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UN DROIT MARQUE PAR LA PARTICULARITE DE SES MODES DE PRODUCTION NORMATIVE

Dans le document Contrats d'Etat et développement durable (Page 176-180)

PARAGRAPHE 1. L’IMPORTANCE DU PLURALISME JURIDIQUE EN DROIT INTERNATIONAL DES AFFAIRES

B. UN DROIT MARQUE PAR LA PARTICULARITE DE SES MODES DE PRODUCTION NORMATIVE

La multiplicité des foyers générateurs de normes (1) mène à se poser la question de la valeur de ces dernières (2).

1) La multiplicité des foyers générateurs de normes

D’une façon générale, en droit international des affaires, de façon plus précise, au sein de l’investissement international, il faut reconnaître que les Etats ne sont plus, seuls ou de façon collective, les seuls créateurs de la norme. A côté du pouvoir de ces derniers, celui des acteurs privés tend à croître en même temps que celui de nombreuses organisations internationales.

Cela signifie que les sources de production normative sont multiples et de nombreux auteurs de la norme sont à désigner. A côté des Etats et des firmes transnationales, les organisations internationales sont des acteurs principaux de l'investissement international. Elles ont, à cet égard, trois fonctions principales645. Une fonction de législation, puisque ces dernières peuvent produire des normes de façon unilatérale et que la juridicité de ces actes n’est pas écartée d’emblée646. Elles ont également une fonction de coordination des pratiques et des législations des Etats membres ainsi qu’une fonction d'incitation647. A travers cette dernière fonction, les organisations internationales associent les firmes transnationales à des actes

645JUILLARD (P.), « L’évolution des sources du droit des investissements », RCADI, volume 250, 1994, VI, p.

21, spéc. pp. 85-105.

646

ROMI (R.), Droit international et européen de l’environnement, Montchrestien, 2005, pp. 13-36; PERRIN DE BRICHAMBAUT (M.), DOBELLE (J.-F.), COULEE (F.), Leçons de droit international public, Presses de

Sciences Po et Dalloz, 2ème édition, 2011, pp. 299-300 ; DAILLIER (P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), Droit

international public, L.G.D.J., 8ème édition, 2009, p. 126.

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ayant vocation à promouvoir certains principes, donc certaines pratiques. Il en va ainsi en matière de développement durable. Différents mécanismes sont employés dans le cadre de la fonction d'incitation, notamment le fait pour les organisations internationales d'élaborer des codes de conduite afin de favoriser la négociation et de créer des instruments juridiques dédiés. Ces organisations sont néanmoins limitées dans leurs actions par la nécessité d'obtenir le consentement des Etats en la matière. Elles doivent également faire adhérer les firmes transnationales qui sont les principaux cocontractants des Etats.

Les organisations non-gouvernementales jouent également un rôle important en matière d’investissements. Il s’agit surtout des associations professionnelles, industrielles ou commerciales, ainsi que des organisations transnationales, représentant et défendant certaines valeurs comme les droits de la personne ou le droit de l’environnement. Le rôle croissant de la société civile transnationale doit être souligné. Par le biais de nombreux groupes de pressions, de lobbys et d’associations de conseillers, ces organisations cherchent non seulement à informer les gouvernements et les négociateurs internationaux, mais aussi à influencer les dirigeants et les négociateurs dans le cadre de leur prise de position internationale. Certaines organisations cherchent également à pousser les sociétés transnationales à changer leurs pratiques, notamment en matière de droits de la personne et de respect de l’environnement. Ces organisations ont recours à plusieurs moyens de pression et de médiatisation, telles que les procédures de règlement des différends, la mobilisation des médias et l’opinion publique648. D’ailleurs le fait d’accompagner ou de représenter des groupes de victimes au sein d’actions internationales est un moyen pour ces organisations non seulement de revendiquer des droits mais également d’exercer une forme de pression juridique et judiciaire. La question qui se pose alors est d’importance puisque cette dernière a trait à la valeur de ces engagements qui n’empruntent pas le chemin classique des modes d’élaboration de la norme.

2) La valeur des normes générées

Les nouveaux acteurs privés de l’investissement international sont le facteur inexorable d’autres enjeux et rapports de force. Au sein de l’investissement en général et des contrats d’Etat en particulier, l’Etat souverain perd tout de même en partie le contrôle de son environnement normatif. On a en corollaire une émergence du pouvoir des firmes

648BENYEKHLEF (K.), Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation, Les Editions Thémis, 2008, pp. 323-324.

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transnationales. C’est l’occasion d’une véritable lutte de pouvoirs. Dès lors, les normes et pratiques des firmes transnationales en la matière peuvent-elles être considérées comme étant du droit ? Car si l’Etat souverain en son territoire dispose de toute la légitimité lui permettant de produire des normes dont la juridicité n’est pas contestée, en va t-il de même pour les autres modes de production normative ? En observant de près le contexte des affaires internationales, il faut pourtant reconnaître que la question de la juridicité des normes ne se pose pas dans les mêmes termes qu’en droit interne, cela d’autant plus que la perception du droit évolue.

