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Chapitre 2. Le problème 'urbanistique' des modes d’occupation ferroviaire des

2.1. Prise de contrôle de la reconversion des sites ferroviaires par la municipalité

2.1.1. Du modernisme préfectoral à l’architecture d’accompagnement municipale 143

Après cent soixante-dix ans d’administration préfectorale, Paris devient en 1975 une commune de plein exercice. 76 Elle se voit alors transférer les compétences en matière d’aménagement : « l’urbanisme parisien, qui se décidait à l’Elysée, chez les promoteurs et dans les services

de la préfecture, redevient l’affaire de la mairie » (Ambroise-Rendu 1987 : 267). Il ne s’agit pas

seulement d’une affaire de compétences formelles. Un régime de planification et d’aménagement urbain, avec ses acteurs, ses outils, ses systèmes de financement et ses sociétés d’aménagement, se restructure autour de la Direction de l’urbanisme. Les emprises ferroviaires vont devenir le terrain d’exercice privilégié de ce régime (Pradella 2011).

76 Le statut d’exception du gouvernement de Paris au regard des autres communes françaises dure sur toute la

période, bien que l’existence et les pouvoirs du Conseil de Paris aient changés. L’autonomie politique et financière s’affirme sous la Ve République avec la loi n° 707 du 10 juillet 1964 et la loi n° 1331 du 31 décembre

1975 (Nivet 2004). Les lois n° 1169 et 1170 du 31 décembre 1982 et n°276 du 27 février 2002 renforcent, elles, le pouvoir des maires et des conseils d’arrondissement. La préfecture garde toutefois l’essentiel des pouvoirs sur les activités de police qui ont fait l’objet d’une « régionalisation silencieuse » avec la mise en place d’une « police d’agglomération » en 2009 (Prat 2012: 316).

Trois ans avant la première élection du maire de Paris en 1977, un nouveau Plan d’occupation des sols a été préparé par l’équipe réformatrice de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR)77 au sein de la Direction de l’urbanisme. Selon l’ancien directeur de l’urbanisme de la ville, ce plan « rompait délibérément avec cet urbanisme, qualifié, à juste titre, de brutal et de déstructurant » (Marvillet 2005). La nouvelle doctrine prône le

retour à une volumétrie mieux accordée aux caractéristiques de l’environnement existant […] après le gigantisme des constructions et les conceptions résolument modernistes qui ont caractérisé la politique d’urbanisme de ces dernières années. (Paris Projet, 1982 : 13).

Parallèlement à la redéfinition des règlements urbains, un Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme est mis au point par l’APUR. Il vise à un « rééquilibrage » de l’est et de l’ouest de Paris à travers un vaste programme multisites de renouvellement urbain des quartiers industriels et populaires78. Cette stratégie prend la forme du Plan-programme de l’est de Paris en 1983 (APUR 1987). Il privilégie la construction de logements et d’équipements et cherche à

« contrôler l’évolution du secteur tertiaire » (APUR 1980 : 76). Ces documents traduisent les

nouveaux préceptes de l’architecture d’accompagnement postmoderne. Ils baissent la hauteur des constructions et imposent l’alignement sur rue afin de « préserver le caractère de Paris » (p.92).

Cette réorientation de l’urbanisme parisien précède donc le changement institutionnel et politique que connaît la capitale en 1977. Mais c’est bien ce changement qui va permettre la mise en œuvre de la réforme urbanistique. Le Conseil de Paris vient de prendre ses fonctions. Il entend en effet modifier les formes des développements urbains et infrastructurels de la période pompidolienne. Il trouve dans ces documents le moyen de manifester sa rupture avec les modes d’interventions antérieurs sur la ville, en même temps qu’il va disposer du pouvoir nécessaire pour mettre en œuvre cette réforme. C’est ainsi que le Plan d’occupation des Sols reçoit des modifications qui amplifient ses orientations initiales. La « diminution des hauteurs », le

« respect de la trame viaire existante », « la conservation et l’amélioration de certains éléments de l’habitat

77 L’APUR a été et reste la principale source de formulation et de préfiguration des politiques d’aménagement

urbain parisien. L’absence d’ingénieurs des grands corps dans ses premières années de fonctionnement est remarquable. Enarque, diplômé de Science-Po, fils d’architecte, Pierre-Yves Ligen est nommé par le Préfet à la tête de la structure dès sa création en 1967. Il devient directeur de l’aménagement à la Direction de l’urbanisme, après l’élection de Jacques Chirac. Son adjoint à partir de 1970 est Jean-Louis Subileau. Il également diplômé de Science-Po. Il a précédemment travaillé à la DATAR. L’architecte François Grether est également recruté en 1970 à l’APUR. Il y est chargé des études de la ZAC Rive Gauche sur le faisceau d’Austerlitz entre 1987 et 1992. Nous le retrouverons, en tant qu’urbaniste du projet urbain de Clichy Batignolles. D’autres architectes, au premier plan de la scène architecturale des années 1980 et 1990, ont collaboré avec la structure dans les années 1970 et 1980 (Dominique Perrault, Henri Gaudin, Bruno Fortier, Pierre Colboc, Jean-Pierre Buffi, etc.). Enfin, l’intérêt pour l’histoire et le patrimoine des tissus parisiens se manifeste notamment dans les contributions de l’historien de l’architecture François Loyer à l’élaboration du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme en 1977.

78 Ce rééquilibrage est une préoccupation politique des élus parisiens depuis le début des années 1970, comme en

ancien » font partie des amendements décidés par la municipalité de Jacques Chirac (APUR

1982 : 15). C’est le nouveau conseil municipal qui, l’année de sa prise de fonction, vote le Plan d’occupation des sols et approuve le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme. En outre, l’APUR qui était auparavant codétenue (et financée) par l’État (42 %), la Ville (42 %) et la Région (16 %) est désormais maîtrisé par la Ville, qui profite du retrait de la Région et de la diminution des parts de l’État (25 %).

La période de structuration du pouvoir municipal des années 1980 mène à un régime de production urbaine contrôlé par la municipalité et soutenu par l’État. Ce régime peut dès lors être qualifié de dirigiste et planificateur du fait du contrôle strict et de l’intervention directe du gouvernement urbain dans les aménagements urbains. Il s’insère dans le « système

Chirac » qui est un « État dans l’État » (Kantor, Savitch, et Vicari 1997: 355). Il profite à la fois

de la position exceptionnelle de la ville dans l’économie nationale et mondiale et de puissants mécanismes redistributifs de la part de l’État central (90 % de ses revenus). S’y ajoute un puissant leadership. Il est produit par la structure intergouvernementale formée par les fonctions nationales du maire et de plusieurs élus, à travers le cumul des mandats79. Dans ce système, l’autonomie des adjoints est très réduite. Ils ne disposent pas de délégation de signature (Idt 2009 : 246). En matière de contrôle des développements urbains, Paris est alors un cas extrême comparé à d’autres villes européennes et américaines.

2.1.2. L’insertion des sites ferroviaires dans le régime urbain parisien