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Souvent lié à l’instauration d’un régime démo-cratique, le retour à la paix exige une réforme

profonde du système juridique et un change-ment d’attitude chez les personnes – en parti-culier les juges – qui travaillent dans le cadre de ce système. Une phase de justice transi-toire (transitional justice) doit être consacrée à l’examen de l’injustice passée afin d’établir de nouvelles normes, de lever l’impunité et d’instaurer une culture des droits humains. Il existe trois approches judiciaires des crimes du passé, lesquelles présentent chacune des avantages et des inconvénients: il s’agit de la

justice rétributive, de la justice réparatrice et de

La réconciliation peut se définir comme un processus de longue durée, à la fois complexe et contradictoire:

La réconciliation, c’est

I faire en sorte qu’un avenir soit envisa-geable,

I établir ou rétablir des liens, I être capable de se confronter aux

actes et aux ennemis du passé, I entreprendre un processus de

transfor-mation sociale approfondi et durable, I reconnaître les événements du passé,

se les remémorer et en tirer des leçons, I admettre que ce processus ne peut

être que librement consenti.

La réconciliation n’est pas

I une justification de l’impunité,

I un processus exclusivement individuel, I une alternative à la vérité et à la

justice,

I une réponse rapide, I un concept religieux, I une paix parfaite,

I une exhortation à oublier ou à pardonner.

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la justice compensatoire. Tandis que la justice

rétributive vise plutôt à punir les coupables, la justice réparatrice cherche avant tout à rétablir

les victimes dans leurs droits et à instaurer une médiation. Quant à la justice compensatoire, elle se préoccupe essentiellement de l’indemni-sation des victimes. Ces trois écoles ont chacune leur manière de chercher la vérité et de rendre justice.

La justice rétributive

La justice rétributive recouvre les procédures pénales engagées devant des tribunaux nationaux et internationaux. En montrant que les criminels ne sauraient se soustraire à la justice et rester impunis, elle a valeur de signal fort. Mais ces procédures sont bien souvent longues et laborieuses, et elles ne peuvent être envisagées que si les rapports de force le permettent et si l’on dispose de suffisamment de preuves. Si la procédure est menée à l’échelon national, les questions importantes sont de savoir si la justice du pays a été impliquée dans les crimes perpétrés pendant le conflit, et dans quelle mesure elle est corrompue. Par ailleurs, les politiciens craignent – surtout quand le pouvoir en place est fragile – que ce genre de procès ne relance le conflit. Dans le cas de procédures judiciaires internationales, les populations concernées peuvent se demander dans quelle mesure leur cause intéresse vraiment la cour. Aussi n’est-il pas rare que le tribunal se fasse accuser d’appliquer la «justice du vainqueur». Il existe en outre des différences entre la perception locale de la justice et la pratique internationale du droit, qui découle des traditions propres aux pays industrialisés occidentaux. Quoi qu’il en soit, la plupart des gens exigent l’ouverture de procédures pénales après une guerre, en dépit des réserves que suscite la justice rétributive. Son efficacité a été démontrée dans des pays tels que le Chili et l’Argentine, où l’on a fini par inculper les auteurs de crimes de guerre après avoir vainement tenté, à de multiples reprises, de tirer un trait sur le passé en promulguant des lois d’amnistie et autres textes de loi. Lorsque le nombre de coupables est très élevé, le nouveau gouvernement peut avoir intérêt à

Dans le cadre des commissions de vérité et de réconciliation et des procédures judiciaires, les anciennes victimes ont cinq revendications principales à faire valoir:

I Rétablissement officiel de leur dignité personnelle et de celle de leurs proches. I Adoption et ancrage juridique de mesures d’aide et de soutien propres à favoriser autant que possible la réhabilitation et la réparation personnelles et sociales.

I Protection et respect pour les personnes disposées à parler de ce qu’elles ont subi. Il s’agit en particulier de protéger les témoins et de leur éviter de nouvelles humiliations devant le tribunal, surtout en cas de violences sexospécifiques. Des dispositions particulières doivent être prises pour que les femmes puissent déposer plus librement sur ce thème.

