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Durabilité et stabilité chez les petits planteurs

Valeur du kg de caoutchouc en kg riz et production : Indonésie 1900/

Encadré 5 : Les transmigrants javanais

B) Les CAF ou Complex Agroforestry Systems (Systèmes Agroforestiers Complexes).

2.2.2 Durabilité et stabilité chez les petits planteurs

Une des composantes clé du concept agroforestier dans les pratiques culturales paysannes est la “durabilité” (ou la “soutenabilité”) des systèmes issues de ces pratiques. En quoi la durabilité en agroforesterie est-elle une constante importante système technique et génératrice de changement technique ? Quel est son impact sur le changement social à travers la gestion du foncier, de la main d’oeuvre... et surtout du territoire villageois? Les éléments développés dans le paragraphe suivant tentent de répondre à cette question.

Définition du concept de durabilité en agriculture et utilisation pour les agroforêts.

Les systèmes agroforestiers à base d’hévéas sont des systèmes “écologiquement durables” (Penot 1998)(Michon, Foresta et al. 1995). Le comportement écologique des jungle rubber, et conséquemment de certains systèmes de type RAS, est proche de celui des forêts secondaires avec tous les avantages environnementaux des systèmes forestiers en termes de gestion de la fertilité, et de l’eau (Michon, 1997). Les plantations d’hévéa en monoculture ont elles même des avantages évidents en matière de maintien de la fertilité et de réhabilitation de zones peu fertiles (Tillekeratne 1996), (Sethuraj 1996). Ils sont également “économiquement durables”, comme beaucoup d’ailleurs de cultures pérennes. L’agroforesterie a donc pour composant organique, “primordial”, le concept de durabilité.

Cette notion de développement durable, de “durabilité des actions”, “d’agriculture durable” (donc indirectement de durabilité des systèmes de culture qui découlent des choix techniques et des stratégies paysannes), est issue des travaux préparatoires à la Conférence de Rio de 1992, et en particulier du discours politique du “rapport Bruntland” pour les Nations Unies en 1987. Le concept est donc relativement récent. Il est défini comme “un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins” (Bruntland, 1992). Il est né de la dialectique entre “conserver et construire”, et entre “transmettre et transformer” (Landais 1998). Le développement durable est indissociable du concept d’environnement.

On retrouve ici le lien entre système technique et environnement, lien cher aux populations mettant en oeuvre des agroforêts. La “durabilité” d’un choix technique ou d’un système de culture revient à concilier les exigences du long terme avec les nécessités du présent. Il est remarquable que certaines populations de Kalimantan et Sumatra aient, consciemment ou non, intégré ce concept et l’aient même modernisé en intégrant des cultures “nouvelles”, telle l’hévéa.

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Le concept de durabilité estaussi une expression des stratégies paysannes qui consistent

principalement à ne pas détruire un outil de production particulier car biologique et non mécanique et lié à “la vie”et non strictement au minéral.

L’agriculture durable45 devient alors “un nouveau contrat social” pour des agricultures

modernes de type productiviste comme celles des pays européens (Landais 1998). On est en droit de se demander si ce contrat social, redécouvert pour nos agricultures européennes dites modernes, n’a pas toujours été présent pour ces populations développant des systèmes durables après avoir été marquées si longtemps par une double approche : la collecte en forêt primaire (système durable par excellence) et l’agriculture itinérante (système durable seulement en dessous d’un certain seuil de population, donc par définition non durable puisque la population croit).

On peut aussi comparer la notion de durabilité avec les trois autres fonctions de la grille d’analyse de Conway : stabilité et équité ne sont elles pas des conséquences du choix lié à un certain niveau de sécurité ?. “Sustainability” en anglais peut se traduire par durabilité ou soutenabilité mais la notion principale est de “ maintenir ”. Si la durabilité est synonyme de stabilité et de pérennité potentielle, la “soutenabilité” fait alors plus appel a la “vivabilité’ d’une situation donnée. Une situation est durable au sens soutenable si elle est moralement “acceptable” sur le plan de la qualité de la vie (Conway 1993). Le lien entre productivité du travail , pénibilité et choix de vie sous- tend les stratégies paysannes.

Développement durable et durabilité

Finalement les politiques (et peut être aussi les chercheurs), en ré-introduisant le concept de durabilité, ré-inventent la roue en précisant que “la protection des ressources et des milieux naturels est une condition nécessaire pour assurer la durabilité du développement”. Landais nous suggère que le concept de durabilité se construit graduellement dans la conscience collective (Landais 1998). Il fait alors spécifiquement référence à nos agricultures modèles des pays européens ou nord- américains. Elle a peut-être toujours existé chez les Dayaks ou les Minangs. En tous cas, elle n’a pas disparu chez ces populations pour la période qui nous concerne (1900-2000). On est tenté de s’intéresser aux raisons de cette permanence. Elle semble liée principalement à la notion de risque (par rapport à la culture ) et à la notion de patrimoine transmissible (par rapport à l’existant originel). On retrouve le concept de sécurité : i) sécurité de la production (alimentaire et autres), et ii) sécurité du foncier.

