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3. D IFFERENCES ACOUSTIQUES ENTRE LES PRODUCTIONS DES LOCUTEURS FEMININS ET

3.7 Durée des voyelles 55

Toujours dans le domaine temporel, des chercheurs se sont intéressés à la durée des voyelles, du point de vue de la comparaison femmes-hommes. Des tendances significatives ont pu être mises en évidence pour de nombreuses langues.

Dans une étude publiée en 1998, Simpson a étudié les productions vocaliques de 29 hommes et 25 femmes germanophones dans le discours spontané et lors de la lecture d’un texte. Dans les deux cas, les voyelles produites par les locutrices ont été significativement plus longues que celles produites par les locuteurs. L’écart moyen sur l’ensemble des productions est d’environ 11 %. Dans une vaste étude acoustique des voyelles de l’anglais américain menée sur une centaine de locuteurs, Hillenbrand et al. (1995) ont eux aussi observé une durée supérieure pour les voyelles produites par les

locuteurs féminins40 et ce quelle que soit la voyelle. Une tendance similaire a été

constatée par Ericsdotter and Ericsson (2001) sur des locuteurs suédophones (cinq hommes et cinq femmes). Enfin, en français québécois (Martin, 1995, 1998a, 1998b, 2001), des différences significatives ont été trouvées pour certaines voyelles antérieures, qui affichent une durée là encore supérieure chez les femmes.

Cependant, Martin n’a pu observer aucune différence significative sur les voyelles postérieures, et le [ø] semble au contraire être plus long lorsque produit par des hommes. Notons également que Jacewicz et al. (2007), dans une étude portant sur la durée des voyelles dans trois dialectes de l’anglais américain n’ont pas trouvé de différences significatives entre locuteurs féminins et masculins. Seule une tendance a été observée pour l’anglais américain de Caroline du Nord, dans lequel les voyelles produites par les femmes étaient très légèrement plus longues que celles produites par les hommes.

Un autre phénomène a pu être mis en évidence dans certaines langues, dont le système vocalique présente des oppositions entre voyelles longues et voyelles brèves : le contraste de durée entre ces deux types de voyelles serait plus important chez les locutrices que chez les locuteurs. Citons par exemple Wassink (1999), avec une étude menée sur 20 locuteurs du créole jamaïcain, ou encore Johnson et Martin (2001) et leur recherche portant sur les productions vocaliques de locuteurs du Creek (quatre hommes et

40 Les voyelles produites par les locutrices étaient en moyennes 20 % plus longues que celles produites par

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quatre femmes), langue amérindienne. Ces auteurs sont arrivés aux mêmes conclusions : la différence de durée entre les voyelles brèves et les voyelles longues était significativement plus grande dans les productions des femmes que dans celles des hommes.

Cette tendance à l’amplification des contrastes de durée entre les voyelles a également été trouvée chez les locutrices du suédois, mais cette fois-ci sur le plan de l’opposition entre voyelles accentuées et voyelles non-accentuées :

« The Swedish data indicate that women use greater vowel duration contrasts than

men do, the women producing shorter or similar vowel durations in non- stressed positions, and longer vowel durations in stressed positions. » (Ericsdotter &

Ericsson, 2001 : 36)

Selon ces auteurs, les résultats obtenus pour le suédois pourraient ne pas être en contradiction avec ceux obtenus sur d’autres langues, qui montrent en grande majorité que les voyelles des femmes seraient globalement plus longues que celles des hommes : ces divergences ne seraient en réalité qu’une question de méthodologie. En effet, Ericsdotter et Ericsson font remarquer que les principales études publiées jusqu’alors sur les différences hommes-femmes dans la durée des voyelles portaient soit exclusivement sur des voyelles en position accentuée (e.g. Hillenbrand et al., 1995, sur l’anglais américain), soit sur des moyennes qui mélangent voyelles accentuées et non-accentuées (e.g. Simpson, 1998, sur l’allemand). Notons tout de même que la recherche menée par Ericsdotter & Ericsson a été effectuée sur un nombre très restreint de locuteurs (cinq hommes, cinq femmes) ; il semble donc raisonnable de ne pas en tirer de conclusions hâtives.

La durée des voyelles est étroitement liée à la réduction des voyelles, c'est-à-dire à la centralisation de voyelles non accentuées, généralement accompagnée d’un affaiblissement de la durée. Dans une étude portant sur les productions de locuteurs de l’anglais américain, Byrd (1992, 1994) a découvert que les hommes réduisaient plus fréquemment leurs voyelles en [ə] que les femmes, et ce de manière significative. Cette même tendance a été observée par Whiteside (1996), sur une autre variété d’anglais (anglais nord-britannique).

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Une explication socio-phonétique ?

Les différences évoquées dans cette section ont probablement une origine socio- phonétique. En effet, l’hypothèse selon laquelle ces variations seraient liées à la différence de taille du conduit vocal a été formellement contredite expérimentalement (voir Simpson, 2001, 2003). Dans un article ultérieur, Simpson en conclut donc que :

« As with vowel space size differences, a sociophonetic reason is the most likely.

[…] the longer duration of stressed vowels, the greater durational distinction between stressed and unstressed vowels and less reduction of vowel qualities to [ə] can all be treated as phonetic correlates of speaking clearly. Alternatively, opposite patterns in male speakers can be seen as a tendency to speak less clearly. » (Simpson, 2009 : 636)

Les femmes auraient donc tendance à parler avec plus de clarté que les hommes. Cela rejoint les résultats de l’étude de Kramer (1977), portant sur les préjugés des auditeurs à propos des voix de femmes et d’hommes. Pour expliquer ce comportement, Simpson reprend à son compte une hypothèse avancée par Labov (1990) : les femmes adopteraient un type d’énonciation plus clair car elles seraient plus fréquemment que les hommes la principale source d’input langagier pour les nourrissons et jeunes enfants. Notons que cette hypothèse est critiquable à double titre : elle est invérifiable expérimentalement et se fonde sur des stéréotypes sexistes, voire machistes.