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4.3 Discussion

4.3.2 Dynamique du carbone

4.3.2.1 Dans le lac de Petit Saut

Dans la couche euphotique du lac (0 - 5 m, Vaquer et al. (1997)), les concentrations en CO2, COD et COP et les δ13C-CID et δ13C-COP sont constants (Figure 4.14). Les concentrations en CO2 sont faibles par rapport à celles du reste de la colonne d’eau et les δ13C-COP sont appauvris en13C alors que les δ13C-CID sont enrichis en13C (cf 4.2.1, Figure 4.14). Dans la couche euphotique, le phytoplancton assimile et incorpore préférentiellement du 12CO2 dans ses molécules organiques (O’Leary, 1981), le CID restant est donc enrichi en 13C alors que la matière organique produite par le phytoplancton est appauvrie en 13C. Les δ13C-CID enrichis en 13C mesurés en surface du lac (-6,77 ± 0,27 h) sont donc associés aux plus faibles concentrations en CO2 et à des δ13C-COP appauvris en 13C (Figure 4.14).

Figure 4.14 – Profils verticaux des concentrations en (a) CO2 et CH4, (b) COD et COP en µmol L−1, (c) du rapport C/N sans unité et de la teneur en CO en % de la MO et (d) du δ13C-CID et du δ13 C-COP enh en Roche Genipa en Août 2013. La ligne en tiretés représente le métalimnion, la limite entre l’épilimnion et l’hypolimnion de la colonne d’eau.

Nous avons calculé le taux de production primaire en utilisant la formule de Del Giorgio et Peters (1993) pour les lacs :

PP = 10, 3 ∗ Chl1,19 (4.1)

avec PP la production primaire en mg(C) m-3 j-1, Chl la concentration en chlorophylle a en mg(C) m-3.

Les concentrations en chlorophylle a dans la couche euphotique étaient comprises entre 0,5 et 15 mg m−3(communication personnelle Hydreco, Roche Genipa 2014). Les taux de production primaire obtenus ont ensuite été convertis en Gg (C) an−1 en multipliant par le volume de la couche euphotique de Petit Saut (0,931 ± 0,08 km3 en 2012 - 2013). Avec cette méthode nous avons estimé que la consommation de CO2 via la photosynthèse était comprise entre 1,53 et 87,8 Gg (C) an−1 (44,7 ± 31 Gg (C) an−1). Elle est inférieure à celles calculées par Vaquer et al. (1997) (285 - 897 Gg (C) an−1) pendant le « trophic

upsurge » (48,9 - 124 Gg (C) an−1). À Petit Saut, Collos et al. (2001) ont mis en évidence que le facteur limitant de la production primaire était la concentration en NH+4. Il est probable que 20 ans après la mise en eau le phosphore soit aussi un facteur limitant de la production primaire (Abril et al., 2008).

Dans le métalimnion, les concentrations en CO2, CH4et COD augmentent alors que la concentration en COP, la teneur en CO et le rapport C/N diminuent, et le δ13C-COP s’enrichit en 13C alors que le δ13C-CID s’appauvrit en 13C (Figure 4.14). De plus la concentration en CO2 dans la colonne d’eau est corrélée positivement avec celle du COD, négativement avec le rapport C/N et le δ13C-CID alors que la concentration en COP est corrélée positivement avec le rapport C/N et, le δ13C-COP est corrélé négativement avec le δ13C-CID (Figure 4.15). Les variations des concentrations sur la verticale et les cor-rélations entre les différents paramètres mettent en évidence que la dégradation de la matière organique rejoignant l’hypolimnion, qui se traduit par une diminution de la concentration en COP, de la teneur en CO et du rapport C/N (Figure 4.15 d) et un enrichissement du δ13C-COP (Figure 4.15 e), est source de COD et de CO2, ce qui se traduit par une augmentation des concentrations en CO2 et COD (Figure 4.15 a) et un appauvrissement du δ13C-CID (Figure 4.15 c) (Figure 4.14). Wetzel (2001) estime que plus de 75 % de la matière organique de la couche euphotique est rapidement dégradée et ne sédimente pas. Les pièges à particules positionnés en Saut Kawenn, Deux Branches et Roche Genipa (Figure 3.3) sous l’oxycline nous ont permis de calculer les quantités de carbone qui sont transférées dans l’hypolimnion :

Taux de transfert = p ∗ %CO ∗ 0, 01 ∗ 365 jours

j ∗ πr2 (4.2)

avec le taux de transfert en g (C) m-2 an-1, p le poids récolté en grammes, % CO le pourcentage de carbone dans la MO récoltée, r le rayon du tube du piège à particule (0,125 m) et j le nombre de jours de pose du piège.

