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La question de la « protection internationale » des réfugiés – des requérants d’asile qui sont particulièrement vulnérables – a permis des développements importants en matière de « compétence », notamment face aux affaires ayant eu lieu dans la méditerranée141.

La Convention européenne des droits de l’homme et son Protocole 4 reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention, sont les instruments de référence. Ils garantissent la promotion et la protection de droits fondamentaux, tels que le droit à la vie (CEDH, article 2), le droit à la liberté et à la sûreté (CEDH, article 5), le droit à un procès équitable (CEDH article 6) et le droit à un recours effectif (CEDH, article 13). Ils contiennent également certaines interdictions, telles que l’interdiction de la torture (CEDH, article 3), l’interdiction de discrimination (CEDH, article 14) et l’interdiction des expulsions collectives (Protocole, article 4). Enfin, ils garantissent des libertés fondamentales telles que la liberté de circulation (Protocole, article 2).

D’autres instruments complètent le corpus de protection, notamment la Charte des droits fondamentaux de l’UE, du 18 décembre 2000, qui prévoit notamment le droit à la vie (article 2), le droit d’asile (article 18) et l’interdiction des expulsions (article 19). Le TFUE, qui fait référence à la sauvegarde des droits fondamentaux, est en ligne avec la CEDH (article 6).

La question de la « human rights jurisdiction » trouve ses fondements dans les principes du droit international coutumier et des droits de l’homme142, tels que le non-refoulement et le droit à la vie. Ces deux principes, considérés comme des normes dites de jus cogens, s’imposent aux États côtiers et favorisent une « protection internationale » des réfugiés – et de toute personne vulnérable, ainsi que les requérants d’asile. L’interprétation universelle, ou à tout le moins extensive, de ces deux principes a généré des obligations « positives », telles que l’accès à une demande d’asile, et « négatives » telles que l’interdiction de refouler – établissant une compétence de portée territoriale et (extra)territoriale.

140 R. L. KILPATRICK, The Refugee Clause: Why Contractual Allocation of Rescue Costs Is Critical During Period of Mass Migration At Sea, NUS Centre for Maritime Law Working Paper 17/09, October 2017.

141 Note 36.

142 Note 84, p. 245.

La « compétence » d’un État vis-à-vis des droits de l’homme, se réfère simplement à une obligation de

« protection ». L’interprétation du terme « compétence » va bien au-delà du simple exercice de la compétence d’un État en vertu de traités et loi nationales. Elle concerne la « responsabilité » d’un État de protéger les droits fondamentaux143.

Les opérations de « recherche » et de « sauvetage » d’un État côtier, qu’elles soient effectuées dans les

« eaux territoriales » ou en « haute mer », déterminent la responsabilité de cet État. Cette

« responsabilité » a lieu en vertu d’une reconnaissance universelle des droits de l’homme144, tels que le droit à la vie, l’interdiction des expulsions, mais également d’autres droits en lien avec le principe de non-refoulement à la lumière des développements de la CourEDH145. L’interprétation de protection découlant de la responsabilité d’un État va plus loin que l’établissement d’une « relation » entre une activité dite de

« contrôle » ou d’« autorité » – de jure et de facto146 – et le « besoin de protection » découlant d’un statut de réfugié au sens de la Convention de Genève de 1951147.

L’interprétation de la « compétence » en droits de l’homme est, dès lors, plus large que celle de la

« compétence » en droit international public ou privé : lorsque la responsabilité d’un État découle d’une obligation positive (ou négative dans le cas du non-refoulement) de « protection », elle ne dépend pas directement d’un lien territorial et personnel, mais résulte d’un consensus général tendant au respect universel des droits fondamentaux d’une personne, en l’espèce le requérant d’asile.

Dans le contexte migratoire, le principe de non-refoulement148 représente l’obligation négative d’un État : celle de ne pas interdire au requérant d’asile en « danger »149 de pénétrer dans son « territoire », et de le

« renvoyer » ou « dérouter » vers un État qui n’est pas en mesure de constituer un « port sûr », y compris pour remplir les « basic human needs ». La « responsabilité » d’un État se fonde, dans ce scénario, sur une

143 Note 3, HESCHL, p. 58.

144 CEDH, Hirsi Jamaa et autres c Italie [23 février 2012] 27765/09, § 180 : « Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les éloignements d’étrangers effectués dans le cadre d’interceptions en haute mer par les autorités d’un État dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique, et qui ont pour effet d’empêcher les migrants de rejoindre les frontières de l’État, voire de les refouler vers un autre État, constituent un exercice de leur juridiction au sens de l’article 1 de la Convention, qui engage la responsabilité de l’État en question sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 4 ».

