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Chapitre 1. L’étatisation des terrains ferroviaires 87

1.1. La territorialisation du projet spatial d’un réseau ferré national en France et en Italie

1.1.3. Un assemblage de ressources hétérogènes pour installer le chemin de fer dans les villes 101

Les réseaux ferroviaires et leurs installations dans les espaces urbains ont joué un rôle central dans l’industrialisation des villes commerçantes européennes et dans le grand chambardement de l’espace urbain qui l’accompagne. Mais, l’implantation de ces réseaux n’a pas été effectuée de la même façon dans tous les pays d’Europe occidentale. John Reginald Kellett (1969) a restitué le bouleversement sociospatial constitué par l’irruption du système technique ferroviaire dans les villes britanniques de la révolution industrielle. Grâce aux concentrations sans précédent de capitaux qu’elles sont parvenues à agréger et au pouvoir d’expropriation dont l’État les a dotées, les compagnies ont pris possession de 8 à 10% de la surface de ces villes en l’espace de quelques décennies22. Cet « appétit foncier » (land hunger, p.291) a bouleversé les valeurs des terrains, la localisation des activités, la répartition sociospatiale des populations des villes d’outre-Manche :

Les plans des villes britanniques, peu importe dans quelle mesure elles étaient singulières et diverses avant 1830, sont uniformément repris en une génération par le gigantesque coup de brosse géométrique [des ingénieurs ferroviaires…]. Dans un environnement où l’essentiel de l’aménagement avait lieu à petite échelle et était laissé à une spéculation fragmentaire, les bâtisseurs ferroviaires et les grands promoteurs fonciers étaient de loin les acteurs les plus importants (p.2)

C’est un changement d’échelle, d’acteurs et de modalités des transformations urbaines que véhicule le chemin de fer. Il déborde l’infrastructure proprement dite en intéressant également les lieux d’échange, de stockage et de production qu’y s’y rapportent.

22 À titre de comparaison, la SNCF a possédé 500 ha dans Paris (APUR 1980), c’est-à-dire 4,7% du sol de la

Si l’État s’est globalement illustré par son « laissez-faire » (p.25) au Royaume-Uni en matière ferroviaire, les acteurs urbains n’ont pas été indifférents à cette déferlante. Kellett insiste sur le rôle des grands propriétaires fonciers dans l’ouverture de l’espace urbain au réseau ferroviaire. Ils développent des raisonnements spéculatifs en lien avec l’accessibilité à ce service. Dans le cas londonien, il restitue également les instruments d’analyse des « coûts

sociaux » des implantations ferroviaires. Elles ont vu le jour dans les années 1840, dans le cadre

des commissions chargées de comparer les très nombreux projets, présentés par les compagnies pour obtenir des terminus dans la capitale. Les premières études d’impact se sont rapidement sophistiquées pour devenir des analyses coûts-bénéfices23. Les élites politiques et professionnelles ont jugé approprié de subsumer l’ensemble des enjeux urbains et ferroviaires à un étalon monétaire, autrement dit, d’en faire un problème économique.

L’implantation du chemin de fer dans les villes françaises et italiennes a été envisagée autrement. Elle a été, ni aussi bouleversante pour leurs organisations sociospatiales, ni exclusivement marquée par la confrontation d’entreprises fortement capitalisées et de propriétaires fonciers spéculateurs, ni aussi élaborée (ou réductrice) quant à l’appréciation de ses effets socioéconomiques. D’abord, la localisation des emprises ferroviaires s’est effectuée en marge des villes, sur des terrains peu ou pas encore urbanisés. Ensuite, le processus de décision ne s’est pas limité à un face à face entre les compagnies et les élites urbaines. Il a directement impliqué les administrations, les acteurs et les ressources de l’État. Enfin, les décisions ont été accompagnées de débats appuyés sur des projets concurrents, mais ils n’ont pas eu le tour systématique d’analyses coûts-bénéfices des propositions présentées par les compagnies.