En 2012 - 2013, 23,3 ± 4,5 g (C) m−2 an−1 rejoignent l’hypolimnion par gravité. En extrapolant ce taux de transfert à l’ensemble de la surface du lac en 2012 - 2013 (334 km2) on estime que 7,90 ± 1,5 Gg (C) an−1, soit 18 % du carbone produit lors de la production primaire, sont transférés de l’épilimnion vers l’hypolimnion. Ainsi, 82 % du carbone produit lors de la production primaire a été dégradé dans le métalimnion, notre estimation est similaire à celle de Wetzel (2001) (75 %). Notre taux de transfert entre l’épilimnion et l’hypolimnion est largement supérieur à celui calculé par De Junet et al. (2009) en 2003 (5,2 ± 0,9 g (C) m−2 an−1). Cette différence est probablement liée au temps de pose plus court en 2003 (48 jours) qui n’est pas favorable à l’accumulation de grandes quantités de débris végétaux qui augmente le poids p récupéré et donc le taux de transfert (cf équation 4.2). De plus l’absence d’empoisonnement dans les pièges de De Junet et al. (2009) ne limite pas la dégradation de la MO récoltée en 2003, la présence de sel dans nos pièges en 2012 - 2013 a au contraire limitée le développement des bactéries et donc la perte de matière.

La dégradation du COP se traduit par une restitution de la majeure partie du CO2, capté par le phytoplancton dans la couche euphotique, à la colonne d’eau. La dégradation de la matière organique libère du CID riche en 12C, d’où un appauvrissement du δ13C-CID dans l’hypolimnion (Figure 4.14 d, Figure 4.15 c). Le COP préférentiellement dégradé est du 12COP ainsi le reste du COP est enrichi en

13C, d’où un enrichissement du δ13C-COP en 13C dans l’hypolimnion (Figure 4.14 d, Figure 4.15 e). L’enrichissement en 13C du δ13C-CID et l’appauvrissement en13C du δ13C-COP entre l’hypolimnion et l’épilimnion met aussi en évidence la présence de méthanotrophes qui oxydent le CH4 (Lehmann et al., 2004; Murase et Sugimoto, 2005; Bastviken et al., 2008; De Junet et al., 2009). Dans le métalimnion, les conditions physico-chimiques (peu de lumière, peu d’O2) sont favorables à la prolifération des métha-notrophes (Dumestre et al., 1999). Ainsi les bactéries méthamétha-notrophes oxydent la majorité du CH4 qui diffuse depuis le fond de la colonne d’eau (Guérin et Abril, 2007). En effet, le CH4, ainsi qu’une partie du CO2, proviennent aussi de la dégradation de la MO dans les sédiments (voir Chapitre 6).

4.3.2.2 Dans le fleuve en aval du barrage

Le CH4 ayant transité par les turbines, et qui n’a pas été dégazé dans les premiers 800 mètres du fleuve (voir 4.3.5), est émis par diffusion (voir 4.3.6) ou oxydé le long du fleuve Sinnamary (Figure 4.6, Figure 4.8) (Abril et al., 2005; Guérin et Abril, 2007). Les plus faibles taux d’oxydation du CH4 dans les incubations d’eau filtrée que dans les incubations d’eau non filtrée mettent en évidence que la présence de particules stimulent l’oxydation du CH4 dans le fleuve Sinnamary. Ceci a déjà été observé dans d’autres rivières et estuaires, la présence de particules en suspension est en effet favorable au développement des méthanotrophes (de Angelis et Scranton, 1993; Abril et al., 2007; De Junet et al., 2009). Les filtrations effectuées sur une partie des échantillons incubés ont donc modifié la communauté bactérienne. De plus la chute des taux d’oxydation du CH4 entre 0,8 km et 36,5 km met en évidence que l’activité des méthanotrophes est dépendante de la concentration en CH4 (Guérin et Abril, 2007). Dans le fleuve en aval les méthanotrophes ne sont pas affectées par la lumière car (i) la turbidité de l’eau est importante et (ii) l’agitation dans la colonne d’eau du fleuve les entraînent du fond vers la surface et vice et versa en permanence (Dumestre, 1998).