En effet, en droit international des affaires, les normes émanant des opérateurs privés du commerce international sont empreintes d’une certaine juridicité dans la mesure où elles produisent tous leurs effets à partir du moment où les acteurs concernés en conviennent. Dans ce domaine, cela est dû à l’importance donnée à la volonté des parties. Il en va également de même des actes unilatéraux émanant des organisations internationales. Cette réalité est d’autant plus exacerbée que la conception du droit est en pleine mutation, à tel point que l’on distingue aujourd’hui le droit moderne du droit post-moderne649.

Le droit moderne repose sur l’essor et la prévalence de la figure de l’Etat. Cela se traduit notamment par l’omniprésence et l’extrême importance du concept de souveraineté. L’Etat est à cet égard, « le seul auteur impartial possible de la règle de droit et la loi, par sa

complétude, occupe tout le champ juridique »650. Ce droit a connu une évolution au sein de laquelle les moyens de l’action étatique ont évolué. De l’approche contraignante d’une norme formulée une fois pour toutes, s’est peu à peu imposé un droit davantage consensuel. L’Etat propulsif est ainsi devenu réflexif et incitateur. Son action a également pris la forme d’un droit négocié et concerté651. Il associe davantage les acteurs « à ses démarches d’élaboration,

de normation et d’application »652, cela prend la forme d’un droit souple, « organisé en

réseaux »653. En conséquence, le droit est en partie devenu suggestif.

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ARNAUD (A.-J.), Entre modernité et mondialisation. Leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’Etat, L.G.D.J., 2ème édition, 2004 ; CHEVALLIER (J.), l’Etat post-moderne, L.G.D.J., 2003 ; BENYEKHLEF (K.),

Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation, Les Editions Thémis,

2008.

650

Idem, p. 21.

651Idem, pp. 29-30.

652Idem, p. 29.

653MORAND (C.-A.), « Régulation, complexité et pluralisme juridique », COHEN-JONATAHAN (G.),

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Ce droit en évolution est qualifié de « post-moderne ». Selon Monsieur André-Jean Arnaud : « Le qualificatif “ post-moderne ” permet d’insister sur l’importance accordée à l’espace et

à la particularisation des espaces, de désigner ce qui relève de la pluralité juridique, de la fragmentation, de la transgression654 ». Le post-modernisme peut être considéré comme ce qui vient après le modernisme. Le droit post-moderne se caractériserait par une volonté de pragmatisme qui conduirait au relativisme, l’acceptation du décentrement du sujet, d’une pluralité de rationalités, du risque qui y est attaché, un retour de la société civile et l’appréciation des relations juridiques dans le cadre complexe de logiques éclatées655.

En opposition, le droit moderne devient alors un droit autonome, formé de règles générales et abstraites, applicables de manière déductive par syllogisme juridique656. Un droit hiérarchisé à l’image de la pyramide kelsénienne, conçu sur une division accrue entre droit public et droit privé657. La contrainte est souvent associée à la juridicité et emporte, avec le corollaire qu’est la sanction, l’existence d’une règle de droit distincte de toute autre règle. Un droit systématisé dans le sens où il présente une certaine uniformité et une certaine cohérence. En droit international, reconnaître l’émergence et la réalité d’un droit post-moderne influe sur l’appréhension juridique des modes volontaires de formation du droit en matière de développement durable. Cependant, nous ne perdons pas de vue le fait que si la production d’un droit en réseau peut être nouvelle au sein de certains droits internes, elle a toujours existé dans le commerce international. En ce sens, il ne s’agit aucunement d’une révolution mais plutôt de la poursuite d’un processus.

C’est à la lumière de ces réflexions qu’il convient à notre sens d’analyser la réalité des engagements volontaires, qui sont nombreux en matière de développement durable. Nous entendons notamment par là les actes par le biais desquels les firmes internationales s’astreignent elles-mêmes à respecter des normes ayant trait au développement durable. En

654ARNAUD (A.-J.), Entre modernité et mondialisation. Leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’Etat,

op. cit., p. 271.

655Idem, p. 273.

656

BENYEKHLEF (K.), Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation,

op. cit., p. 36.

657Idem, p. 37. Selon cette division, le droit public régit les rapports entre l’Etat, ses démembrements et le

citoyen tandis que le droit privé traite des rapports qui peuvent se nouer entre les citoyens. Cette distinction devient de plus en plus floue car l’Etat occupe désormais des domaines de l’activité humaine qui relevaient traditionnellement de la sphère privée. Corrélativement, l’interventionnisme de l’Etat a tendance à réduire la sphère privée puisqu’il « publicise », par son action législative, réglementaire ou administrative, des fonctions qui relevaient de la société civile. Voir également sur le sujet, MORAND (C.-A.), Le droit néo-moderne des

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effet, en droit international des affaires, existent ainsi des règles qui émanent ou résultent de la seule volonté des opérateurs et échappent aux processus usuels et canaux classiques de formation des normes. Ces règles, nous choisirons de les qualifier d’ « engagements volontaires » afin de souligner leur caractère de normes librement et unilatéralement658 élaborées et consenties. Elles appartiennent à ce qui est qualifié de « soft law » ou « droit mou ».

Ces normes peuvent être le fruit d’un engagement spontané de ces firmes transnationales. Mais elles peuvent également être indirectement le résultat d’un engagement pris en concertation avec certains organismes internationaux. La question de leur importance se pose alors.

PARAGRAPHE 2: L’IMPORTANCE DE LA SOFT LAW AU SEIN DU PLURALISME

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