Paris, capitale ferroviaire

Si l’histoire ferroviaire française débute dans les environs de Saint-Etienne, les projets d’implantation de gares dans l’espace parisien se multiplient entre 1830 et 184524. Ils sont

23 Des critères toujours plus nombreux tels que les vibrations, le bruit, la fumée, jusqu’au gain de temps ont

progressivement été inclus à ces analyses. Ces quantifications comparent, par exemple, le temps gagné par la pénétration du système ferroviaire dans la ville avec celui perdu par l’obstruction des voies existantes. Aujourd’hui internationalement préconisée pour décider de la réalisation des projets d’infrastructure (Flyvbjerg, Bruzelius, et Rothengatter 2003), l’analyse coûts-bénéfices a ainsi été initialement conçue comme le moyen d’appréhender les relations entre l’espace urbain et le système ferroviaire dans l’Angleterre victorienne.

24 La période de formation des emprises ferroviaires dans la capitale domine les travaux d’historiens à propos de

l’installation du chemin de fer dans les villes françaises. Les projets, leurs acteurs ainsi que les critères de sélection et les processus de décision qui précèdent leur mise en œuvre, ont été élucidés grâce aux travaux de Karen Bowie. Elle rend compte ici des pratiques d’assemblage foncier de James de Rothschild autour de la gare du Nord (1999) ; là des interminables querelles techniques entre le ministère des Travaux publics, la Compagnie du Paris- Orléans et la Ville de Paris sur le faisceau d’Austerlitz (2008) ; là-bas des formes d’expertise employées pour décider du tracé de la ligne Paris-Meaux (2005).

présentés aussi bien par des entrepreneurs, que par des ingénieurs civils ou du corps des Ponts et Chaussées, des sociétés privées ou des entités publiques, et diverses associations entre ces acteurs. Dans ce foisonnement, l’analyse de la sélection de ces projets par l’administration (Commission du Département de la Seine et Conseil général des Ponts et Chaussées) révèle quelques constantes en termes d’acteurs, de critères et de localisation (Sauget 2008). D’abord, les soutiens des premiers projets ferroviaires sont « des aristocrates fortunés, des banquiers et

financiers protestants ou saint-simoniens, des entrepreneurs de transports a priori concurrents (patrons de Messageries, c’est-à-dire de relais de poste) et des hauts fonctionnaires » (p.111). Ensuite, le corps des

Ponts et Chaussées s’est imposé au sein des différentes instances de décision dans la formulation et la sélection des projets d’implantation dans la capitale, notamment vis-à-vis du corps des Mines. Enfin, les critères « apparaissent assez clairement, mais sont parfois difficilement

conciliables : de vastes surfaces planes à un prix abordable, mais à proximité de vrais débouchés ; le plus possible à l’intérieur de Paris tout en restant proche des Barrières, c’est-à-dire à la limite de l’octroi » (p.110).

Finalement, l’attribution d’une gare terminus à chaque réseau en limite de la ville s’impose comme la solution acceptable pour les différentes parties prenantes25. Ainsi, les autorités de la ville et l’administration ferroviaire ont retenu les projets dont l’impact sur l’espace urbain était réduit, tout en étant circonscrits dans la limite fiscale de l’octroi.

Les implantations sont pour partie reliées à des questions foncières26. À Saint-Lazare, Pereire propose une implantation coûteuse à la Madeleine. Il revient dessus pour défendre à la place « le projet d’une gare partant des terrains de Tivoli, dont les fondateurs, MM. Mignon et Hagermann,

avaient offert au Conseil municipal de Paris « la cession gratuite de 16 000 toises de terrain » pour décider les entrepreneurs à bâtir sur leurs terrains afin d’accélérer la plus-value du quartier » (Sauget, 2008:

109). L’introduction du système ferroviaire dans l’espace parisien a été d’abord envisagée comme un arbitrage entre des exigences fonctionnelles et financières par les compagnies. Il s’agit de trouver un équilibre entre un accès à l’espace urbain et les coûts fonciers de cette pénétration.

Il faut bien dissocier la recherche de réduction des coûts d’installation et les logiques spéculatives liées à l’implantation des gares, car les compagnies ne sont pas engagées dans des opérations immobilières. En revanche, certains acteurs financiers (Pereire, Rothschild,

25 Au contraire, les solutions d’ensemble, telles que le projet de sept gares présenté par le directeur des Ponts et

Chaussés, Louis-Léger Vallée, sont exclues. De même, la solution groupée consistant à faire d’une gare le terminus de plusieurs réseaux, que cherchait à l’obtenir les frères Pereire, n’est pas retenue. Enfin, les propositions consistant à pénétrer la ville existante, avancées par exemple en 1942 dans les « Etudes sur la ville de Paris » de Perreymond, sont écartées (Bowie 2002).

