l’explicitation d’états autant mentaux qu’émotionnels. La qualité relationnelle du contexte familial dans lequel l’enfant évolue quotidiennement serait un facteur associé à l’acquisition de la théorie de l’esprit.

Dans une perspective longitudinale, les scores de coordination familiale évalués dans la première année de vie de l’enfant sont associés à la production de comportements de théorie de l’esprit, spécifiquement relativement à l’attribution d’un état mental. Le score de coordination familiale évalué aux 3 mois du bébé et celui évalué à ses 9 mois sont chacun corrélés au score de fausse croyance à 5 ans. Cependant, ces variables n’apparaissent pas dans l’analyse de régression multiple hiérarchique, ce qui implique que ces résultats sont à

considérer avec prudence et nécessitent d’être répliqués. Néanmoins, ces corrélations

permettent de supposer que l’attribution de fausse croyance est une acquisition influencée par la manière dont la famille se coordonne et cela dès la naissance. La coordination familiale mise en place dans les premiers mois de vie de l’enfant serait un contexte d’apprentissage facilitateur pour l’acquisition de l’attribution d’états mentaux chez l’enfant. Cette

coordination familiale n’est pas associée aux comportements d’attribution d’émotions simples et mixtes.

En conclusion, ces résultats confirment partiellement nos hypothèses. Le score de coordination familiale est associé de manière concomitante et de manière longitudinale à la

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production de certains comportements révélateurs de la CA chez l’enfant. Les associations longitudinales permettent de suggérer que la manière de se coordonner dans la famille dès les premiers mois de vie de l’enfant a un impact sur le développement de la CA de ce dernier.

Relativement à la théorie de l’esprit, cette composante relationnelle favorise l’acquisition de la compréhension des états mentaux de l’autre.

Figure 29. Associations significatives entre le score de coordination familiale obtenu aux 3, 9 mois et 5 ans de l’enfant et la production des comportements révélateurs de la CA chez l’enfant.

Transitions rapides Transitions rapides

Variabilité

Corrélations positives = variables mesurées aux 3-4 mois du bébé

Corrélations négatives = variables mesurées aux 9 mois du bébé

Associations longitudinales positives = variables mesures aux 5 ans de l’enfant Associations longitudinales négatives =

Associations supposées dans les hypothèses qui ne sont pas confirmées =

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L’alliance familiale

Les résultats discutés dans ce sous-chapitre concernent le test des hypothèses opérationnelles 6, 7 et 11. Pour rappel, ces hypothèses sont les suivantes :

Hypothèse 6. Les comportements intersubjectifs évalués aux 4 et 9 mois de l’enfant ainsi que les comportements de théorie de l’esprit évalués à ses 5 ans présentent une fréquence différente selon la catégorie d’alliance familiale (coopérative, conflictuelle ou désordonnée) évaluée de manière concomitante. Les enfants avec des familles auxquelles une alliance coopérative est attribuée présentent une production plus grande de comportements révélateurs de la CA.

Hypothèse 7. Les comportements intersubjectifs évalués aux 9 mois de l’enfant ainsi que les comportements de théorie de l’esprit évalués à ses 5 ans présentent une fréquence différente selon la catégorie d’alliance familiale (coopérative, conflictuelle ou désordonnée) attribuée à la famille antérieurement. Les enfants avec des familles auxquelles une alliance coopérative est attribuée à un âge antérieur présentent une production plus grande de comportements révélateurs de la CA.

Hypothèse 11. La production des comportements intersubjectifs de l’enfant, la qualité des différentes composantes relationnelles évaluées aux différents âges de l’enfant et les trajectoires de coordination familiale sont des facteurs prédicteurs de la production des comportements de théorie de l’esprit.

Les résultats concernant les liens entre cette composante relationnelle du contexte familial et la production des comportements révélateurs de la CA chez l’enfant sont illustrés dans la figure 30.

La catégorie d’alliance familiale décrit trois manières différentes de la famille d’organiser ses interactions. L’alliance coopérative décrit les membres de la famille qui tout au long de la tâche donnent des signaux de disponibilité à interagir, c’est-à-dire qui sont inclus dans le jeu. Ils donnent des signaux clairs des rôles dans le jeu, entre les partenaires actifs et le partenaire tiers-observateur. Ils réalisent une activité commune, dans laquelle chacun alimente le jeu par ses initiatives et une co-construction est observée. Enfin, un partage des émotions peut être observé, bien que ceci ne soit pas déterminant pour attribuer cette alliance aux familles. L’alliance coopérative caractérise donc les familles qui

parviennent à expérimenter un moment de partage impliquant tous les membres de la famille.

L’alliance conflictuelle est attribuée aux familles dont le couple parental a des

difficultés à agir de concert. Tous les membres de la famille sont inclus dans le jeu et donnent

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des signaux de disponibilité à interagir. Cependant, maintenir les rôles de partenaires actifs et tiers-observateurs est difficile, le parent tiers-observateur étant enclin à entrer rapidement en interaction avec l’enfant. Ce faisant, il interfère dans la relation de l’autre parent avec l’enfant et une compétition entre les parents pour obtenir l’attention de l’enfant est observée. Dans ce contexte, il est difficile d’atteindre un moment de partage comprenant tous les membres de la famille.

