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Les eaux continentales font partie intégrante des cycles du carbone et de l’azote des surfaces conti-nentales. Les eaux continentales autotrophes sont des puits de carbone lorsque la production primaire par le phytoplancton est supérieure à la dégradation de la matière organique lors des respirations aéro-bie et hétérotrophe du phytoplancton et du zooplancton. Les eaux continentales hétérotrophes sont au contraire des sources de carbone (CO2 et CH4), la dégradation de la matière organique dans la colonne d’eau et les sédiments y est supérieure à la production primaire dans la couche euphotique. Les gaz à effet de serre sont produits directement lors de la dégradation de la matière organique autochtone et allochtone dans la colonne d’eau et les sédiments (CO2 et CH4) et indirectement via la production d’espèces dissoutes (NH+4 et COD) qui seront transformées en gaz à effet de serre dans la colonne d’eau (N2O et CO2). Les gaz à effet de serre peuvent être émis dans l’atmosphère via la diffusion, l’ébullition ou via les plantes. Les émissions des eaux continentales varient avec les saisons qui impactent la force de la stratification thermique de la colonne d’eau. L’étude des eaux continentales est de plus en plus souvent réalisée avec des outils isotopiques qui permettent notamment d’identifier les sources de carbone et d’azote utilisées lors des différents processus biogéochimiques ayant lieu dans la colonne d’eau et les variations saisonnières de ces processus et des apports du bassin versant.

L’importance des eaux continentales dans le bilan global des émissions de gaz à effet de serre et dans les bilans de carbone et d’azote globaux est encore aujourd’hui mal connue. Des incertitudes persistent encore sur les quantités de gaz à effet de serre émises par les eaux continentales et les quantités de carbone et d’azote transférées aux océans. Ces incertitudes sont principalement liées à l’anthropisation des eaux continentales. En effet, l’Homme, de part ses activités (industrie, agriculture, vie quotidienne), modifie les flux de carbone et d’azote aux eaux continentales. De plus il modifie les flux de carbone et d’azote à l’océan en construisant des barrages sur les rivières. La construction de barrages s’accompagne aussi d’une augmentation de la superficie des eaux continentales et d’une modification des flux de gaz à effet de serre vers l’atmosphère.

L’énergie hydroélectrique a longtemps été considérée comme une énergie exempte d’émissions de carbone dans l’atmosphère. Cependant la création d’un lac de barrage, hydroélectrique ou non, modifie les cycles du carbone et de l’azote précédemment en place dans la rivière. Les lacs de barrage sont en effet sujet à de forts taux de séquestration du carbone et de fortes émissions de gaz à effet de serre notamment les années suivant la mise en eau. Les émissions par les lacs de barrage diminuent avec leur âge. Les émissions par les lacs de barrages boréaux et tempérés sont généralement inférieures à celles des

faibles températures dans les lacs de barrages boréaux et tempérés. Les émissions par les lacs de barrages varient aussi à l’échelle du lac en raison de l’hétérogénéité spatiale des sédiments (quantité et labilité du carbone et de l’azote), des variations de la production primaire en surface du lac suivant un gradient longitudinal (rivière vers barrage) et de la profondeur de la zone d’émission considérée dans le lac. Les émissions de gaz à effet serre suite à la mise en place d’un barrage hydroélectrique ne se limitent pas au lac de barrage (ébullition et diffusion) mais concernent aussi le fleuve en aval du barrage (dégazage et diffusion). Les émissions de gaz à effet de serre par les barrages sont de mieux en mieux quantifiées mais il existe encore des incertitudes notamment sur les quantités de carbone et d’azote exportées en aval des barrages et sur les quantités séquestrées dans les sédiments des lacs de barrages.

Chapitre 2

Site d’étude, le barrage hydroélectrique

de Petit Saut en Guyane Française

2.1 Le barrage et le lac de Petit Saut et le fleuve Sinnamary en aval

du barrage

Le barrage hydroélectrique de Petit Saut est situé à 5°N et 53°W sur l’ancien lit du fleuve Sinnamary (Figure 2.1, Figure 2.2).

Figure 2.1 – Localisation du barrage de Petit Saut (D’après AIHP-Géode, Université des Antilles et de la Guyane).

Il a été réalisé par le Centre National des Équipements Hydroélectriques d’Électricité De France (CNEH-EDF). Sa mise en eau a eu lieu en Janvier 1994, le niveau maximal a été atteint en Juillet 1995 (35 m). Les quatre turbines d’une puissance totale de 115 MW ont pour but d’alimenter en électricité les principales villes de la côte guyanaise (Cayenne, Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni...) ainsi que le Centre Spatial Guyanais. Le barrage de Petit Saut a été construit à environ 80 km de l’Océan Atlantique sur le fleuve Sinnamary. Le fleuve Sinnamary prend sa source à 125 m d’altitude au cœur de la Guyane. Il parcourait 245 km jusqu’à l’océan dans un relief peu élevé de collines en demi-orange (De Granville,