Hagerman), du fait de leur position dans le champ de la production urbaine et dans le secteur ferroviaire, tirent parti de l’installation des gares. Le travail d’assemblage foncier de James de Rothschild est par exemple postérieur à la décision d’implantation de la gare du Nord (Bowie 1999). À l’inverse, le quartier de l’Europe est planifié avant l’installation de l’ « embarcadère » de la ligne de Paris à Saint-Germain sans anticiper sa création (Térade 2002). Aussi, les relations entre les gares et leurs contextes bâtis et viaires relèvent de l’adaptation de lotissements déjà projetés plutôt qu’une coordination du réseau et de l’urbanisation (Térade 2006) ou de coalitions entre les acteurs urbains et ferroviaires.

De même, si Haussmann prend en compte les gares dans les nouvelles relations spatiales qu’il institue, il développe une relation opportuniste avec le réseau ferré (Nilsen 2008). La création de connexions entre ces nouveaux accès à la capitale et le centre-ville est une

« nécessité absolue » pour le Préfet (Girard, 1952, cité par Harvey: 2012). En effet, « les gares centrales étaient un élément clé de sa vision d’un Paris réformé. Elles étaient des points nodaux de nouveau grand réseau de voies » (Richards et Mackenzie 1986: 113). Cependant, les décisions

d’implantation des grandes gares parisiennes sont antérieures aux travaux haussmanniens. La matrice des percées a donc été adaptée au positionnement des gares et non l’inverse.

De la même manière, le projet spatial de l’État qu’est l’étoile Legrand finit par s’incarner dans les six lignes attachées à des réseaux régionaux monopolistiques qui rayonnent depuis la capitale. Il s’adapte a posteriori aux choix d’implantations propres à chaque gare. Du point de vue de l’État – « seeing like a state » (Scott 1998) – la puissante figure spatiale de l’étoile a pour centre Paris. Du point de vue des compagnies, les coûts et la complexité technique de l’installation de leurs réseaux ont pu être limités grâce à la sélection d’espaces non bâtis au creux des vallons parisiens. Du point de vue des autorités locales, la ville existante a été sauvegardée et les taxes locales peuvent être levées grâce à une localisation en marge de l’espace urbain à l’intérieur du mur des fermiers généraux. C’est de ces différents impératifs urbanistiques, financiers et industriels, et de leurs ajustements, dont résulte l’inscription du réseau dans la capitale du 19e siècle.

Mais qu’en est-il de la formation des avant-gares dont la reconversion urbaine est l’objet de notre enquête ? Comment ces espaces où sont stationnés, lavés et réparés les trains, chargées et déchargées les marchandises et préparées les interventions sur le réseau ferré ont- ils été installés ? Dans le cas parisien, « les installations ferroviaires […] étaient construites autour de la

limite de la ville et dans les faubourgs […]. Ils ont joué un rôle significatif dans la création de nouveaux quartiers et dans la structuration de l’extension de la ville » (Caron 2003: 145). On peine toutefois à

trouver des travaux qui renseignent efficacement la formation et la vie sociale et matérielle ultérieure de ces sites en relation avec leurs contextes urbains.

* * *

Figure 5 : l’implantation du site des Batignolles dans la commune de Batignolles- Monceaux

Source : Bibliothèque nationale de France, « Gallica » [en ligne] www.gallica.bnf.fr, consulté le 2 février 2015.

Le site des Batignolles qui fait l’objet de notre étude de cas est le résultat d’un assemblage sociotechnique sans précédent sur le territoire français. Il est relié à la gare Saint- Lazare par un tunnel de 330 mètres sous la colline des Batignolles lors de l’ouverture de la première ligne de chemin de fer parisienne qui rejoint Le Pecq en 1837. Il correspond au type de la « gare en binôme », formée par « une gare de voyageurs rapprochée le plus possible du centre de

Paris et une gare de marchandises, près des grands entrepôts » (Sauget 2008: 110)27. Contrairement aux gares de voyageurs, l’ouverture de ce site et sa rapide extension n’ont pas fait l’objet de débats structurés autour de projets concurrents. Il s’implante en dehors de la commune de Paris et de son octroi sur des terrains cultivés. L’implantation ferroviaire précède l’urbanisation de la zone

et définit ensuite la structure socioéconomique ouvrière de cette banlieue, en particulier le quartier des Epinettes28 (Rouleau 1985: 181-182).

