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Du mariage chrétien au mariage « moderne »

Il est évident que cette autorisation du mariage par l’Église a apporté des change- ments non seulement dans la vie publique, mais aussi dans la vie privée. Mais l’objectif de l’Église était d’éviter de commettre le péché de la luxure : elle a autorisé les couples mariés à avoir des rapports sexuels seulement pour la reproduction. ( Le mariage est consi- déré comme le meilleur moyen de reproduction sexuée sans luxure.) Il faudra cependant

attendre le XVIIIesiècle pour que le couple marié soit « libéré ».

Dépendance des femmes dans le système de mariage médiéval

Grâce à l’application du mariage monogamique par l’Église, on peut distinguer le

couple « légitime » de toutes les autres formes à partir du XIIIe siècle : L’Église permet

l’acte sexuel pour la reproduction aux couples mariés, mais la relation sexuelle hors ma- riage – la prostitution, l’inceste et l’adultère etc. – est « théoriquement » interdite. L’Église a encadré la relation sexuelle seulement dans le couple matrimonial.

Comme Georges Duby l’a bien montré, l’idée d’une relation monogame, éta- blie par Dieu et indissoluble, fondée sur des conceptions et des valeurs théo- logiques et ecclésiastiques, fut progressivement acceptée par la société des laïques qui, auparavant, suivaient d’autres pratiques. Au point qu’à partir du

XIIIesiècle environ, on peut parler d’un « modèle du mariage chrétien », qui

Université de Toulouse II M. Aihara 47/304 conclu pour la vie entière sur la base d’une inclination mutuelle, le consensus des époux. [...] En effet, au cours des siècles antérieurs, les mariages étaient avant tout conclus par accord des « groupes familiaux larges » (Sippen) ou des familles concernées. [...] La liberté, ainsi établie, de consentir au mariage ou d’en décider, n’avait que peu de chances de s’imposer à la fin du Moyen Âge, époque d’autoritarisme où la famille occuppait une place centrale (Opitz : 1991, p. 351).

Le statut des femmes dans la société médiévale dépendait toujours des hommes de la famille quelle que soit la classe sociale. Olwen Hufton a décrit la dépendance des femmes médiévales :

Dès sa naissance, en effet, l’existence d’une fille, issue d’une union légale et quelles que fussent ses origines sociales, se définissait par sa relation aux hommes. Son père, puis son époux, en étaient légalement responsables et elle devait à tous deux respect et obéissance, ainsi qu’on le lui avait appris. Père et mari étaient censés la protéger contre les dures réalités d’un monde exté- rieur hostile. On considérait aussi qu’elle était économiquement dépendante de l’homme qui contrôlait sa vie. Le père devait s’occuper de sa fille jusqu’à son mariage ; il négociait alors (lui-même ou par l’intermédiare d’un repré- sentant) la dot de celle-ci avec le fiancé (Hufton : 1991, p. 25-26).

Du XVIeau XVIIIesiècle, cette répression des femmes a persisté rigoureusement, sur-

tout dans les classes supérieures ou moyennes. Par contre, dans les couches populaires, les femmes mariées ainsi que les célibataires ont dû travailler pour subvenir à leurs besoins. « Malgré tout, lorsque la femme devait travailler pour assurer son existence, il n’était pas question d’envisager un seul instant qu’elle puisse vivre en complète indépendance. Cela aurait été jugé contre nature et était tenu en horreur (Hufton : 1991, p. 26). ».

48/304 2. Histoire du mariage occidental

Vers le mariage « moderne » : apparition de la modernité sentimentale

au cours du XVIII

e

et du XIX

e

siècle

Le mariage avant le XVIIIe siècle était célébré surtout pour une raison économique

(avoir la dot) ou préserver et améliorer le statut social de la famille. Selon la doctrine du mariage chrétien, il etait nécessaire d’avoir un consentement entre mari et femme pour se marier ; mais en réalité, la plupart du temps, le mariage était arrangé. De plus, l’Église a permis aux couples légitimes de faire l’amour seulement pour la procréation. « Le but de l’acte [sexuel] n’est pas le plaisir mais la stricte procréation. Le péché est encore plus grave entre mari et femme qu’en dehors des liens du mariage.[...] Les théologiens s’in- surgent contre ce sacrilège qui conduit à préférer sa femme à l’union avec Dieu. Vaine- ment : la modernité sentimentale avait commencé sa longue marche (Kaufmann : 1999, p. 71) ».

