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2. LE CADRE DIDACTIQUE

2.2. Du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage

Jacques Tardif (1998) a noté que la conception de l’apprentissage, sur laquelle re- pose les nouveaux curricula au Québec, relève d’une véritable « rupture paradigmatique » (in Cerqua, 2010, p. 31) qui se traduit non seulement par le passage d’un paradigme d’enseignement à un paradigme d’apprentissage mais aussi par des changements quant aux pratiques pédagogiques préconisées dans les programmes en vigueur.

Pour commencer, il convient de définir le terme de paradigme. D’après Kuhn (1990, p. 238), un paradigme « représente un ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné » (in Raynal, 1997). Ensuite, les concepts de paradigme d’enseignement et de paradigme d’apprentissage per- mettent de définir deux écoles de pensée qui n’ont pas les mêmes conceptions quant aux modèles d’enseignement à privilégier. La divergence fondamentale repose sur le plan co- gnitif, soit comment apprend-on?

Le premier, hérité en grande partie du courant béhavioriste, a dominé la psycholo- gie en Amérique du Nord dans la première partie du XXe siècle jusque dans les années 1970. Il a profondément influencé les conceptions pédagogiques contemporaines (Des- biens, 1996; de Corte, 2010). La théorie béhavioriste, qui trouve ses fondements dans l’empirisme et l’associationnisme, repose sur le principe que, la seule source de connais- sances est l’expérience observable et que la vie mentale est régie par les lois de l’association (cf. Watson, Skinner ou Thorndike). La pensée n’est donc qu’un processus mécanique régie par des lois. En l’occurrence, la relation maître/élève est hiérarchique et verticale, l’enseignant (modèle) détient les savoirs qu’il transmet à ses élèves (passifs et malléables) dans le cadre d’une pédagogie axée sur des objectifs (cf. enseignement direct, enseignement programmé, etc.).

Dans le contexte de contestation des années 1960, le courant humaniste, représenté entre autres par Carl Rogers (1902-1987), bouleverse ces conceptions pédagogiques tradi- tionnelles en vigueur en prônant l’abolition pure et simple de l’enseignement tel qu’il est

pratiqué, des examens, des programmes, des diplômes et de toutes formes de sanctions (Simard, 1996). Les méthodes et les programmes doivent désormais graviter autour de l’apprenant et non l’inverse. La connaissance se construit, elle ne se transmet pas. L’école doit favoriser le développement intégral de l’élève qui doit être le maître de ses apprentis- sages dans lesquels il doit s’engager activement de façon responsable. L’enseignant des- cend de l’estrade non pour sanctionner mais pour faciliter la construction des savoirs (cf. pédagogie libertaire, ouverte, actualisante ou non directive par exemple). Cette tendance humaniste se retrouve dans les programmes cadres en vigueur au Québec dans les années 1969-1978 (Raby, 2007, p. 21). Or, ce courant n’est pas le seul à s’opposer au courant bé- havioriste dans les années 1960 : l’apparition des sciences cognitives, sous l’impulsion de Robert Gagné, marque un tournant dans la conception de l’enseignement (Bissonnette, 1996; De Corte, 2010). En effet, d’un point de vue didactique, elles s’attachent plus particu- lièrement au processus d’apprentissage, soit comment l’être humain apprend et mémorise. Si pour les béhavioristes, la psychologie repose sur l’étude des comportements observables, les cognitivistes (cf. Neweil, Simon, Bruner ou Tardif par exemple), quant à eux, s’intéressent aux mécanismes de construction de la connaissance (mémorisation, stratégies cognitives et métacognitives, etc.). Ils considèrent que l’apprentissage est un processus actif de construction des savoirs à partir des connaissances antérieures de l’apprenant. L’enseignant a un nouveau rôle à jouer, soit guider l’élève dans la construction graduelle de connaissances et de compétences tout en soutenant l’apprentissage de stratégies cognitives et métacognitives. Nous constatons ici qu’il y a un glissement de paradigme : on passe d’un paradigme centré sur l’enseignant à un paradigme centré sur l’apprenant. Cette tendance se confirme dans les programmes québécois entre 1986 et 1996 avec les Programmes- habiletés (Raby, 2007, p. 21).

À la fin du XXe siècle, plusieurs pays entreprennent de profondes réformes éduca- tives en rénovant leurs programmes dans une perspective constructiviste et socioconstructi- viste, tournant ainsi définitivement le dos au paradigme de l’enseignement (De Corte, 2010). Le Québec n’est pas en reste puisque le Renouveau pédagogique, s’appuyant sur un

programme par compétences (APC), s’inspire de ces deux derniers courants (Gouverne- ment du Québec, 2007, Chapitre 1, p. 17).

Le constructivisme et le socioconstructivisme ne constitue pas des modèles d’enseignement et ne sauraient dicter des pratiques particulières. Ils correspondent plus largement à des conceptions générales relatives à la manière dont le sujet construit ses connaissances en interaction avec son environnement physique et so- cial (Legendre, 2004; in Cerqua et al., 2010 p. 43)

Jean Piaget (1886-1980) et Lev Vygotsky (1896-1934) sont à l’origine de ces deux grands courants qui ont profondément marqué le champ de l’éducation ces dernières an- nées. Piaget considérait que « l’individu est programmé pour acquérir des connaissances par construction et dans un certain ordre (cf. les stades de développement) à condition que le milieu fournisse les stimulations nécessaires au moment voulu » (Raynal, 1997). Pour Vygotsky, l’enfant est un être social dont le développement repose uniquement sur des inte- ractions avec les adultes. Aussi, l’apprentissage ne se fait pas en enregistrant de l’information mais en l’interprétant. En conséquence, l’apprenant construit ses apprentissa- ges en interaction avec les autres et avec son environnement (Raynal, 1997). Cette théorie13 a inspiré de nombreux modèles d’enseignement qui connaitront un essor au Québec : l’apprentissage par projet, l’apprentissage coopératif, l’apprentissage par problèmes ou l’apprentissage expérientiel (Raby, 2007).

Nous avons résumé ici les différents courants pédagogiques et modèles d’apprentissages relevant du paradigme de l’enseignement et du paradigme d’apprentissage lesquels ont eu une profonde influence sur les programmes québécois au XXe siècle. Il im- porte à présent de présenter les paradigmes disciplinaires relatifs à l’histoire.

13 Jérôme Bruner préface la première traduction en anglais d’un ouvrage de Vygotsky, Pensée et langage, en 1969 laquelle ne sera traduite en français qu’en 1985.