Que ce soit de gré à gré ou par le recours à l’expropriation, les frères Pereire ne semblent pas avoir eu de difficultés à ménager une place à l’avant-gare Saint-Lazare. Ils n’en contrarient pas moins un vaste projet de lotissement, d’alignement et de nivellement de l’ensemble du territoire communal engagé et approuvé par la municipalité de Batignolles- Monceaux en 1837 (Rouleau 1985: 182, 272-273) (cf. Figure 5) 29. À en juger par les arrêtés du tribunal civil de la Seine, la municipalité n’a pas eu le pouvoir d’empêcher les implantations ferroviaires sur son territoire. Ainsi, malgré « l’opposition du maire de la commune de Batignolles-

Monceaux, en sa qualité à l’exécution des travaux projetés sur le territoire de la commune », trois arrêtés

successifs du Préfet de la Seine confortent les frères Pereire dans leur projet de liaison ferroviaire. L’un d’eux déclare « cessibles immédiatement, pour cause d’utilité publique, les propriétés ou

portions de propriétés […] qui doivent être occupées pour l’établissement du chemin de fer de Paris à Saint- Germain, sur le territoire de la commune de Batignolles-Monceaux »30. En 1844, le site s’étend déjà sur quatorze hectares (Nilsen 2003: 453). En 1854, ce sont les municipalités de Neuilly et des Batignolles elles-mêmes qui cèdent quatre hectares aux frères Pereire pour l’agrandissement du site ferroviaire (AREP 2002: 4).

De fait, le plus ancien des sites ferroviaires parisiens a des besoins fonciers importants, car il cumule rapidement des fonctions d’entretien, de triage, de fret et de production industrielle. Dès 1838 un dépôt de six locomotives et une gare de marchandises sont bâtis sur le site. Des ingénieurs anglais sont employés par les frères Pereire pour réaliser ces ouvrages et assurer l’exploitation, car les savoir-faire français sont alors rares dans le domaine (AREP 2002). Seize voies de stockage sont construites en 1843 sur le site des Batignolles. L’année suivante, une première halle est édifiée pour le compte de la compagnie concessionnaire Paris- Rouen, propriété de banquiers britanniques, afin de stocker les marchandises en provenance de la Normandie et les produits coloniaux et américains qui transitent par le port du Havre. L’ingénieur Joseph Locke et l’entrepreneur William Mackenzie transfèrent des solutions

28 Selon Jeanne Gaillard (citée par Harvey 2012: 215), le lotissement des Batignolles dans les années 1850 et 1860

est fait de logements en briques à loyer modéré destiné aux familles qui immigrent à Paris ou qui sont déplacées du centre-ville. Les aménagements haussmanniens sont ultérieurs, à l’image de la rue de Rome ouverte en 1867 ou du square des Batignolles, attenant au site ferroviaire, dessiné en 1862 par l’ingénieur en chef des promenades, Jean-Charles Alphand.

29 Cette commune a eu une existence brève. Elle est créée en 1830 par Charles X avec une partie du territoire de

Clichy. Elle est divisée en 1860 entre les villes de Paris et de Clichy, après la loi Riché du 16 juin 1859, qui fait coïncider le découpage administratif de Paris avec l’enceinte de Thiers.

techniques de la gare de Leeds (Bowie 2012). En 1847, cent-cinquante personnes travaillent dans la gare de fret qui s’étend sur près de 20 000 m2 (AREP 2002). Après avoir acquis une expérience dans les chemins de fer à Manchester, l’ingénieur polytechnicien Goüin fait construire au même moment les premiers ateliers de fabrication de locomotives français. Il bénéficie pour cela de puissants appuis financiers (James de Rothschild et le Duc de Noailles) (Burnel 1995)31. L’activité industrielle et logistique est raccordée aux autres réseaux par l’ouverture de la petite ceinture en 1852. L’ouverture de la gare de voyageurs des Batignolles en 1854 vient compléter les fonctions du site32. Deux dépôts pour soixante-huit locomotives sont mis en chantier en 1855 (Husset 1967) suite à la « fusion normande » réunissant les petites compagnies concessionnaires dans le Réseau de l’ouest des Pereire (Girard 1952: 132-134).