145 O. LE FORT, La Preuve et le Principe de non-refoulement entre droit international des réfugiés, protection des droits humains et droit suisse des migrations, Zurich, 2018, p. 27.

146 Note 144, § 81 : « Or, la Cour remarque que dans la présente affaire les faits se sont entièrement déroulés à bord de navires des forces armées italiennes, dont l’équipage était composé exclusivement de militaires nationaux.

De l’avis de la Cour, à partir du moment où ils sont montés à bord des navires des forces armées italiennes et jusqu’à leur remise aux autorités libyennes, les requérants se sont trouvés sous le contrôle continu et exclusif, tant de jure que de facto, des autorités italiennes. Aucune spéculation concernant la nature et le but de l’intervention des navires italiens en haute mer ne saurait conduire la Cour à une autre conclusion ».

147 Note 145, p. 62-63.

148 Note 44, p. 263.

149 « Le degré de « danger » est indiqué par la UNCLOS qui prévoit que toute personne en « péril et détresse » doit être assistée et accompagnée au port le plus sûr ».

première évaluation, un « risk assessment », afin de déterminer le « risque éventuel » pour le requérant (mais également le niveau de protection éventuel) de subir une violation directe et/ou indirecte de ses droits fondamentaux, telle que des conditions de vie inhumaines et dégradantes150. La Cour de Cassation italienne s’est prononcée à cet égard dans une affaire151 concernant un requérant d’asile pakistanais, qui s’était vu refuser sa demande d’asile en première instance et en appel par le Tribunal de Lecce. La Cour de Cassation, dans son raisonnement, a retenu l’absence de coopération – transnationale – judiciaire visant à évaluer le risque pour le requérant de retourner dans son Pays d’origine. Selon la Cour, l’obligation de coopération s’impose lorsque le juge doit garantir l’existence des motifs sur lesquels se fonde la demande de protection internationale du requérant. En outre, l’« évaluation » doit intervenir lors d’un « transfert de compétence » vers des États tiers, néanmoins également entre les États membres de l’UE152.

Enfin, la « responsabilité » de l’État de la présence physique du requérant se fonde également en cas d’interdiction du droit de pouvoir déposer sa demande d’asile, ou de son droit à l’information concernant les procédures d’asile, en violation des articles 3 et 13 de la CEDH et article 4 du Protocole No. 4153.

Dès lors, le cadre de protection internationale du requérant d’asile doit être interprété de manière absolue.

En d’autres termes, ce droit implique l’obligation pour un État de veiller, à l’intérieur de sa « compétence », à que son système juridique ne puisse pas engendrer des « menaces » contre la vie du requérant – droit à la vie. De la même manière que dans le cas du principe de non-refoulement, cette obligation déclenche une

« compétence » (extra)territoriale, dans la mesure où la vie du requérant serait en danger : notamment lorsqu’il se verrait nier l’accès aux procédures d’asile dans l’État de sa présence, et qu’il se trouve dans l’obligation de retourner dans son État ou dans un autre État154. Ce scénario implique une « compétence », que l’on pourrait qualifier de temporaire afin d’évaluer l’état de protection du requérant, et éventuellement de lui garantir des mesures d’assistance155.

150 Note 3, HESCHL, p. 85 : « In Hirsi the Court considered that the pushing back of the applicants to Libya without assessing their protection claims exposed them to direct and indirect refoulement, since they were about to face inhuman and degrading treatment first in Libya and the eventually in Eritrea and Somalia ».

151 Cour de Cassation italienne, n° 11312/2019.

152 CJUE, affaire N.S [C-411/10 et C-493/10], 21 décembre 2011, §123 : « L’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il incombe aux États membres, en ce compris les juridictions nationales, de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’«État membre responsable» au sens du règlement n° 343/2003 lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de cette disposition ».

153 Note 3, HESCHL, p. 93 ; Note 50, p. 271.

154 Note 4, p. 195.

155 « Food, shelter and medical needs ».

