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1.4 Les lacs de barrages hydroélectriques : Anthropisation des écosystèmes naturels

1.4.3 Modifications dues à la mise en place d’un barrage

1.4.3.2 Dynamique et émissions des gaz à effet de serre dans les lacs de barrage . 32

Les premières années suivant la mise en eau, la dégradation de la matière organique des sols et de la biomasse inondée s’accompagne d’une forte production de CO2 et d’une diminution de la concentration en oxygène dans l’hypolimnion et les sols ennoyés qui peuvent devenir anoxiques (Galy-Lacaux, 1996; Deshmukh, 2013; Chanudet et al., 2015). L’anoxie des sols inondés permet la mise en place de la mé-thanogenèse (Galy-Lacaux, 1996; Deshmukh, 2013). De grandes quantités de CO2 et de CH4 sont donc produites les premières années suivant la mise en eau (Delmas et al., 2001; Teodoru et al., 2012). Du N2O peut être produit (i) lors de la dégradation de la matière organique via la dénitrification dans les sols inondés anoxiques (cf 1.3.5.3), (ii) lors de la nitrification de l’ammonium produit en grande quantité lors du « trophic upsurge » et enfin (iii) le N2O peut être produit aux interfaces oxique - anoxique via la nitrification et la dénitrification dans les colonnes d’eau de lacs de barrages stratifiés (Mengis et al., 1997). Suivant l’écosystème présent avant la mise en eau l’importance des apports allochtones dans les émissions de GES peut varier. Dans le cas des lacs de barrages tropicaux la quantité de MO ennoyée lors de la création du barrage est généralement conséquente (Galy-Lacaux, 1996) ainsi l’importance de la MO allochtone dans les émissions de GES les premières années suivant la mise en eau est généralement très faible (Abril et al., 2005; Guérin et al., 2008a). Cependant dans le cas de lacs de barrage construits sur d’anciennes zones de cultures la MO ennoyée est peu importante en comparaison des apports par le bassin versant (Downing et al., 2008).

Les gaz à effet de serre produits dans les lacs de barrages sont émis via les mêmes voies que celles des lacs naturels : via la diffusion, via l’ébullition et via les plantes (cf 1.3.7). Ainsi, en raison des fortes concentrations en GES dans la colonne d’eau des lacs de barrages les premières années suivant la mise en eau, les flux diffusifs et ébullitifs augmentent les premières années suivant la mise en eau (Delmas

et al., 2001; Teodoru et al., 2012; Deshmukh, 2013). Deux à trois ans après la mise en eau, l’épuisement

du pool de matière organique labile et le ralentissement de son taux de dégradation s’accompagnent d’une diminution des concentrations en CO2 et CH4 dans la colonne d’eau (Abril et al., 2005). La chute des concentrations en CH4 est aussi liée à la mise en place de méthanotrophes, au cours de la première année suivant la mise en eau, qui oxydent le CH4 (cf 1.3.5.2) (Dumestre et al., 1999). Les émissions par diffusion et ébullition diminuent donc avec l’âge des lacs de barrages (Galy-Lacaux et al., 1999; Abril

et al., 2005; Bastien et al., 2011; Teodoru et al., 2012). Dans les lacs de barrages tropicaux, l’ébullition

est la voie principale d’émission du CH4 par le lac de barrage les 10 premières années suivant la mise en eau mais elle peut devenir négligeable avec le temps (Abril et al., 2005; Bastien et Demarty, 2013). Dans les lacs de barrages boréaux les émissions de CH4 par ébullition sont généralement négligeables devant celles par diffusion (Huttunen et al., 2003a; Juutinen et al., 2003; Teodoru et al., 2012). Les émissions de gaz à effet de serre diminuent plus rapidement en climat boréal qu’en climat tropical (Aberg et al., 2004; Tremblay et al., 2004; Abril et al., 2005; Barros et al., 2011). Dans les lacs de barrages tropicaux, la plus grande quantité de matière organique mise en eau, les plus fortes températures dans la colonne d’eau et les sédiments, et l’existence d’un hypolimnion anoxique stimulent la production de gaz à effet