Les Batignolles sont ainsi, à partir des années 1850 et jusqu’à l’entre-deux-guerres, le site industriel le plus important de la région parisienne. C’est un lieu de production où s’organisent les rapports de travail entre industriels et ouvriers. C’est aussi un espace dans lequel des capitaux financiers, des savoir-faire, des innovations techniques, des matériaux, des combustibles et une population ouvrière sont associés pour créer une pièce maîtresse du réseau des frères Pereire.

Rivalités entre élites urbaines et compagnies de chemin de fer dans la localisation des emprises ferroviaires à Nantes

Si Paris matérialise le centre de l’étoile de Legrand, Nantes représente l’une de ses extrémités. Mais ici aussi, l’arrivée du chemin de fer dans cette ville portuaire est le résultat d’initiatives urbaines et entrepreneuriales concertées avec le gouvernement et l’administration centrale plutôt que la déclinaison d’un projet de l’État. En effet, entre la première hypothèse de ligne ligérienne formulée en 1830 et la loi de 194233, les élites nantaises interpellent l’État central pour obtenir une liaison ferroviaire entre Paris et leur ville portuaire. Elles s’organisent pour peser dans les choix de localisation des installations, tout en limitant leur contribution financière34.

31 Quatre ans plus tard, l’entreprise débute la construction d’ouvrages d’art qui s’exporteront dans le monde

entier, faisant des ateliers Goüin les concurrents directs d’Eiffel. La diversification se poursuit avec la fabrication de matériel de guerre et la réalisation de voies ferrées. Dix ans après leur ouverture, 2 000 ouvriers travaillent dans les Ateliers Goüin (futur SPIE-Batignolles) (Burnel 1995).

32 Elle est remplacée par la gare de Pont-Cardinet mise en service en 1922 (Revue générale des chemins de fer et des

tramways 1923). C’est aujourd’hui une gare du réseau Transilien qui va devenir une station de la ligne 14.

33 Le projet ferroviaire s’articule avec un vaste plan de réaménagement fluvial conduit et négocié localement par

les ingénieurs des Ponts et Chaussées (Le Marec 2000a).

Après s’y être opposée, car perçue comme secondaire par rapport aux activités portuaires, la Chambre de commerce, c’est-à-dire des personnes liées à l’économie portuaire change de position sur la question ferroviaire (Le Marec 2001). Elle adresse une pétition le 4 juin 1837 au ministre du Commerce et des Travaux publics demandant que le projet de loi de la ligne Nantes-Orléans soit présenté au parlement. La veille, le conseil municipal avait agi dans le même sens dans une Adresse au Roi. Les élites locales craignent qu’une ligne reliant la capitale aux ports de Rouen et du Havre soit réalisée avant l’axe nantais. Les intérêts politiques et économiques locaux convergent quant à l’obtention de la liaison vers Paris (Gayard 1993: 265).

L’administration communale cherche d’un côté à capter un financement de l’État, de l’autre à ne pas s’engager pécuniairement auprès de la société qui a obtenu la concession de la ligne. Le conseil municipal refuse même la demande d’un « appui moral » émise par la société d’étude en 1837 (Gayard 1993: 269). L’administration locale considère qu’il revient à l’État de garantir financièrement les compagnies. C’est pourquoi il attend la publication de la Charte des chemins de fer de 1842 qui doit aller dans ce sens. Mais la réalisation prioritaire d’une grande ligne jusqu’à Nantes n’est pas garantie par la Charte. En réaction, le conseil municipal met en place une délégation en mars 1844. Elle conduit une opération de lobbying auprès de neuf ministères avant de rencontrer le roi Louis Philippe35. Elle obtient gain de cause puisque le projet de loi, auquel est associé un crédit de 28 millions de francs, est présenté à la Chambre le 15 mai suivant.