1994) avant la mise en eau. Ces collines sont recouvertes d’une forêt primaire dense. Le bassin versant du Sinnamary représente 7 000 km2 jusqu’à l’océan dont 5 927 km2 à Petit Saut. La création du lac de barrage de Petit Saut a entraîné la mise en eau de 365 km2 de forêt primaire et la formation de 105 km2 d’îles. Les autres caractéristiques du barrage, du lac de barrage et du fleuve en aval sont résumées dans le Tableau 2.1 :

Moyenne Intervalle de valeurs LAC de BARRAGE Surface (km

2) 1 333 273 - 365

Volume (km3) 1 3,0 2,2 - 3,5

Débit entrant (m3s-1) 2 235 3 - 2 481 et Temps de résidence (mois)

2 4,3 0,44 - 300

Débit turbiné (m3s-1) 2 215 44 - 489

BARRAGE Profondeur (m) 10 0 - 35

Tsurf ace (°C)3 30,6 27,7 - 33,2

Surface (km2) < 40 km4 4 n.m.

AVAL du BARRAGE Surface (km2) > 40 km4 17 n.m.

Intervalle de marée 5 0,5 n.m.

Rivière et estuaire Profondeur (m)5 4 3 - 5

Teau (°C)6 26,6 24,1 - 29,9

Tableau 2.1 – Caractéristiques du système Petit Saut (1996 à 2013).

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La surface moyenne et le volume moyen du lac de barrage ont été estimés à partir de la côte moyenne du lac et de la courbe hypsométrique. La côte moyenne a été calculée avec les valeurs mensuelles entre 1996 et 2013.2 Les débits moyens ont été calculés à partir des données journalières de débit de 1996 à 2013. Les temps de résidence ont été calculés à partir des données journalières de débit entrant et de volume (déterminé à partir de la côte au niveau du barrage) de 1996 à 2013.

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La température moyenne en surface du lac a été calculée à partir des données mensuelles de température de surface de la station Roche Genipa entre 1996 et 2013.4 Abril et al. (2005).5 Richard (1996).6 La température moyenne en surface du fleuve en aval du barrage de Petit Saut a été calculée à partir des données mensuelles de deux stations du fleuve Sinnamary, Petit Saut (0,8 km) et Pointe Combi (36,5 km), entre 1996 et 2013.

À Petit Saut, trois thèses ont eu lieu après la mise en eau sur les émissions de gaz à effet de serre et le cycle du carbone (Galy-Lacaux, 1996; Dumestre, 1998; Guérin, 2006). Le jeu de données créé lors de ces travaux de recherche est enrichi par le suivi mensuel réalisé par le laboratoire Hydreco depuis la mise en eau en 1994. Les paramètres de qualité des eaux et les concentrations en CH4, CO2, NH+4et NO3 des eaux de la station Roche Genipa, située dans la zone pélagique du lac de Petit Saut, ont en effet été mesurés tous les mois depuis la mise en eau du lac de Petit Saut en 1994, cette station est donc la station de référence du lac de Petit Saut.

À Petit Saut il existe quatre points de passage des eaux du lac au niveau du barrage (Figure 2.2) :

– les turbines : sont contrôlées par l’usine EDF. La concentration des eaux passant par les turbines est un mélange de la colonne d’eau de la station Roche Genipa (18 % épilimnion + 82 % hypolimnion) (Galy-Lacaux et al., 1999; Abril et al., 2005).

– les vannes de fond : sont contrôlées par l’usine EDF. La concentration des eaux passant par les vannes de fond peut être approximée par la moyenne des concentrations de 25 m au fond de la station Roche Genipa (Richard, 1996).

– le clapet de surface : est contrôlé par l’usine EDF afin de ré-oxygéner les eaux en aval du barrage lorsque ceci est nécessaire. Les eaux passant par le clapet de surface sont des eaux de surface du

– le déversoir de surface : la quantité d’eau qui se déverse en aval n’est pas contrôlable par l’usine EDF. Ce point du barrage permet d’évacuer le trop plein qui menace l’édifice pendant les saisons humides.

La construction du barrage a grandement perturbé le fleuve Sinnamary. En effet l’année suivant la mise en eau il a été montré que les eaux provenant du barrage étaient totalement anoxiques ainsi la vie en aval immédiat du barrage était impossible (Richard, 1996). Un système d’aération a été rapidement mis en place dans le canal de fuite de l’usine environ 100 m après le barrage afin de ré-oxygéner les eaux (Figure 2.2). Sa hauteur, initialement de 5,40 m, a été diminuée par deux fois de 1,20 m (Décembre 2001 et Février 2003) (Richard et al., 2005). Actuellement le seuil aérateur a une hauteur de 3,4 m, ce qui est aujourd’hui suffisant pour avoir une concentration supérieure à 2 mg(O2) L−1 à Pointe Combi (à 36,5 km en aval du barrage) (Richard, 1996).

Figure 2.2 – Le barrage de Petit Saut vu du fleuve Sinnamary (E. Cailleaud, Juillet 2013)