Les époux se devraient bienveillence et respect. Mais avec la modernité sentimentale, un nouveau sentiment intermédiaire entre le sexe et l’amour divin est né : l’amour (Kauf- mann : 1999, p. 72). Autrefois, selon l’Église, l’acte sexual excessif et contre nature dans le couple matrimonial était considéré comme un péché de luxure, en profanant l’amour di- vin permis par Dieu à travers le mariage. Mais, il était impossible d’arrêter le mouvement

de personnalisation de sentiment. Au cours du XVIIIesiècle, la décision de se marier se

prenait non seulement en fonction des intérêts de la famille, mais aussi des facteurs sen- tementaux et des charmes sexuels du couple. Les ecclésiastique ont vainement continué à condamner la profanation du mariage divin, et la sexualité est devenue importante dans la relation matrimoniale.

On ne peut savoir exactement quand ce renversement sentimental a commencé, puisque « la révolution individualiste se mesure en siècles voire en millénaires (Kauf- mann : 1999, p. 25) ». Beaucoup de sociologues, historiens et anthropologues travaillent sur ce changement. Par exemple, Jean-Claude Kaufmann indique la date de cette révolu- tion par la citation de Marchel Gauchet « quelque part autour de 1700 », et ce mouvement qu’il a appelé « la deuxième phase du processus de civilisation » dans sa recherche de-

Université de Toulouse II M. Aihara 49/304 veloppée par les travaux de Norbert Elias, se serait définitivement répandu au cours du

XIXesiècle (Kaufmann : 1999).

Alain Corbin a remarqué une transformation générale des préférences sexuelles au

cours du XVIIIesiécle. En conséquence, ce changement a même influencé le millieu de la

prostitution. Depuis le tout début du XXesiècle, les clients demandent aux prostituées un

acte sexuel plus intime, voire pseudo-amoureux. Autrefois, cette relation était plus phy- sique et sèche (Corbin : 1978). Anthony Giddens a écrit un ouvrage sur « la transformation

de l’intimité » qui a apparu au cours du XVIIIesiècle. À la fin du XIXesiècle, la puissance

du patriarcat qui avait autorité sur toute décision de mariage a faibli dans la relation fa- miliale. « During the nineteenth century, the formation of marriage ties, for most groups in the population, became based on considerations other than judgements of economic value. Notion of romantic love, first of all having their main hold over bourgeois groups, were diffused through much of the social order (Giddens : 1992, p. 26) ». La famille est alors devenue un asile intime de la société dans laquelle on devait survivre (Giddens : 1992). Pour l’historien canadien Edward Shorter, la « révolution des sentiments » qui a généré la transformation de la famille « traditionnelle » vers la famille « moderne », s’est

produite entre la fin du XVIIIesiècle et le début du XIXesiècle (Shorter : 1975).

En somme, nous pouvons dire que l’emergence de la modernisation sentimentale s’est

faite au cours du XVIIIesiècle, et que ce phénomène s’est banalisé dans toute les classes

sociales au XIXe siècle. Ce changement a apporté une autonomie chez les couples ma-

trimoniaux : par exemple, le « mariage d’inclination » est apparu dans les romans ou

au théâtre au XVIIIesiècle. Le choix initial du conjoit, une des décisions les plus impor-

tantes pour l’institution du mariage, est laissée au couple même (Kaufmann : 1999, p. 73). En même temps, l’autonomie du mariage a libéré partiellement les femmes de toutes les contraintes familiales jusqu’à la Grande Guerre. Cependant, la guerre a repoussé les femmes vers le dévouement à la famille.

Chapitre 3

Mariage moderne et famille moderne :

définition et problématique

Au chapitre précédent, nous avons fait un bilan de l’histoire du mariage occidental

avant le XXe siècle. Ce bilan fait apparaître un archétype du mariage, dont la forme est

encore très éloignée de celle du mariage actuel, même si certains traits fondamentaux sont conservés à travers les âges. Nous allons maintenant analyser le mariage « moderne », qui ressemble beaucoup plus au mariage actuel. Ce mariage « moderne » a été importé au Japon à l’ére Meiji(明治), au cours de l’occidentalisation du Japon.

Avant tout, nous définirons le mariage moderne et ses caractéristiques.