IV. Conclusion

Le focus de la « human rights jurisdiction » est la protection internationale du requérant en raison de sa vulnérabilité et de son besoin d’« assistance humaine et humanitaire ». Pour garantir la protection internationale des migrants malgré le chevauchement de règles de compétence internationale prévues dans différents domaines de droit international, la « compétence » d’un État côtier devrait pouvoir se baser sur le principe de proportionnalité. Ce principe devrait prendre en considération les capacités de protéger les « basic human needs » – food, shelter, medical needs – en faveur d’un requérant d’asile et, à défaut, l’État devrait pouvoir opter pour un « transfert de compétence » en vertu de la « coordination » entre les États adjacents. Toutefois, ce transfert devrait impérativement se borner à prévoir une évaluation transnationale – risk assessment – qui aurait lieu au cas par cas afin de prévenir et empêcher tout type de danger pour le requérant156.

L’évaluation du « risque » en vertu du principe de non-refoulement implique pour un État côtier

« responsable » l’établissement d’une compétence temporaire en conformité avec les principes découlant de la CEDH, et notamment les objectifs communs à caractère absolu de « prévention » et « protection »157. À défaut, cet État devrait bénéficier de la possibilité d’effectuer un transfert de compétence vers un État plus approprié en vertu du principe du « port sûr », à différencier du « port le plus proche ».

Dans le cadre des « mesures protectrices », l’État compétent selon le droit international privé (Clah-1996, 2000 et Bruxelles II bis), et responsable selon Dublin III, est celui de la présence physique ou « résidence temporaire ». Or, l’ensemble de ces instruments prévoit la possibilité d’effectuer un transfert de compétence ou de responsabilité basé sur une coordination entre deux États. À cet égard, la possibilité de prévoir un mécanisme de « multilevel cooperation » basé sur le principe de « effectiveness for managment migration », comme déjà fait dans le passé158, en prévoyant également un système d’« accréditation » d’acteurs privés, ou acteurs non-étatiques (tels que les ONG), mériterait d’être pris en considération à la lumière du pacte mondial sur les réfugiés du 26 juin 2018, promouvant la coopération internationale159.

156 Note 145, p. 183-192 : « Dans de nombreux arrêts portant sur le risque de violation de l’art. 3 CEDH, la Cour insiste sur l’importance d’appliquer « des critères rigoureux » afin d’évaluer l’existence d’un risque réel de mauvais traitements, étant donné le caractère absolu de cette disposition. Les conséquences potentiellement graves et irréversibles du renvoi pour la personne concernée requièrent en effet un examen rigoureux du risque ».

157 Note 108, EDWARDS, p. 16.

158 Note 84, p. 2 ; Institut de Droit International, Résolution finale de Maurice Kamto, du 9 septembre 2017, article 20 « In the management of the situation resulting from mass migration, States shall cooperate and coordinate their actions among themselves and with international organisations and competent non-governmental organisations ».

159 Pacte mondial, § 2 : « La réalisation de la coopération internationale pour la solution des problèmes internationaux d’ordre humanitaire constitue l’un des buts principaux des Nations Unies, tels qu’énoncés dans la Charte, cadrant avec le principe de l’égalité souveraine des États. De même, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention de 1951) considère qu’une solution satisfaisante aux problèmes des réfugiés ne peut être obtenue sans une coopération internationale, compte tenu du fait qu’il peut résulter de l’octroi du droit

Toujours dans le cadre d’un système de coordination bien fonctionnel, comme évoqué dans toutes les Convention de droit de la mer, les navires de passage, y inclus sous statut d’ONG, sont dans l’obligation de signaler, au préalable à l’État responsable de la zone SAR régionale, leurs interventions au sein des opérations de recherche et de sauvetage. À défaut, l’État de pavillon demeure responsable et dans l’obligation d’exercer sa compétence en raison d’une « erreur de procédure ».

D’un point de vue d’« assistance humanitaire », le manque de coordination préalable peut générer également des conséquences négatives pour les requérants d’asile. Notamment, lorsque l’État d’accueil n’est pas en mesure de garantir les basic human needs pour différentes raisons, telles que le manque de capacité (food, shelter and medical needs), alors qu’il se voit obligé de fournir assistance en vertu du principe de non-refoulement dès l’arrivée des requérants sur le territoire. Cependant, le cas d’un navire n’ayant pas la capacité de transporter les requérants pourrait porter atteinte à la vie de l’équipage et des passagers.

d’asile des charges exceptionnellement lourdes pour certains pays. Il est indispensable de traduire ce principe établi en actes concrets et pratiques, notamment par l’élargissement de la base d’appui, au-delà des pays ayant historiquement contribué à la cause des réfugiés par leur accueil ou d’autres moyens ».