La constance des concentrations en CO2 le long du fleuve atteste d’une production de ce gaz dans le fleuve (Figure 4.6, Figure 4.8) (Abril et al., 2005). Les incubations d’eau non filtrée, c’est-à-dire représentatives de la chimie des eaux du fleuve, prélevée à 0,8 km et 36,5 km, nous permettent d’estimer que la production totale moyenne de CO2 dans les 40 premiers kilomètres du fleuve en aval du barrage est de 5,92 ± 1,8 Gg (C) an −1 (21,7 ± 6,7 Gg (CO2) an−1). Une partie du CO2 produit provient de l’oxydation du CH4. D’après Guérin et Abril (2007), 40 % du CH4 apporté au fleuve est oxydé. En 2012 - 2013, 2,30 ± 0,37 Gg (C-CH4) an−1 ont été apportés aux premiers 40 kilomètres du fleuve en aval du barrage, 0,689 ± 0,09 Gg (C-CH4) an−1 ont été émis par diffusion et environ 0,617 ± 0,17 Gg (C-CH4) an−1 ont été exportés aux 40 derniers kilomètres du fleuve. Ainsi en 2012 - 2013, 40 % du CH4 apporté au fleuve a bien été oxydé. Environ 50 % du CH4 prélevé par les bactéries méthanotrophes est respiré en CO2lors de la croissance bactérienne (Bastviken et al., 2003) soit, à Petit Saut, 20 % du CH4apporté aux premiers 40 kilomètres du fleuve. Les apports au fleuve étant de 2,30 ± 0,37 Gg (C-CH4) an−1 on calcule que 0,46 ± 0,07 Gg (C-CO2) an−1proviennent de l’oxydation du CH4par les méthanotrophes. Seulement 10 % du CO2 produit dans fleuve provient de l’oxydation du CH4, ce n’est donc pas la principale source de CO2 en aval du barrage. Le reste du CO2 produit provient de la dégradation de la MO provenant du lac, c’est-à-dire de la dégradation du COD et du COP (Abril et al., 2005; De Junet et al., 2009). Les incubations d’eau filtrée, c’est-à-dire contenant de la MO uniquement sous forme de COD, prélevée à 0,8 km et 36,5 km, nous permettent d’estimer une production moyenne de CO2 via la dégradation du COD à partir des taux de production du COD. Elle est de 3,19 ± 1,3 Gg (C-CO2) an−1 soit 50 % de la production totale de CO2 dans le fleuve en aval du barrage. Le reste de la production étant due au COP, la dégradation du COP participerait à la production de 40 % du CO2 produit dans le fleuve en aval et non 18 % comme l’avait estimé De Junet et al. (2009). L’augmentation de l’oxygénation ne modifie pas les taux de production de CO2 car elle affecte principalement les concentrations en CH4 or l’oxydation du CH4 n’est pas la source majoritaire de CO2 dans le fleuve en aval du barrage.

La chute de la conductivité le long du fleuve Sinnamary en aval du barrage (Figure 4.6) semble principalement liée à la minéralisation de la MO issue du lac dans les eaux oxygénées du fleuve. En effet, il est peu probable que la diminution de la conductivité soit liée à un effet dilution par les eaux des affluents du Sinnamary puisque ces apports sont faibles en comparaison de ceux du lac de Petit Saut.

En 2012 - 2013, les concentrations en CH4 à 0,8 km et 36,5 km nous permettent d’estimer que, suivant les mois, 80 à 97 % du CH4 apporté au fleuve a été diffusé ou oxydé avant 36,5 km. Dans le fleuve en aval du barrage, à 36,5 km du barrage, les concentrations en CH4 étaient inférieures à 3 µmol L−1 seulement pendant la saison humide. Les 40 premiers kilomètres du fleuve n’étaient donc pas forcément « suffisants » pour oxyder/diffuser les grandes quantités de CH apportées par le lac de Petit Saut. Les

même ordre de grandeur que celles mesurées en surface des rivières en amont du lac. Ainsi l’ensemble du fleuve Sinnamary aval semble être principalement sous l’influence des apports du lac de Petit Saut et ce jusqu’à plus de 40 kilomètres du barrage.

4.3.3 Variations spatiales et saisonnières des émissions par diffusion en surface du