matière organique ennoyée sur le long terme (Campo et Sancholuz, 1998), et diminuent la solubilité des gaz à effet de serre ce qui favorise l’ébullition du CH4 (Yamamoto et al., 1976; Chanton et al., 1989). De plus l’acidité des eaux des lacs de barrages tropicaux est favorable au maintien d’eaux sursaturées en CO2 et donc aux émissions de ce gaz par diffusion (Wetzel, 2001). La diffusion est la principale voie d’émission du CO2 par les barrages (Abril et al., 2005; Bastien et al., 2011; Teodoru et al., 2012; Bastien et Demarty, 2013; Deshmukh, 2013). L’évolution temporelle de la concentration en N2O après la mise en eau n’a été réalisée que sur le barrage de Nam Theun 2 mais seulement deux années ont été présentées dans les travaux de Deshmukh (2013) et ne permettent pas de conclure sur les évolutions temporelles de sa concentration dans la colonne d’eau et de ses émissions.

Les variations d’émissions ne se limitent pas à des variations inhérentes à la latitude des lacs. En effet des variations spatiales sont observées au sein même des lacs de barrages. De nombreuses études ont mis en évidence que les émissions de gaz à effet de serre par les zones littorales et les zones de marnage étaient importantes (Huttunen et al., 2003b; Wang et al., 2006; Zheng et al., 2011; Diem et al., 2012; Deshmukh, 2013; Venkiteswaran et al., 2013; Yang et al., 2013b,a; Musenze et al., 2014a; Yang et al., 2014, 2015). Ces variations d’émissions sont liées à la nature des sols et de la biomasse inondés (teneur en CO et labilité), à la présence de végétation dans les zones peu profondes et à l’existence de l’ébullition uniquement dans les zones peu profondes des lacs (Teodoru et al., 2011; Deshmukh, 2013; Yang et al., 2014, 2015). Dans les lacs de barrages, le débit de l’eau est en permanence contrôlé par l’usine du barrage. Lorsque la demande en énergie est forte le niveau de l’eau du lac peut fortement diminuer. Pendant les périodes d’étiage, les sols humides sont mis à l’air libre, ils peuvent être rapidement recolonisés par la végétation. Lorsque le niveau de l’eau ré-augmente (pluies, diminution de la demande...), la végétation est à nouveau mise en eau. Sa dégradation peut être à l’origine d’importants flux de gaz à effet de serre, notamment de CH4 (Chen et al., 2009; Yang et al., 2012). De plus la mise en eau des sols précédemment en contact avec l’atmosphère s’accompagne d’une diminution du potentiel réducteur des sols. La respiration aérobie décroît donc au profit de la respiration anaérobie. Suivant la hauteur d’eau, si l’anaérobie stricte est atteinte il y a production de CH4 qui peut diffuser dans la colonne d’eau, être transporté par les plantes ou être émis par ébullition (Yang et al., 2015). À Nam Theun 2 (Laos), les deux années suivant la mise en eau, cette zone de marnage correspondait à 16 - 25 % des émissions totales de CO2, 3 - 5 % des émissions totales de CH4 et 54 - 79 % des émissions totales de N2O (Deshmukh, 2013). D’après Roland

et al. (2010), négliger les variations spatiales à l’échelle du lac de barrage sous-estimerait de 25 % les

émissions de CO2 des lacs de barrages. En effet les zones majoritairement échantillonnées dans les lacs de barrages sont les zones pélagiques (Barros et al., 2011).

Les variations spatiales observées au sein des lacs de barrages ne se limitent pas à des variations entre les zones de marnage ou littorale et la zone pélagique. Des études récentes ont mis en évidence une hétérogénéité longitudinale, c’est-à-dire de la rivière en amont du lac vers le barrage, des flux de CO2 vers l’atmosphère et de la production primaire en surface (Vidal et al., 2012; Cardoso et al., 2013; Pacheco

et al., 2015). La rivière est une zone propice à de fortes concentrations en nutriments mais la production

primaire y est limitée en raison des fortes turbidité et turbulence des eaux (Thornton, 1990; Pacheco