I Devoir, pour les coupables, d’assumer la responsabilité de leurs actes et de reconnaître publiquement qu’ils ne sont pas au-dessus de la loi. Cet aspect du châtiment est peut-être plus important aux yeux des victimes que des sanctions plus concrètes comme des peines d’emprisonnement. Ce point suscite toutefois des controverses.

I Prise en compte du caractère contradictoire de la vérité. Les victimes espèrent que les éclaircissements apportés les soulageront. Mais la vérité elle-même est toujours douloureuse. Les pertes se révèlent définitives, les souffrances infligées vont en diminuant mais ne disparaissent pas complètement. La vérité est donc au mieux un élément qui favorise le processus de deuil.

gagner le soutien de la grande majorité des citoyens, sans que ceux-ci n’aient à renier explicitement leurs anciennes adhésions. Dans ce genre de situation, des procédures pénales présentent peu d’intérêt.

La justice réparatrice

La justice réparatrice ne satisfait pas le désir de punir les coupables, mais elle rend aux victimes leur dignité en reconnaissant officiel-lement l’injustice qu’elles ont subie. Il est généralement admis que la mise sur pied de commissions de vérité est un moyen utile de rompre le silence sur les crimes du passé. Ces commissions élucident les actes qui ont été commis en se basant sur les dépositions des victimes et des auteurs de crimes, et donnent à la société dans son ensemble des informations qui ont pour effet de rompre le déni et d’éviter le révisionnisme historique. Un tel processus apporte aux victimes une sorte de guérison sociale. Quand l’État confirme officiellement aux familles le sort subi par leurs proches disparus ou assassinés, il les aide non seulement à faire leur deuil, mais contribue aussi à extraire le

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problème de la sphère psychique individuelle pour lui donner sa juste place dans le processus social et politique. Mais il ne faudrait pas en déduire pour autant que le travail d’une com-mission de vérité permet de guérir les victimes. Le slogan «Revealing is healing» de la Truth and Reconciliation Commission sud-africaine repose sur un malentendu: la confrontation des victimes avec ce qu’elles ont vécu est un processus complexe, très long et très pénible. Plus l’équilibre politique est fragile après un conflit, plus les commissions d’enquête seront faibles: il sera souvent impossible de mener certaines investigations en raison du pouvoir exercé par les responsables. Et même des commissions dotées de pouvoirs étendus, comme en Afrique du Sud, ne parviennent que dans une faible mesure à faire condam-ner les criminels: dans ce pays, les coupables qui avaient avoué leurs crimes ont été amnis-tiés, ce qui a été très dur pour nombre de victimes. Le caractère public des travaux de la commission a aussi posé des problèmes aux victimes. En particulier des femmes qui avaient été violées ou torturées ont refusé de

déposer. Elles craignaient que leur témoignage se traduise par de nouvelles intrusions dans leur sphère intime et les amène à perdre le respect d’autrui au lieu de le gagner. Les commissions de vérité ne sont donc pas une alternative aux tribunaux. Justice rétribu-tive et justice réparatrice se complètent mutuellement et ne sont pas interchangeables. Il existe de nombreux recoupements entre ces deux approches, puisque la préoccupation centrale de toute procédure judiciaire est d’établir la vérité. Et si une commission de vérité s’abstient normalement de poursuites pénales, elle peut en faire la recommandation ou, comme la commission sud-africaine, accorder l’amnistie. Mais aucune de ces deux formes de justice n’aboutit automatiquement à l’harmonie sociale. Ni la vérité ni la punition ne peuvent rendre aux victimes ce qu’elles ont perdu. Les conflits ne s’en trouvent pas réglés non plus; mais ils sont soumis à une norme juridique qui contribue à garantir des processus exempts de violence. Ce travail favorise la réconciliation, mais ne marque de loin pas la fin de ce processus.

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La justice compensatoire:

Depuis quelques années, on reconnaît de plus en plus la nécessité d’examiner systématique-ment le soutien et les compensations qu’il convient d’accorder aux victimes dans une société d’après-guerre. Il importe de distinguer clairement les compensations octroyées à titre de réparation des mesures psychosociales de réhabilitation et de réintégration.