Enfin, l’alliance désordonnée est attribuée aux familles dont au moins l’un des

membres est exclu des interactions familiales. Par son comportement ou par le comportement de ses partenaires, le contact interactif même est compromis. Dans cette configuration,

expérimenter un partage d’activités comprenant tous les membres de la famille est impossible.

Ce type d’alliance est attribué lorsque nous observons un conflit massif entre les parents. Il est également attribué dans certaines familles où l’un des membres présente une maladie psychiatrique, maladie qui conduit à des perturbations importantes des interactions familiales.

Différentes analyses de variance multivariées ont été menées relativement à la production des comportements intersubjectifs évaluée dans la première année de vie de l’enfant et à celle des comportements de théorie de l’esprit en fonction de la catégorie

d’alliance familiale attribuée de manière concomitante. Seul le taux de positivité évalué aux 4 mois de l’enfant démontre une sensibilité à la catégorie d’alliance familiale. Un taux de positivité élevé démontré par le bébé de 4 mois serait spécifiquement associé à une alliance coopérative attribuée à la famille lorsque le bébé a 3 mois. Il est à rappeler que le taux de positivité est le seul comportement intersubjectif corrélé avec l’évaluation de l’engagement de l’enfant dans le jeu, variable contrôle permettant de déterminer le poids des comportements de l’enfant dans l’évaluation de la coordination familiale. Le résultat présenté ici est à considérer avec précaution.

De manière longitudinale, les enfants de 5 ans dans leur production de comportements de théorie de l’esprit se différencient en fonction de la catégorie d’alliance familiale attribuée lorsqu’il avait 9 mois. Les enfants de 5 ans dont la famille présentait une alliance coopérative à 9 mois sont plus performants sur le score de fausse croyance (résultat significatif) et sur le score d’émotions mixtes (résultat tendanciel) en comparaison des enfants issus de familles présentant une alliance conflictuelle. Cette différence n’est pas significative avec les enfants issus de familles présentant une alliance désordonnée, bien que la moyenne de ce dernier groupe soit proche de la moyenne des enfants issus d’une famille avec alliance conflictuelle à 9 mois. Ces résultats permettent de suggérer que les familles présentant une alliance

coopérative sont un contexte d’interactions qui facilite l’acquisition de la théorie de l’esprit.

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Dans les analyses de régression multiples hiérarchiques, l’alliance familiale attribuée aux 3 et 9 mois de l’enfant n’est pas une variable retenue dans les modèles de régression concernant le score de fausse croyance et le score d’émotion simple. En revanche, l’alliance familiale conflictuelle à 9 mois est un facteur de prédiction du score d’émotions mixtes, avec un coefficient négatif. Ce résultat est également obtenu dans l’analyse de régression linéaire multiple utilisée afin d’explorer un modèle développemental intégrant toutes les variables potentiellement prédictrices de l’attribution des émotions mixtes. Ainsi, une alliance

conflictuelle en fin de première année serait un contexte à risque pour le développement de la compréhension des émotions mixtes chez l’enfant. Une hypothèse pour expliquer cette association porte sur le processus de simulation de positivité mis en place afin de réguler le conflit entre les parents et régulièrement observé au sein des alliances conflictuelles. La simulation de positivité est observée lorsque les émotions positives exprimées présentent une intensité peu congruente avec la situation observée. Par exemple, un parent fait une

interférence dans le jeu du conjoint et ce dernier rit fortement. Cette simulation de positivité peut permettre aux parents de ne pas s’adresser négativement l’un à l’autre. Cependant, ils manifestent par ce comportement un manque d’authenticité dans les émotions exprimées. Ce manque d’authenticité pourrait expliquer le fait que l’enfant, témoin de ce manque

d’authenticité entre ses parents, présente davantage de difficultés dans l’interprétation et la détection des états émotionnels de l’autre. Cela indiquerait que l’enfant en contact avec des adultes ne démontrant pas d’émotions authentiques peut avoir des difficultés dans son développement de la compréhension des états émotionnels d’autrui.

En conclusion, ces résultats confirment partiellement nos hypothèses. La catégorie d’alliance coopérative est associée à un taux élevé de positivité lorsque ces mesures sont évaluées aux 3-4 mois de l’enfant. Les catégories d’alliance coopérative et conflictuelle à 9 mois sont associées à la production des comportements de théorie de l’esprit chez l’enfant de 5 ans. Ces derniers résultats permettent de suggérer que la catégorie d’alliance familiale évaluée en fin de première année de l’enfant a un impact sur le développement de la CA de ce dernier, autant sur l’acquisition de la compréhension des états mentaux que sur celle de la compréhension des états émotionnels de l’autre.

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Figure 30. Associations significatives entre la catégorie d’alliance familiale attribuée aux familles avec l’enfant âgé de 3, 9 mois et 5 ans et la production des comportements révélateurs de la CA chez l’enfant.