et al., 2015). En amont du lac de barrage, les concentrations en CO2 sont plus élevées que celles dans la zone de transition et dans le lac (Cardoso et al., 2013; Pacheco et al., 2015). Dans la zone de transition, la quantité de nutriments est encore élevée et, la turbidité et la turbulence ayant diminuées, la production primaire augmente par rapport à celle dans la rivière (Thornton, 1990; Pacheco et al., 2015). De plus, les taux de minéralisation dans les sédiments de la zone de transition sont élevés (Cardoso et al., 2013) ainsi, malgré l’augmentation de la production primaire, les concentrations en CO2 sont plus élevées que celles mesurées dans la zone pélagique (Pacheco et al., 2015). Dans la zone pélagique, les faibles taux de minéralisation dans les sédiments (Cardoso et al., 2013) sont couplés à une faible production primaire en raison des faibles concentrations en nutriments (Thornton, 1990), ainsi les concentrations en CO2 sont plus faibles que celles mesurées dans la zone de transition (Pacheco et al., 2015). Les études de Cardoso

et al. (2013) et Pacheco et al. (2015) montrent donc que l’échantillonnage seul de la zone pélagique peut

Les lacs de barrages, comme les lacs naturels, présentent des variations saisonnières de leurs émissions. Dans les lacs de barrages, les concentrations en gaz à effet de serre dans la colonne d’eau, et donc les flux diffusifs associés, dépendent du temps de résidence des eaux qui peut varier avec les saisons (Galy-Lacaux et al., 1999; Abril et al., 2005). Dans les lacs de barrages tropicaux, les concentrations en gaz à effet de serre sont plus élevées en saison sèche qu’en saison humide car le temps de résidence des eaux augmente alors. Cette augmentation du temps de résidence est due à une diminution du débit entrant et donc du débit turbiné. Ainsi, dans les lacs de barrages tropicaux, les flux diffusifs en saison sèche sont en moyenne supérieurs à ceux mesurés en saison humide (Abril et al., 2005; Guérin et Abril, 2007). Ces variations entre les saisons humide et sèche peuvent être jusqu’à un ordre de grandeur supérieures aux variations inter-annuelles (Abril et al., 2005). Dans les lacs de barrages tropicaux, on note aussi une augmentation occasionnelle du flux diffusif au début de la saison humide en raison du mélange de la colonne d’eau (plongée des eaux de pluie plus froides) ce qui permet la remontée d’eaux plus chaudes et riches en gaz à effet de serre dissous accumulés pendant la saison sèche (Guérin et Abril, 2007). Dans les lacs de barrages tempérés, un pic d’émission de CO2 est généralement observé à l’automne en raison du mélange de la colonne d’eau (Halbedel et Koschorrek, 2013; Knoll et al., 2013). Dans les lacs de barrages boréaux, un pic des émissions est visible au printemps. Il est dû à la libération des gaz à effet de serre qui se sont accumulés sous la glace pendant l’hiver et à l’efflorescence alguaire qui a lieu à cette période. Du printemps à l’automne les flux de gaz à effet de serre des lacs de barrages boréaux ne présentent pas de variations saisonnières (Huttunen et al., 2002, 2003a; Demarty et al., 2009).

Bien que la dégradation des troncs d’arbres mis en eau soit lente (Martius, 1997; Campo et Sancholuz, 1998; Abril et al., 2013), les troncs d’arbres se situant au dessus du niveau de l’eau semblent constituer une source additionnelle de gaz à effet de serre non négligeable à l’échelle de la vie d’un barrage (100 ans). Abril et al. (2013) ont en effet mis en évidence que la décomposition des troncs d’arbres au dessus du niveau de l’eau pouvait représenter 26 à 45 % des émissions totales et intégrées sur 100 ans des barrages de Balbina et Petit Saut.