On retrouve içi un concept intégrateur qui relie écologie, économie et le social. La durabilité des exploitations agricoles résulte des rapports que cette exploitation entretient avec son environnement (Landais 1998). Dans ce “lien social”, le lien entre générations est important et peut être même au coeur des stratégies paysannes. Ce lien assure la pérennité du système de production, une source de revenus pendant la

retraite et, du moins partiellement, une source d’activités et de revenus pour les enfants. “Une exploitation durable est viable, vivable, transmissible et reproductible” (Landais 1998).

Le lien économique est celui de la productivité des systèmes de culture par rapport à un environnement économique permettant plusieurs alternatives ou opportunités économiques. Le lien écologique s’incarne dans le lien du territoire. Le foncier, son utilisation, le type de mise en valeur et les modalités de tenure sont donc bien des indicateurs pertinents du changement. L’évolution du droit traditionnel sur la tenure foncière est aussi représentative de l’évolution du social sur le technique. L’analyse sur l’évolution du foncier est donc un critère pertinent de l’évolution entre système technique et système social avec deux tendances interdépendantes : du communautaire au privatisé : de l’agriculture itinérante à celle de plantation. Les jungle rubber se sont développés sur des terroirs à faible fertilité initiale ou la fixation de l’agriculture vivrière est difficilement possible ou alors au prix de risques importants (du à la présence de Imperata en particulier).

Il est symptomatique de voir que les institutions de développement indonésiennes (et de recherche) n’ont d’ailleurs jamais reconnu ni l’agriculture itinérante ni les jungle rubber comme des systèmes de culture à part entière. Comme le rappelle Dove en 1985, on observe deux mondes : le premier, le “monde paysan”, est pragmatique, producteur et finalement écologiquement stable. Le second est le “monde officiel des développeurs” (généralement pétri de culture Javanaise) : dogmatique avec une vision mythique (réductrice) de la réalité (Dove 1985). On retrouve une dichotomie nette sur le plan historique entre un monde Javanais, indianisé et agraire, centré sur l’intensification de la riziculture et un monde extérieur (Dayak par exemple) centré sur l’exploitation de la forêt, extensive par nature. Le monde Javanais est centralisé avec un pouvoir fort et un contrôle politique et social très important sur les producteurs. Le monde Dayak est lui atomisé, tribal et géographiquement découpé, donc sans contrôle social fort autre que celui de l’unité territoriale du village. L’appartenance à ces deux mondes va bien sûr orienter les stratégies paysannes, y compris quand les uns sont transplantés dans le monde de l’autre comme c’est le cas des Javanais transmigrants officiels dans les projets de transmigration.

Sur le plan de l’accès aux marchés et de la commercialisation des produits, on ne constate pas non plus de phénomènes de discontinuité historique. Les produits de collecte de forêt (PFNL ou Produits Forestiers Non Ligneux) étaient généralement des produits à haute valeur ajoutée pour un faible volume pour des marchés d’exportation (Chine, Java, Moyen Orient, puis Europe). Le caoutchouc peut également être considéré comme un produit à valeur ajoutée moyenne pour un volume somme toute raisonnable. En terme de valorisation économique, le passage des PFNL au caoutchouc n’a donc pas été un facteur de rupture, mais au contraire de continuité car

toujours lié à des marchés extérieurs et non consommé sur place.

On sort de l’analyse stricte des critères technico-économiques pour évaluer les performances des exploitations agricoles et des systèmes techniques. Mais quelles sont les valeurs qui déterminent réellement ces performances ?

On ne remet pas en cause le progrès technique. Mais on tente d’adopter une approche “non-Rousseauiste” sur le plan écologique et pragmatique sur le plan économique. Globalement on peut dire que la notion de “durabilité” est intimement liée à celle de “sécurité”. Or nous avons vu que la sécurité, tant des revenus que de la production en elle même, a été au coeur des stratégies paysannes développées autour des jungle rubber et de l’hévéa en général. La durabilité introduit donc un troisième élément de “sécurité globale sur le long terme” : la fonction reproductive, qui s’ajoute à ceux de la sécurité des revenus (issue de la relative sécurité des prix) et de la sécurité de production (issue de la minimisation des risques de culture).

Stratégies paysannes et transmission des