I Des prestations compensatoires sont sou-vent judicieuses du fait qu’elles contribuent à soulager la détresse matérielle, mais elles ne sauraient en aucun cas réparer à elles seules l’injustice subie. Et elles provoquent toujours un dilemme moral: la famille d’un disparu, par exemple, a bien besoin de l’aide matérielle apportée par l’État; mais cette compensation lui donne le sentiment de recevoir le prix du mort. Ce n’est pas là un argument contre la compensation en soi, mais il faut tenir compte de cette dimension psychologique dans la formula-tion des textes de loi correspondants et dans les relations avec les familles de victimes. Il est moralement un peu moins probléma-tique pour les bénéficiaires de se voir accorder des compensations sous la forme de droits – par exemple la gratuité des soins de santé, des études ou de la forma-tion professionnelle. La difficulté consiste à désigner les ayants droit à ces prestations. Dans un pays pauvre en infrastructures, ces dispositions suscitent inévitablement de la jalousie à l’égard des victimes pré-tendument privilégiées, d’autant plus si l’opinion ne reconnaît pas à certaines catégories de bénéficiaires la qualité de victimes (p.ex. réfugiés revenus de l’exil ou membres d’un autre camp politique). Il est également légitime de s’interroger sur le caractère équitable de telles mesures lorsque des anciens combattants reçoivent des compensations et des traitements de faveur, tandis que certaines de leurs victimes n’obtiennent rien. Il convient donc de préciser systématiquement pour quelles raisons certaines personnes bénéficient de privilèges sociaux et d’autres pas.

L’assistance psychosociale aux victimes doit veiller aux points suivants

I Il convient d’ancrer dans la loi les droits des victimes en matière de réhabilitation.

I Les activités de réhabilitation ne doivent pas se limiter à la santé publique, mais s’étendre autant que possible aux secteurs communautaire et éducatif. Le partenariat entre ONG et pouvoirs publics est particulière-ment important dans ce domaine.

I Les spécialistes (enseignants, ecclésiastiques, guérisseurs locaux, éduca-teurs, infirmières, etc.) doivent acquérir des connaissances de base sur les traumatismes psychiques afin de pouvoir aider dans leur domaine spécifique les personnes qui en souffrent.

I Il faut éviter toute «psychopathologisation» de la population en employant, par exemple, des termes en usage dans la médecine occidentale (p.ex. «syndrome de stress post-traumatique») qui ne reflètent pas la sensibilité culturelle locale. Par ailleurs, il importe de mettre en place une aide personnalisée pour les personnes gravement traumatisées. On s’efforcera de former des experts locaux disposant de compétences adaptées au contexte ( Fiche 15: Santé).

I Les mesures envisagées doivent d’emblée porter sur le long terme. Il convient d’éviter de fausses promesses de guérison.

I Les mesures psychosociales de réhabilita-tion et d’intégraréhabilita-tion des victimes sont un élément essentiel de la transformation durable d’un conflit. D’une manière géné-rale, les mesures nécessaires – allant de la réhabilitation physique (p.ex. prothèses pour les victimes de mines) jusqu’à la psy-chothérapie – dépassent ce que peut assu-mer un budget national. De plus, force est de constater que quelques années après la fin d’un conflit, les donateurs internatio-naux ne prévoient plus guère de fonds pour la réhabilitation. Simultanément, on se rend compte que les traitements sont beaucoup plus longs et difficiles que ne l’imaginaient à l’origine les bénéficiaires. Les recherches scientifiques effectuées sur les survivants de l’holocauste ont révélé que les traumatismes engendrent des pro-blèmes psychiques à la vieillesse et des troubles chez les enfants des victimes, qui se répercutent jusqu’à la troisième généra-tion. Mais il s’agit, hélas, d’un constat dont on ne tient pas compte dans la plani-fication des mesures de réhabilitation pour les zones en guerre ou en crise.

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Travail de mémoire et