1.4.3.3 Émissions en aval des barrages hydroélectriques

Encore trop peu d’études s’intéressent aux émissions en aval des barrages hydroélectriques. Cepen-dant la construction d’un barrage hydroélectrique entraîne l’apparition d’une nouvelle voie d’émission : le dégazage (Figure 1.6). Ce flux a lieu à la sortie des turbines de l’usine hydroélectrique. Son impor-tance dépend de trois paramètres : le débit, contrôlé en permanence suivant la demande d’énergie, la concentration en gaz dans l’eau passant les turbines et la hauteur de chute de l’eau. Diem et al. (2012) ont en effet mis en évidence que le dégazage en sortie des turbines était plus important lorsque la hau-teur de chute d’eau était grande, une haute chute d’eau favorise la turbulence et donc le dégazage. La concentration en gaz à effet de serre dans les turbines dépend de la hauteur de prise d’eau au niveau du barrage, les eaux de l’hypolimnion étant plus concentrées en gaz à effet de serre que les eaux de l’épilimnion (Figure 1.4, cf 1.3.5). Pour les barrages dont les eaux turbinées correspondent à des eaux provenant de l’hypolimnion riche en gaz à effet de serre dissous, le dégazage est une voie importante d’émission de gaz à effet de serre (Soumis et al., 2004; Abril et al., 2005; Roehm et Tremblay, 2006; Kemenes et al., 2007, 2011; Li et Zhang, 2014; Teodoru et al., 2015; Wang et al., 2015). Lorsque les eaux transitant par les turbines proviennent de l’hypolimnion riche en gaz à effet de serre dissous, elles sont sujettes à une forte diminution de pression lorsqu’elles sont rejetées en aval du barrage. D’après la loi de Henry, cette diminution de pression va entraîner une diminution de la solubilité des gaz dans l’eau, ils vont ainsi s’échapper dans l’atmosphère, on dit alors qu’il y a dégazage. Le dégazage a aussi lieu au niveau des systèmes d’aération créés pour ré-oxygéner les eaux (exemples : seuils d’aération des barrages de Petit Saut en Guyane Française, Galy-Lacaux et al. (1999) et de Nam Theun 2 au Laos, Deshmukh (2013)).

du lac. Le dégazage est généralement la voie d’émission majoritaire du CH4 dans les lacs de barrages tropicaux (Abril et al., 2005; Kemenes et al., 2007; Bastien et Demarty, 2013) cependant elle peut être devancée par l’ébullition lorsque celle-ci est importante (DelSontro et al., 2011). Dans les lacs de barrages boréaux, l’importance du dégazage du CH4 peut être inférieure à celle de la diffusion en surface du lac car la quantité totale de CH4 émis via la diffusion est fonction de la surface du lac de barrage alors que le dégazage a lieu en un unique point. Ainsi, le dégazage du CH4 peut être négligeable devant les émissions par le lac (Bastien et al., 2011; Teodoru et al., 2012). Les émissions de CO2 par dégazage, bien que non négligeables, sont inférieures à celles via la diffusion en surface du lac en raison de la forte solubilité du CO2 dans l’eau (Abril et al., 2005; Teodoru et al., 2012; Bastien et Demarty, 2013).

Les émissions en aval ne se limitent pas aux émissions en sortie des turbines, les fleuves en aval des barrages hydroélectriques sont aussi sujets à des émissions en raison des apports, de gaz à effet de serre et de matière organique, par le barrage (Abril et al., 2005; De Junet et al., 2009; Deshmukh, 2013; Prasad et al., 2013). Les barrages dont les eaux turbinées proviennent de l’hypolimnion apportent des eaux riches en gaz à effet de serre au fleuve aval. La fraction de gaz à effet de serre qui n’a pas dégazé peut diffuser vers l’atmosphère. Le flux diffusif de CH4 diminue le long des fleuves situés en aval des barrages hydroélectriques car le CH4 est oxydé dans les eaux oxygénées de ces fleuves (Abril et al., 2005; Guérin et al., 2006; Guérin et Abril, 2007; Deshmukh, 2013). Le CO2 est aussi émis en aval des barrages hydroélectriques en raison des apports de CO2 par le lac de barrage et de la production de CO2 à partir de la matière organique apportée par le lac de barrage (Abril et al., 2005; De Junet et al., 2009; Prasad et al., 2013). L’étude de Deshmukh (2013) met en évidence que du N2O est aussi émis en aval du barrage de Nam Theun 2 via diffusion. Les émissions par diffusion en surface du fleuve en aval du barrage sont généralement d’un ordre de grandeur inférieures aux autres voies d’émissions (Abril et al., 2005; Deshmukh, 2013). Cependant, le total des émissions en aval des barrages hydroélectriques, par dégazage et flux diffusif, peut être important dans le bilan global des émissions d’un barrage. Abril et al. (2005) estiment notamment que, en 2003, 57 % des émissions de CH4 ont eu lieu en aval du barrage de Petit Saut (Guyane Française). Cette tendance est confirmée par les études de Kemenes et al. (2007, 2011) en 2004 - 2006 sur le système de Balbina (Brésil) où 55 % des émissions de CH4 se faisaient en aval.